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Le vaste dessein auquel ces remarquables édits, si fortement empreints de l'esprit des fondations durables, commençaient à donner un corps et eussent imprimé la vie, se brisa contre la résistance égoïste de la haute magistrature bretonne, combinée avec les préjugés de caste et les intérêts de clocher froissés. Il ne fut, en effet, jamais confirmé ni approuvé, ainsi qu'on peut le vérifier dans la Table raisonnée des ordonnances, edits, déclarations et lettres patentes du roi, enregistrés au parlement de Bretagne, depuis sa création jusqu'en 1750, imprimée par ordre de ce parlement (1), où la mention de l'enregistrement brille par la lacune à l'article MORBIHAN. Mais s'il ne fut pas exécuté tout d'abord, ce ne fut qu'une interruption, car le triomphe des idées utiles n'est jamais qu'une question de temps. Repris successivement, sous une autre forme et dans d'autres conditions, après diverses tentatives plus ou moins heureuses, il fut enfin réalisé par Louis XIV, sous la dénomination de Compagnie des Indes. Seulement, ce ne fut plus au profit exclusif de la Bretagne, et cela par la faute surtout de son parlement; tant il est vrai que c'est notre malheur à tous, comme l'écrit Voltaire, que les vérités et les découvertes essuient longtemps parmi nous des contradictions (voir note B).

Il doit y avoir, parmi les archives provenant de l'ancien parlement provincial et conservées aujourd'hui au greffe de la cour d'appel de Rennes, un curieux dossier relatif à cette affaire et aux fins de nonrecevoir que lui suscitèrent les robins du temps. Nous regrettons de ne pas nous être trouvé à portée de le consulter. Pour y suppléer un peu, nous publierons les quelques pièces suivantes, qui se sont retrouvées dans les papiers de la mairie de Nantes, depuis que M. Etiennez en a débrouillé le chaos. Tout incomplètes qu'elles sont, elles nous paraissent confirmer pleinement les allégations de Richelieu. La première en date est une lettre adressée au procureur syndic de la ville de Nantes par le substitut du procureur syndic des États de Bretagne, sur la marche à suivre pour s'opposer à l'exécution de l'édit relatif à l'établissement du commerce au havre du Morbihan; elle est ainsi conçue :

« Monsieur,

« Je vous envoie ce messager exprès pour vous donner avis que la Cour

(1) Rennes, Vatar, 1757, in-4o de 139 pages.

doit délibérer, lundi prochain, sans remise, sur l'édit de Morbihan, et que j'ai appris qu'outre l'opposition de messieurs des Estats, il est à propos que les communautés, les plus intéressées en cet établissement, s'émeuvent pour l'empêcher; et pour ce que la vôtre est l'une de celles qui en recevroient davantage d'incommodité, je crois que vous viendrez, ou quelque autre de votre corps, dans ce temps-là, pour y apporter l'ordre nécessaire. Cependant, vous serez informé de la teneur dudit édit par le double que je vous envoie, avec l'ordonnance de mesdits sieurs des Estats sur ce sujet, suivant laquelle je vous fais cette dépêche et vous supplie de me croire toujours, comme je suis, votre très-humble serviteur,

« CORVILLON,

« Substitut de M. le procureur syndic des Estats.

« A Rennes, ce 8 mars 1627. »

Cette lettre, qui paraît avoir été une sorte de circulaire envoyée aux principales villes de la province, fut suivie d'une requête adressée au parlement par les villes de Nantes, Rennes et Saint-Malo, tendant à ce que cet édit fût communiqué aux États, avant toute vérification ou exécution. Nous la reproduisons d'après une copie du temps, sans signature ni date. Évidemment postérieure de quelques jours à la lettre d'avis du substitut du procureur syndic des États, elle témoigne assez par elle-même des menées qui la suggérèrent. La simple lecture les fera suffisamment ressortir, sans que nous les signalions.

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« A NOS SEIGneurs de ParLEMENT.

Supplient humblement les nobles bourgeois et habitants des villes de Nantes, Rennes et Saint-Malo.

