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tétine: et tous ces objets dénotent par leur tournure une origine réellement franque et non exclusivement gallo-romaine, ainsi qu'on l'a prétendu; car le système d'ornementation est trop germanique pour laisser le moindre doute sur leur date de fabrication (1).

Je comprends maintenant pourquoi les peintres de la Danse macabre ont représenté la mort saisissant l'homme au milieu des diverses conditions de la vie, et le précipitant tout vêtu dans la fosse creusée à ses pieds par une main fatale. Il en sort aujourd'hui pour poser devant l'historien,

De tous les cimetières explorés en Normandie, celui d'Envermeu est incontestablement le plus riche. Les nouvelles fouilles pratiquées en ce lieu ont encore fourni une quantité considérable d'objets d'un haut intérêt, dont quelques-uns méritent une attention particulière. Grâce à l'infatigable persévérance de M. l'abbé Cochet, le musée de Rouen, où l'on a déposé le produit de ces fouilles, est actuellement l'un des mieux fournis en armes, bijoux et ustensiles de l'époque mérovingienne.

Une des découvertes les plus précieuses faites à Envermeu, est celle d'une petite balance et de son peson en bronze, trouvés, le

6 septembre 1855, dans la fosse d'un guerrier franc, avec une lance, un angon, une épée et un bouclier. M. l'abbé Cochet établit avec beaucoup de sagacité que la présence de cet instrument, dans la sépulture d'un homme de guerre de la période mérovingienne, prouve que ce personnage était un agent du fisc chargé de la per

(1) Je suis loin de prétendre que les premières invasions et le contact des hommes de la Germanie n'eussent pas déjà un peu modifié le goût et le sentiment gaulois avant le vie siècle, et influé sur les caprices de la mode; mais je crois que la donnée artistique n'en resta pas moins jusque-là purement romaine quant au fond. V., au reste, ce que je dis plus loin à ce sujet.

ception de l'impôt en numéraire dans ce canton. Il apporte à l'appui de son assertion une lettre à lui écrite par M. de Pétigny, l'un des hommes qui se sont occupés avec le plus de succès de l'état social du royaume sous la première race et des origines de notre numismatique nationale. Dans cette lettre, le savant académicien annonce l'apparition prochaine d'un nouveau travail sur la matière, et fait sommairement pressentir qu'une ou deux de ses conclusions principales seront tant soit peu en désaccord avec mes opinions personnelles ('); mais je n'en serai pas moins des premiers à applaudir à la publication de son mémoire, qui ne saurait manquer d'apporter une vive lumière, comme tous ceux sortis précédemment de sa plume, sur les points les plus controversés.

Le poids du peson en bronze, découvert avec la balance, étant de 4 grammes 4 décigrammes, M. de Pétigny en a conclu avec raison que c'était celui du sol d'or de 85 grains, et qu'il sert dès lors à indiquer la date approximative de sa mise en terre. Cette date remonte à la première moitié du vr° siècle, c'est-à-dire à l'époque où le sol était encore taillé dans la donnée du système monétaire impérial. Un peu plus tard, à mesure qu'on se rapprocha du commencement du VII® siècle, le poids descendit d'abord à 78, puis, après un temps d'arrêt de quelques années, à 72, où il se maintint jusqu'à la cessation du monnayage mérovingien (*).

C'est la première fois qu'un instrument de cette nature a été recueilli en France; mais une trouvaille à peu près identique a eu lieu en Angleterre, pendant le cours de 1850, dans le cimetière anglo-saxon d'Ozingell. M. l'abbé Cochet se base sur cette trouvaille pour conclure, en outre, à l'existence à Envermeu d'un atelier monétaire sous la première race. Je partage d'autant plus volontiers son avis, que le nombre de ces officines était alors infiniment plus considérable qu'on ne le pense généralement aujourd'hui (3), et que j'ai été à portée de constater l'existence de cimetières gallo-romains ou francs dans maints bourgs ou villages où l'on a frappé monnaie

(1) Cf. Sepultures gauloises, romaines, franques et normandes, p. 256-257, et Lettres à M. Ch. Dugast-Matifeux sur quelques monnaies françaises inédites, p. 35 et suiv.

(2) Lettres à M. Dugast-Matifeux, p. 50; Études num., p. 23 et 25.

