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PUISSANCE SÉCULIÈRE. LES DÉCRÉTALES. souverains légitimes, et chercher à les chasser de l'Italie; tandis que de l'autre, ils caressent les majordomes de France, et demandent à cette puissance nouvelle, qui commence à s'élever en Occident, quelques-uns des débris de l'Empire. Rome établit son autorité usurpée entre l'Orient qu'elle repousse et l'Occident qu'elle appelle. Elle élève son trône entre deux révoltes. Bientôt la papauté donne à l'usurpateur Pepin une prétendue sanction, et obtient de lui, en échange, un vaste territoire comme principauté séculière. Le pape Léon III s'empresse de poser sur la tête de Charlemagne la couronne des empereurs romains. La puissance spirituelle veut paraître avoir le droit de distribuer, selon sa volonté, les premiers sceptres de la terre.

Charlemagne ne légua à ses faibles successeurs que des débris de sa puissance. Au neuvième siècle, la désunion affaiblit partout le pouvoir civil. Rome comprit que c'était le moment pour élever la tête. Quand l'Église pouvait-elle mieux se rendre indépendante de l'État, qu'à cette époque de décadence, où la couronne, que Charles porta, se trouvait brisée, et ses fragments épars sur le sol de son ancien Empire?

Ce fut alors que parurent les prétendues décrétales d'Isidore. Dans ce recueil de soi-disant décrets des papes, les plus anciens évêques, les contemporains de Tacite et de Quintilien, parlaient le latin barbare du neuvième siècle. Les coutumes et les constitutions des Francs étaient gravement attribuées aux Romains du temps des empereurs. Des.

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DÉSORDRES DE ROME.

papes y citaient la Bible dans la traduction latine de saint Jérôme, qui avait vécu un, deux ou trois siècles après eux. Et Victor, évêque de Rome, l'an 192, écrivait à Théophile, qui fut archevêque d'Alexandrie en 385. L'imposteur qui avait fabriqué ce recueil, s'efforçait d'établir que tous les évêques tenaient leur autorité de l'évêque de Rome, qui tenait la sienne immédiatement de Christ. Non seulement il enregistrait toutes les conquêtes successives des pontifes, mais encore il les faisait remonter aux temps les plus anciens. Les papes n'eurent pas honte de s'appuyer de cette invention méprisable. Déjà, en 865, Nicolas Ier y choisit des armes1 pour combattre les princes et les évêques. Cette fable effrontée fut, pendant des siècles, Far

senal de Rome.

Néanmoins les vices et les crimes des pontifes devaient suspendre pour quelque temps les effets des décrétales. La papauté signale son accès à la table des rois par des libations honteuses. Elle se prend à s'enivrer, et la tête lui tourne au milieu des débauches. C'est vers ces temps que la tradition place sur le trône papal une fille nommée Jeanne, réfugiée à Rome avec son amant, et dont les douleurs de l'enfantement trahirent le sexe au milieu d'une procession solennelle. Mais n'augmentons pas inutilement la honte de la cour des pontifes romains. Des femmes dissolues régnèrent à cette époque dans Rome. Ce trône, qui prétendait s'élever au-dessus de la majesté des rois, s'abaissait

1. Voyez Ep. ad. univer., Epi. sc. Gall. ( Mansi XV. }

NOUVELLE ÉPOQUE.

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sous la fange du vice. Théodora et Marozia installaient et destituaient à leur gré les prétendus maitres de l'Église de Christ, et plaçaient sur le trône de Pierre leurs amants, leurs fils et leurs petits-fils. Ces scandales trop véritables ont peut-être donné naissance à la tradition de la papesse Jeanne.

Rome devient un vaste théâtre de désordres, dont les plus puissantes familles de l'Italie se disputent la possession. Les comtes de Toscane ont d'ordinaire la victoire. En 1033, cette maison ose mettre sur le trône pontifical un jeune garçon élevé dans la débauche, sous le nom de Benoît IX. Cet enfant, de douze ans, continue comme pape ses horribles turpitudes 1. Un parti élit à sa place Sylvestre III. Le pape Benoît, la conscience chargée d'adultères et la main teinte d'homicides 2, vend enfin la papauté à un ecclésiastique de Rome.