<< Disant que, sur l'avis donné en l'assemblée des gens des trois Estats de ce pays de plusieurs novallités préjudiciables à la province, et singulièrement de l'establissement de certaine société et compaignie de commerce au havre de Morbihan par édit particulier de cet effet, il auroit été conclu en l'assemblée desdits des Estats, qu'il seroit en leur nom, et par leur procureur syndic, envoyé copie dudit édit à messieurs les prélats, chapitres principaux, de la noblesse et aux communautés, pour voir ce que se trouveroit contraire aux droits, franchises et libertés de la province, pour, à la prochaine Assemblée, prendre telle résolution qu'ils voiroient estre à faire, et au cas qu'avant ladite Assemblée, ledit traité fût présenté en la Cour, chargé leur procureur syndic de requérir la surséance de la vérification, jusqu'à ce que le tout eût été représenté auxdits Estats, ensuite de laquelle résolution, et sur ce que la

vérification d'icelui édit et establissement auroit été poursuivie, le procureur syndic desdits gens des Estats auroit, par requête présentée à cette fin, requis la surséance de ladite vérification jusqu'à ce que ledit édit eût été représenté et vu en l'Assemblée prochaine, qui se tiendra, d'autorité du roy desdits Estats, et, ce pendant, formé opposition contre la vérification et outre, auroit ledit procureur syndic, ou ceux qui agissent en son absence, envoyé depuis peu aux suppliants copie dudit édit et establissement de ladite Compagnie de commerce au havre et environs de Morbihan, par la vue et lecture duquel encore que les suppliants et un chacun reconnoissent sensiblement que telle novallité traîne avec soi des ruines et préjudices insupportables, à quoi il sera impossible d'apporter ci-après le remède, si elle demeuroit autorisée; en quoi l'intérêt du général de la province, des communautés et des particuliers, est tellement mêlé, qu'à peine se peut-il disjoindre et séparer, si bien qu'en une affaire de ce poids et de cette conséquence, ils sont en la recherche et disquisition des mémoires et instructions qu'ils peuvent fournir en ladite assemblée prochaine desdits Estats, en l'endroit de la représentation et examen qui s'y doit faire d'icelui édit, suivant même les priviléges accordés à la province de temps en autre, où ils espèrent faire voir à l'œil et toucher au doigt qu'il ne s'est oncques présenté novallité de conséquence plus fâcheuse et ruineuse que celle-là; en sorte qu'il ne se peut faire que la bonté du roy les éconduise des supplications qu'ils lui pourront faire sur ce sujet. Mais d'autant que les suppliants ont eu avis, il y a peu de jours, qu'on devoit délibérer sur ledit establissement, ils ont cru être obligés de joindre leur requête avec celle desdits gens des Estals, ne se pouvant faire que les membres ne se ressentent de l'affliction et incommodité du corps, et, ce faisant, de requérir comme ils font; ce considéré,

« Vous plaise, nos seigneurs, voir l'ordonnance desdits Estats ci-attachée, ordonner que ledit édit sera représenté et vu en leur assemblée prochaine, qui sera convoquée d'autorité de Sa Majesté; qu'il sera jusques à ce tardé de délibérer sur la vérification d'icelui, et, ce pendant, recevoir l'opposition formelle que font les suppliants contre ladite vérification, exécution dudit édit et tout ce que se pourroit faire en suite et conséquence d'icelui, et de ladite opposition leur décerner acte, et ferez bien. »>

Aussitôt après la réception de cette requête, et d'une autre présentée par la ville de Hennebon, le parlement rendit l'arrêt suivant, portant que l'édit serait présenté aux États du pays avant de procéder à sa vérification, et, en attendant, communiqué à leur procureur syndic, ainsi qu'à ceux des quatre villes opposantes; ce dont celles-ci n'avaient guère besoin, puisqu'elles en avaient déjà reçu copie par l'intermédiaire du substitut Corvillon :

Extrait des registres du Parlement.

