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la Sauzais, des grande et petite Biéces, Vertais, Dosd'asne, et furent tellement débordées qu'elles emportèrent tout le pont de bois au droict du moulin des chanoines de Nostre-Dame, qu'ils avoient fait démolir l'esté dernier pour le rebastir en pierre, deux arches du pont de pierre entre la Belle Croix et la Magdelaine, partie du logis de M. Pierre de la Croix, notaire royal, situé au bout du pont dudit Piremil, et estonnèrent tellement la forteresse dudit lieu, que la tour couverte d'ardoize, qui estoit au coing vers le bout du pont, en tomba de peur sur un bateau qui estoit en la douve, et le coula à fond. Elles firent dans les logis, tout le long des ponts, mille autres ravages qu'on ne sçauroit pas spécifier, car on peut bien dire avec vérité que pas un n'en a esté exempt, et qu'il n'y a point d'homme vivant qui les aye jamais vues si grandes en ces quartiers, ayant surmonté les grandes eaux de l'année 1615 de deux grands pieds. La pluspart des pères Récollets furent contraints de quitter leur convent, qui estoit tout noyé, et de se réfugier à Nantes. Et les autels de l'église de Toussaints furent couverts d'eau, excepté le grand autel. Voir Travers, t. III, p. 344-45.

Le mercredy 15° jour de juillet 1653, M. le doyen de Nantes, environ les deux à trois heures de l'après-midy, fist la cérémonie de la bénédiction de la grosse cloche de Saint-Pierre, qui avoit esté fondue dès la vigile de la feste de la Pentecoste dernière, 18 mai 1652. M. le mareschal de la Melleraye estoit assistant à ladite bénédiction, et le lendemain 16 dudit mois, elle fut montée en haut pour estre mise à sa place.

Le mardi 13 mai 1653, il fut fait deffense à Sebastien Porchet, prévost de Saint-Claude, de prendre et percevoir les oblations qui sont faites sur l'autel de Saint-Claude, par sentence du siége au rapport de Bernard, signifiée audit Porchet le 18 may 1653.

Le jeudy 10 jour de décembre 1654, le cœur de M. de Montbason, duc et pair de France, fut apporté en l'église des pères Récollets pour y estre ensépulturé, et fut conduit par MM. de Saint-Pierre, officiant M. le théologal, où assistèrent tous les corps des paroisses et convents de ceste ville. M. le mareschal de la Melleraye suivoit le cercueil entre deux présidents de la chambre des Comptes qui marchoit après, suivie de M. le maire et de tout le corps de ville. Voir Travers, tome III, p. 355.

Le mercredy 22 décembre 1655, environ les quatre à cinq heures

du soir, il fist du tonnerre si espouvantable que l'on ne voyoit qu'esclairs de tous costés et particulièrement dans la soulaire qui sembloit tout en feu, et avec un vent si impétueux et soufflant avec une telle furie qu'il sembloit que tout devoit tomber, et, de fait, jetta quantité de moulins à vent par terre aux environs de Nantes, arracha grand nombre de gros arbres qui sembloient si forts en leurs racines qu'on eust jugé tout à fait une chose impossible qu'ils peussent estre renversés par la force des vents. On disoit qu'il avoit aussi abattu le clocher du bourg de Batz, proche le Croisic, qui estoit tenu pour le plus haut clocher de toute la province de Bretagne et qu'on voyoit de plus de cent lieues dans la mer et servoit d'une grande remarque aux inariniers. Il prist une femme au Dosgarins, proche la chapelle de Miséricorde, paroisse de Saint-Sembin (Similien), la porta par-dessus une perrière pleine d'eau, qui a bien cent pieds de large, laquelle se voyant en ce péril, eut recours au signe de la croix, ce qu'ayant fait, elle se trouva délivrée de ce danger. On a remarqué qu'il n'avoit point fait un semblable temps depuis que le marquis de Belle-Isle fut tué devant le mont SaintMichel.

Le sabmedy 2o jour de juillet 1656, les pauvres malades furent transportés de l'ancien hospital, situé près d'Erdre, dans l'hospital neuf de la Charité, sis en la petite prée de la Magdeleine, au-dessous de la Belle-Croix. Et le dimanche 9° dudit mois, la procession générale alla audit hospital neuf, conduite par messire Pierre Coupperie, théologal de Nantes, à laquelle assista très-grand nombre de peuple; et le mesme jour, messire André Coupperie, docteur de Sorbonne, chanoine de la cathédrale et recteur de Sainte-Croix, fit prédication dans la chapelle dudit hospital, à trois heures après midy.