Les empereurs d'Allemagne, indignés de tant de désordres, en nettoyèrent Rome avec l'épée. En 1047, un évêque allemand, Léon IX, occupa le trône pontifical. Ici commence une nouvelle époque pour la papauté. Les papes sentirent la nécessité de tirer la triple couronne de la fange où elle était tombée. Élever Rome, tel fut leur but. Réformer les mœurs du clergé, rendre l'Église indépen

I. «<

Cujus quidem post adeptum sacerdotium vita quam " turpis, quam foeda, quamque execranda exstiterit, horresco « referre. (DESIDERIUS, abbé de Cassino, plus tard pape Victor III, De miraculis a S. Benedicto, etc., lib. 3, init.)

2. «

ע

Theophylactus.... cum post multa adulteria et homicidia manibus suis perpetrata, etc.» (BONIZO, évêque de Sutri, ensuite de Plaisance, Liber ad amicum.)

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dante de l'État, tels furent leurs moyens. La papauté s'élance de son humiliation, et foule bientôt aux pieds les princes de la terre. L'élever, c'est élever l'Église, c'est agrandir la religion, c'est assurer à l'esprit la victoire sur la chair, à Dieu le triomphe sur le monde. Telles sont ses maximes; l'ambition y trouve son profit, le fanatisme son

excuse.

Toute cette nouvelle tendance est personnifiée dans un homme : Hildebrand.

Hildebrand, tour à tour indiscrètement exalté ou injustement dénigré, est la personnification du pontificat romain en sa force et sa gloire. Il est l'une de ces apparitions normales de l'histoire, qui renferment en elles tout un ordre de choses nouveau, semblables à celles qu'offrirent en d'autres sphères, Charlemagne, Luther, Napoléon.

Léon IX prit ce moine, en passant à Clugny, et le conduisit à Rome. Dès lors Hildebrand devint l'ame de la papauté, jusqu'à ce qu'il devînt la papauté même. Il gouverna l'Église sous plusieurs noms de pontifes, avant de régner lui-même sous celui de Grégoire VII. Une grande idée s'est emparée de ce grand génie. Il veut fonder une théocratie visible, dont le pape, comme vicaire de Christ, sera le chef. Le souvenir de l'ancienne domination universelle de Rome païenne poursuit son imagination et anime sa ferveur. Il veut rendre à Rome papale ce que la Rome des empereurs a perdu. « Ce que Marius et César, disent ses flatteurs, n'ont pu faire par des torrents de sang, tu l'accomplis par une parole. >>

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Grégoire VII ne fut point conduit par l'esprit de Christ. Cet esprit de vérité, d'humilité, de douceur, lui fut étranger. Il sut sacrifier ce qu'il savait être vrai, quand il le jugea nécessaire à ses desseins. C'est ce qu'il fit en particulier dans l'affaire de Bérenger. Mais un esprit bien supérieur à celui du vulgaire des pontifes, une conviction intime de la justice de sa cause, l'animèrent sans doute. Il ne conçut pas son système a priori et d'un seul jet, comme on le croit d'ordinaire; mais il y fut amené ly par les circonstances qui l'entouraient et par les besoins qu'il croyait reconnaître dans l'Église.

Son premier coup fut contre les prêtres. Dans un concile tenu à Rome, il les condamna au célibat; car pour accomplir ses desseins, les prêtres devaient être tout à l'Église, et non à leurs familles. Ses légats parcourent les provinces, pour enlever aux pasteurs leurs épouses légitimes. S'il le faut, le pape soulève la populace contre les ministres mariés 1.

Le second coup qu'il porta fut dirigé contre les princes. Il défendit à tous les ecclésiastiques, sous peine d'excommunication, de recevoir d'eux l'investiture de leur charge. Il brise les antiques liens qui unissent les églises et leurs pasteurs à l'autorité royale; mais c'est pour les rattacher tous au trône pontifical. Il prétend y enchaîner d'une main puissante les prêtres, les princes et les peuples, et faire

1. «Hi quocumque prodeunt, clamores insultantium, digitos «< ostendentium, colaphos pulsantium, perferunt. Alii membris << mutilati; alii per longos cruciatus superbe necati, etc. » (MARTENE et DURAND, Thesaurus nov. Anecd., I, 231.)

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