« Ont été vues, chambres assemblées, les lettres patentes du roy en forme d'édit, données à Nantes au mois d'août 1626, signées Louis, et plus bas, par le roy, POTIER, et scellées du grand sceau de cire verte à lacs de soie verte et rouge, par lesquelles Sa Majesté établit, approuve et confirme une société et compagnie de cent associés au port de Morbihan, en cette province, pour le commerce général par mer et par terre, dedans et dehors le royaume, Levant, Ponant et voyages de long cours, sous les conditions, priviléges, immunités, franchises et libertés déclarées par ledit édit, ainsi qu'il est plus à plein contenu par icelui; trois requêtes du procureur syndic des gens des trois Estats en ce pays, tendantes à avoir communication dudit édit, et d'être reçus opposants à la vérification d'icelui; ordonnance desdits gens des Estats, du 19 mai audit an, attachée auxdites requêtes; deux autres requêtes, l'une présentée par les bourgeois et habitants des villes de Nantes, Rennes et Saint-Malo, et l'autre par les bourgeois et habitants de la ville de Hennebon, à ce que ledit édit soit vu et représenté en la prochaine assemblée desdits gens des trois Estats, qui sera convoquée d'autorité de Sadite Majesté, et, jusques à ce, qu'il soit tardé de délibérer sur la vérification d'icelui; cependant recevoir leur opposition formelle contre la teneur et exécution, et leur en décerner acte; conclusions de l'avocat général du roi.

« Et sur ce délibéré, a été arrêté que ledit édit sera représenté aux gens des trois Estats de ce pays en leur prochaine assemblée, pour eux ouïs, et lesdits habitants de Nantes, Rennes, Saint-Malo et Hennebon, être ordonné ce qu'il appartiendra. Ce pendant, ledit procureur des Estats et ceux desdites communautés pourront prendre communication et copie dudit édit, par les mains du greffier.

« Fait en parlement, à Rennes, le 15 mars 1627.

« MONNERAYE. »

Après avoir dressé subrepticement toutes ces oppositions de clocher, le parlement renvoya, d'après le droit public de la province, l'édit du Morbihan aux États qui se réunirent de nouveau à Nantes, sur la fin de l'année suivante, espérant qu'ils l'enterreraient pour lui. Mais ceux-ci, trompant son attente, arrêtèrent, après en avoir délibéré :

« 1° Que par leurs députés Sa Majesté seroit très-humblement remerciée de l'établissement désigné audit Morbihan, et suppliée qu'en continuant ses bienfaits à la Bretagne, pour y autoriser

d'autant plus le commerce, de leur donner déclaration, par laquelle unissant d'effet, comme de situation, la communauté de Morbihan aux droits de la province, il fût dit que la communauté seroit obligée d'assister à la tenue des États par ses députés, et représentée pour une des communautés de ladite province;

<< 2° Que les cent associés ne pourront prétendre aucun commerce prohibitif aux autres villes et habitants de la province, soit de denrées ou de lieu, dedans ou dehors le royaume;

« 3° Que les défenses de commerce qu'il plaira faire à Sa Majesté, selon les occurrences, seront publiées et observées audit Morbihan, tout ainsi qu'aux autres ports et havres du royaume;

<< 4° Que la juridiction spirituelle demeurera à l'évêque diocésain, et la juridiction temporelle des terres concédées auxdits associés, outre l'enclos dudit Morbihan, demeurera sujette aux juges ordinaires, dont les choses relèvent; et, pour l'appel, au présidial de Vannes et parlement de Rennes, comme il est accoutumé. Et pour l'enclos des faubourgs de la ville, distrait par l'édit de la juridiction ordinaire, les juges dont ils relevoient en seront indemnisés par Sa Majesté, ou lesdits associés;

« 5° Que, lors de l'établissement, les originaires de la province seront préférés, voulant être du nombre des associés portés par l'édit, sans que néanmoins aucuns des non-originaires de ladite province en puissent être exclus, après y avoir été admis lors dudit établissement;

« 6o Et M. le cardinal de Richelieu supplié, au nom de la province, qu'ainsi qu'il contribué ses conseils et ses soins pour ledit établissement de Morbihan, dont il sera très-humblement remercié, qu'il lui plaise faciliter l'obtention de la présente déclaration. Fait en l'assemblée des États, le 27 janvier 1628 (1). »

DUGAST-MATIFEUX.

(La suite prochainement.)

(1) Le Mercure françois, t. XIV, p. 140-42.

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