(3) Lettres à M. Dugast-Matifeux, p. 31.

du temps des Mérovingiens. Sans sortir de la cité poitevine, je citerai Brioux, Ambernac, Ardin, Tourteron, Voutegon, Aizenay, Rezay, parmi les localités de nos contrées présentant cette coïncidence on ne peut plus naturelle. La numismatique de la Normandie est donc appelée à s'enrichir quelque jour de triens d'Envermeu, cet ancien bourg qui a disputé autrefois à Arques, selon M. Guérard (1), le titre de capitale du Talau ou Talou, pagus dont la monnaie carlovingienne du temps de Charles le Chauve a été publiée par M. de Longpérier dans le Catalogue de la collection Rousseau (). Cette monnaie portant TALAV MONETA, cela indique qu'elle a été fabriquée au chef-lieu de la circonscription territoriale; de sorte que, si Envermeu a eu réellement cette qualité sous les Mérovingiens, la découverte d'un tiers de sou décoré seulement du nom du pagus, suffirait pour donner gain de cause à M. Cochet.

Il existe un triens avec la légende TELLAO; mais il ne me parait pas être de cette contrée.

On a élevé quelques doutes sur l'attribution au Talou du denier carlovingien que notre collègue a fait connaître. Le style de la pièce est cependant caractéristique. Qu'on la mette en regard de celles de Rouen frappées à la même époque, et le doute ne sera plus possible. La forme du monogramme est surtout identique à celle employée encore sous le duc Richard Ier, qui commença à faire inscrire un nom ducal sur le numéraire féodal de la Normandie (3).

Une conquête non moins intéressante que la balance destinée à peser le numéraire mérovingien, est celle de la bourse portée à la ceinture, dont M. l'abbé Cochet a constaté la présence dans les sépultures franques, et rétabli la forme avec une rare intelligence. Avant la publication du livre de notre auteur, personne ne s'était encore rendu compte de la destination des instruments en métal, qu'il nous apprend être les fermoirs de ces bourses, et qui se voient assez fréquemment dans les collections. L'un de ces objets en bronze fortement doré, semblable, quant à l'aspect général, à celui gravé à

(1) Annuaire de la Société d'histoire de France, 1837, p. 138.

(2) P. 162, no 366.

L'existence, dans un lieu, d'un atelier monétaire de la seconde race implique ordinairement celle d'un monnayage antérieur au même endroit.

(3) Etudes num., par B. Fillon, p. 156.

la p. 161 de l'ouvrage de M. Cochet, trouvé en 1853 aux environs d'Aulnay (Charente-Inférieure), m'ayant été présenté par un marchand de vieux galons métalliques, qui l'avait acheté de l'inventeur, je fus obligé de lui confesser mon ignorance, tout en reconnaissant l'âge de l'instrument (1).

Il est un troisième objet qui a fourni à M. l'abbé Cochet l'occasion de donner une preuve de son tact et de sa perspicacité. Je veux parler du seau ou baquet franc, dont les débris ont si souvent été pris, avant lui, pour des ornements de tête, tandis qu'il servait simplement à contenir des liqueurs fermentées des festins. Voici la garniture en bronze doré de l'un de ces seaux trouvé à Envermeu (2).

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Il n'est pas inutile de constater en passant, comme un fait caractéristique, que le luxe des vases à boire était poussé fort loin chez les Francs, qui avaient cela de commun avec tous les peuples quelque peu sauvages. La coupe du festin les suivait dans la mort, avec leurs armes, cet autre trésor du barbare; tant il est vrai que l'eau du baptême chrétien, en coulant sur ces hommes farouches, n'avait

(1) La découverte de ce fermoir à Aulnay fait assurément pressentir l'existence d'un cimetière franc en ce lieu très-ancien, où l'on a mis au jour des antiquités gallo-romaines.

(2) V. Magasin pittoresque de 1855.

pu leur enlever la croyance à un monde supérieur plein de luttes héroïques et de banquets sans fin.

Je vais maintenant soumettre successivement au lecteur les dessins des autres principales découvertes opérées dans les cimetières francs de la Neustrie; mais, avant de passer outre, il est bon de donner d'abord ceux de deux sépultures de guerriers qui leur sont contemporaines elles permettront de juger d'un coup d'oeil de l'aspect ordinaire de toutes les autres, quand elles n'ont pas été violées.

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