Le lundy 17 juillet 1656, MM. le sénéchal, le lieutenant et le procureur du roy, avec MM. Dubreil et de Blottereau, pères des pauvres de l'hospital de Nantes, M. Morice leur procureur, et M. leur adjoint, descendirent à l'aumosnerie et hospital de Toussaints pour faire procès-verbal, auquel messire André Landays, aumosnier dudit Toussaints, comparut pour son chef, et les prévots de la confrairie dudit Toussaints ne voulurent point comparoistre et furent jugés défaillants. Auquel procès-verbal procédant ne trouvèrent aucune chose à redire en tout ce que possédoit ledit Landays, ains trouvèrent le tout en très-bon estat, ainsi qu'il est rapporté par ledit procès-verbal.

Le vendredy après la feste de Toussaints, 3° novembre 1656, il fist un vent si furieux, sans tonnerre, que jamais homme vivant n'en a veu de plus grand, et qui fist un dommage inestimable tant sur la terre que sur les eaux. Il jetta à bas la croix, avec la girouette, qui estoit sur le clocher de Nostre-Dame de Nantes, brisa la vitre de l'église de Saint-Nicolas, du costé de l'autel de Nostre-Dame, fist pencher le clocher de ladite église, jetta par terre une cheminée de l'un des pavillons de l'hospital neuf et emporta beaucoup de la couverture dudit hospital, abattit grand nombre de cheminées tant de la ville que des fauxbourgs, et n'y a eu quasi aucun logis qui n'ait esté grandement incommodé en sa couverture. Le clocher de Saint-Hilaire-de-Rié, le plus beau de tout ce pays-là, fut jeté par terre tout au ras de la tour de pierre qui le supportoit. Le navire de guerre que M. le mareschal de la Melleraye envoyoit à Madagascar, dans lequel y avoit près de deux cents hommes, périt à Saint-Nazaire, et tous les hommes furent noyés, à la réserve du capitaine et trois autres avec lui, dont Pierre Branlard estoit l'un, qui estoient allés à terre, et treize ou quatorze autres qui se jettèrent sur des aix que l'eau et le vent portèrent jusqu'à Paimbœuf. Cent soixante et huit furent trouvés à la coste, deux ou trois jours après. Il affondra un navire au bas de la Fosse, qui estoit chargé de poisson sec et autres marchandises pour l'Espagne. Une gabarre chargée de harengs, et une autre de vin, affondrèrent et tout fut perdu. Quatre hommes de la Sauzais, conduisant l'une d'icelles, se noyèrent. Grand nombre de navires furent portés par l'eau et le vent sur la terre et bien avant. Les monceaux de sel qui estoient sur les marais furent emportés pour la pluspart, et lesdits marais salants tous gastés. Enfin on ne peut dire le dommage que fist ce vent sur la terre et sur la mer. Dieu, par sa saincte grâce, nous veuille préserver, s'il luy plaist, de tels orages. Ainsi soit-il.

Les eaux furent fort grandes depuis le 24 febvrier 1658 jusqu'au 12 mars, en sorte qu'il falloit passer par bateau dans les rues de Vertais, grande Biéce et de la Sauzais. Il s'en faillut neantmoins trois pieds qu'elles ne fussent à la hauteur de l'année 1650-51.

Il faut remarquer que l'hyver de cette mesme année a esté fort grand, tant pour la rigueur des froidures, neiges et glaces qui ont esté dans la rivière fort longtemps et mesme avec l'eau grande, qui ont fait grand dommage entr'autres au pont de bois vis-à-vis le

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moulin des chanoines, que pour sa longueur extraordinaire ayant duré jusqu'au jour de la Trinité, 16° de juin, faisant des pluies continuelles, avec un air toujours froid et des gelées matutinales qui ont gasté beaucoup les vignes; qui fut cause qu'on fist des processions, tant générales que particulières, par les paroisses et maisons religieuses, pour la disposition du temps, et la procession générale ayant esté faite ledit jour de la Trinité, dès le lendemain la pluie cessa, le temps se mit au beau et commença à faire chaud; ce qui réjouit beaucoup tout le peuple et tous les biens de la terre.

