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pour transformer un cœur, pour sanctifier un pécheur, pour rendre un homme parfait! Il entrera dans un ordre monastique. Il y deviendra saint. Il s'assurera ainsi la vie éternelle '.

Tel fut l'événement qui changea la vocation et toutes les destinées de Luther. Il y a ici le doigt de Dieu. Ce fut sa main puissante qui renversa sur un grand chemin le jeune maître-ès-arts, l'aspirant au barreau, le futur jurisconsulte, pour donner à sa vie une direction toute nouvelle. Rubianus, l'un des amis de Luther à l'université d'Erfurt, lui écrivait plus tard : « La providence divine regardait à ce que tu devais un jour devenir, lorsqu'à << ton retour de chez tes parents, le feu du ciel te << fit tomber par terre, comme un autre Paul, près << de la ville d'Erfurt, et t'enlevant à notre société, << te poussa dans la secte d'Augustin. >> Des circonstances analogues ont signalé la conversion des deux plus grands organes dont la providence divine se soit servie dans les deux plus grandes révolutions qu'elle ait opérées sur la terre saint Paul et Luther 2.

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Luther rentre à Erfurt. Sa résolution est iné

1. & Occasio autem fuit ingrediendi illud vitæ genus, quod pietati et studiis doctrinæ de Deo, existimavit esse convenientius.» (Mel., Vit. Luth.)

2. Quelques historieus disent qu'Alexis fut tué par le coup de tonnerre qui épouvanta Luther; mais deux contemporains, Matthesius et Selneccer (in Orat. de Luth.), distinguent ces deux événements on pourrait même joindre à leur témoi gnage celui de Mélanchton, qui dit : « Sodalem, nescio quo << casu interfectum. » (Vita Luth.)

Tome 1.

ADIEUX.

162 branlable. Toutefois, ce n'est pas sans peine qu'il va briser des liens qui lui sont chers. Il ne communique à personne son dessein. Mais un soir il invite ses amis d'université à un joyeux et simple repas. La musique vient encore une fois égayer leur réunion intime. Ce sont les adieux que Luther fait au monde. Désormais, au lieu de ces compagnons de plaisir et de travail, des moines; au lieu de ces gais et spirituels entretiens, le silence du cloître, au lieu de ces chants joyeux, les graves accords de la tranquille chapelle. Dieu le demande. Il faut tout immoler. Cependant, une dernière fois encore les joies de sa jeunesse! La collation excite ses amis. Luther lui-même les anime. Mais au moment où ils se livrent avec abandon à leur gaîté, le jeune homme ne peut retenir plus longtemps les pensées sérieuses qui occupent son cœur. Il parle. Il découvre son dessein à ses amis étonnés: ceux-ci cherchent à le combattre, mais en vain. Et la nuit même, Luther, craignant peut-être des sollicitations importunes, quitte sa chambre. Il y laisse tous ses effets et tous ses livres, ne prenant avec lui que Virgile et Plaute (il n'avait point encore de Bible). Virgile et Plaute! l'épopée et la comédie! singulière représentation de l'esprit de Luther! Il y a eu en effet, en lui, toute une épopée, un beau, un grand, un sublime poëme; mais d'un caractère enclin à la gaîté, à la plaisanterie, à la bouffonnerie, il mêla plus d'un trait familier au fond grave et magnifique de sa vie.

Muni de ces deux livres, il se rend seul, dans les ténèbres, au couvent des Ermites de Saint

ENTRÉE AU COUVENT.

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Augustin. Il demande qu'on l'y reçoive. La porte s'ouvre et se referme. Le voilà séparé pour toujours de ses parents, de ses compagnons d'étude et du monde ! C'était le 17 août 1505. Luther avait alors vingt et un ans et neuf mois.

Enfin il est avec Dieu. Son âme est en sûreté. Cette sainteté tant désirée, il va donc la trouver. Sans doute Luther consacra son entrée dans sa retraite par des prières ferventes. Néanmoins, il n'oublia pas ses amis. Il leur écrivit pour prendre congé d'eux et du monde; et le lendemain il leur envoya ces lettres, avec les habits qu'il avait portés jusqu'alors, et son anneau de maître-ès-arts, qu'il remit à l'université, pour que rien ne lui rappelât plus ce monde qu'il abandonnait.