En l'année 1659, l'hyver, c'est-à-dire le froid commença un sabmedy 13 décembre et dura onze semaines si froid, qu'il n'y a personne à présent vivant qui en ait veu un pareil en durée, en froidure, en glaces sur les rivières et en neiges sur la terre, car sa durée a esté de onze semaines entières depuis le 13° décembre jusqu'au 25 febvrier sans interruption. Sa froidure a esté aussi aspre qu'elle a esté continue, qui a tellement glacé les rivières, qu'on cheminoit par-dessus tout ainsy que sur la terre, et le jour de SaintSébastien 20 janvier, plusieurs personnes vinrent depuis Saint-Sébastien jusqu'en petite et grande Bièces par la rivière sur la glace qui estoit tant au-dessus qu'au-dessous du pont. Tous les jours on voyoit quantité de Hollandois à glisser sur la glace, depuis la Fosse jusqu'à l'Hermitage et depuis Toussaints jusqu'au bas de la Prée au Duc, et une infinité d'autres qui couroient et se promenoient sur les rivières et passoient d'un bord à l'autre, sans crainte et sans appréhension. Et moy-mesme qui escris cecy, âgé de soixante-six ans passés, j'allay depuis le port au-dessous de l'hospital de Toussaints jusqu'au magasin de M. Vaunarse, de l'autre costé de la rivière, et ce le propre jour des Roys, 6 janvier 1660, et m'en retournay encore par la mesme voye. Quant aux neiges, il en fit grande quantité, à trois ou quatre reprises, qui tinrent la terre tellement converte, que personne ne pouvoit travailler, aller ny venir à la campagne. Tout ce que dessus fut accompagné d'un verglas qui empeschoit de cheminer pour le grand péril qu'il y avoit de tomber, et, de vray, il y en eut plusieurs qui tombèrent si lourdement que les uns en sont morts, les autres se sont rompus les jambes, les autres les bras et d'autres se sont diversement blessés. Et ce qui estoit encore plus pitoyable, c'estoit une infinité de pauvres gens qui mouroient de faim et de froid, ne pouvant pas travailler pour gagner

du pain et avoir un pauvre brochet de bois pour se chauffer ('), et ne s'en trouvoit mesme pas, estant aussy rare que peut-estre on l'ait jamais veu à Nantes et aux fauxbourgs.

Le vendredy 30 janvier audit an, on roula quantité de pipes de vin par-dessus la rivière, au-dessous du pont de Toussaints, depuis le magasin de M. Vanarmerden jusqu'à celui de M. Vaunarse.

La misère, la pauvreté et la nécessité furent si grandes et si extrêmes, que les pauvres gens, tant de la ville et des fauxbourgs que des villages de la campagne, mourants de faim, esmeurent de pitié les messieurs de Nantes, et permirent qu'ils entrassent dans leur ville pour demander l'aumosne à leurs portes et par les rues, la dernière sepmaine de janvier et depuis, ce que s'ils n'eussert permis, il eût faillu nécessairement qu'une grande partie des pauvres villageois eust péry de faim et de necessité. Et ne s'est jamais veu, de connoissance d'homme vivant, saison plus propre pour gaigner le paradis, par les œuvres de charité et de l'aumosne, que celle-cy, estant comme impossible de faire une vingtaine de pas par les rues sans rencontrer envers qui l'exercer. Dieu les veuille bien consoler, et inspirer les gens de bien à les assister. Ainsi soit-il.

Voir Travers, tome III, page 367.

Ce tableau navrant de l'horrible misère des classes laborieuses et de leur condition si précaire au moindre chômage, ne devait pas être perdu pour l'histoire générale. Ne fût-ce que pour servir à couper court aux doléances qu'on nous ressasse incessamment sur le bonheur perdurable des populations dans l'ancien régime, le témoignage d'un homme aussi compétent que l'aumônier de Toussaint méritait d'être recueilli, et nous le signalons. Il peut servir de bordure au portrait célèbre que La Bruyère traçait vers le même temps des paysans français : « L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne... Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines: ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. » (Chap. XI, de l'Homme.) Hélas! on peut juger, par le récit de l'aumônier, s'il leur en restait assez, de ce pain noir, dans les mauvais jours de l'hiver.

(1) Sans doute un de ces petits fagots qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de curet. Nantes était cependant alors comme assiégé de vastes forêts; mais on ne les exploitait pas, parce qu'il n'y avait aucune industrie et qu'on ne savait pas utiliser ses ressources. Puis, quand la bise venait, on se trouvait fort dépourvu de ce dont on manquait le moins. Dans cet heureux temps, nos pères inouraient de froid, ayant trop de bois vert à leur porte!

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