Ses amis d'Erfurt furent consternés. Faut-il qu'un génie si éminent aille se cacher dans cette vie monastique qui n'est qu'une demi-mort1? Pleins d'une vive douleur, ils se hâtèrent de se rendre au couvent, dans l'espérance de faire revenir Luther d'une démarche si affligeante: mais tout fut inutile. Les portes leur furent fermées. Tout un mois se passe, sans que personne ne puisse ni voir le nouveau moine, ni lui parler.

Luther s'était aussi empressé de communiquer à ses parents le grand changement qui venait de s'opérer dans sa vie. Son père fut frappé comme de la foudre. Il tremblait pour son fils, nous apprend Luther lui-même, dans la dédicace de son

1. In vita semi-mortua. (Melch. Adami V. L., p. 102.)

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livre sur les vœux monastiques, adressée à son père. Sa faiblesse, sa jeunesse, l'ardeur de ses passions, tout lui faisait craindre qu'après le premier moment d'enthousiasme, l'oisiveté monastique ne fit tomber le jeune homme, ou dans le désespoir, ou dans de grandes fautes. Il savait que la vie des cloîtres en avait déjà perdu plusieurs. D'ailleurs, le conseiller-mineur de Mansfeld avait de tout autres desseins pour son fils. Il se proposait de lui faire contracter un mariage riche et honorable. Et voilà tous ses ambitieux projets renversés en une nuit, par cette action imprudente.

Jean écrivit à son fils une lettre violente dans laquelle il le tutoyait, nous dit encore celui-ci, tandis qu'il l'avait vousoyé depuis qu'il avait reçu le grade de maître-ès-arts. Il lui retirait toute sa faveur, et le déclarait déshérité de l'affection paternelle. En vain les amis de Jean Luther, et sans doute sa femme, cherchaient-ils à l'adoucir et lui disaient-ils : « Si vous voulez sacrifier quelque «< chose à Dieu, que ce soit ce que vous avez de << meilleur et de plus cher, votre fils, votre Isaac; » l'inexorable conseiller de Mansfeld ne voulait rien entendre.

Quelque temps après cependant (c'est encore Luther qui le raconte dans un sermon prononcé à Wittemberg le 20 janvier 1544), la peste survint, et enleva à Jean Luther deux de ses fils. Sur ces entrefaites, quelqu'un vint dire au père, dont l'âme était déchirée par la douleur : Le moine d'Erfurt lui-même est aussi mort!... On saisit cette occasion pour rendre au novice le cœur de son père.

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Si c'est une fausse alarme, lui disent ses amis, sanctifiez du moins votre affliction en consentant de bon cœur à ce que votre fils soit moine! ....

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« A la bonne heure! » dit alors Jean Luther d'un

cœur brisé et encore rebelle, « et que Dieu donne qu'il réussisse!» Plus tard, lorsque Luther, réconcilié avec son père, lui raconta l'événement qui l'avait porté à se jeter dans les ordres monastiques: « Dieu fasse,» répondit le vaillant mineur, « que << vous n'ayez pas pris pour un signe du ciel ce qui n'était qu'un fantôme du diable! »

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Il n'y avait pas alors dans Luther ce qui devait en faire plus tard le réformateur de l'Église. Son entrée dans le couvent en est la preuve. C'était une action dans le sens des siècles dont il allait bientôt contribuer à sortir l'Église. Celui qui allait devenir le Docteur du monde, en était encore le servile imitateur. Une pierre nouvelle était apportée à l'édifice des superstitions, par celui même qui devait bientôt le renverser. Luther cherchait alors son salut en lui-même, en des pratiques et des observances humaines: il ignorait que le salut vient tout entier de Dieu. Il voulait sa propre justice et sa propre gloire, méconnaissant la justice et la gloire du Seigneur. Mais ce qu'il ignorait alors, il l'apprit bientôt. Ce fut dans le cloître d'Erfurt que s'opéra cet immense changement qui substitua dans son cœur, Dieu et sa sagesse, au monde et à ses traditions, et qui prépara la révolution puissante dont il fut le plus illustre instrument.

Martin Luther, en entrant dans le couvent, changea de nom, et se fit appeler Augustin. «Quoi de

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