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UNE DES PLUS JEUNES ISRAELITES. Ciel! qui nous défendra, si tu ne nous défends? MARDO CHÉ E.

Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
En vous est tout l'espoir de vos malheureux frères;
Il faut les secourir. Mais les heures sont chères :
Le temps vole, et bientôt amènera le jour
Où le nom des Hébreux doit périr sans retour.
Toute pleine du feu de tant de saints prophètes,
Allez, osez au roi déclarer qui vous êtes.

ESTHER.

Hélas! ignorez-vous quelles sévères lois
Aux timides mortels cachent ici les rois?
Au fond de leur palais leur majesté terrible
Affecte à leurs sujets de se rendre invisible;
Et la mort est le prix de tout audacieux

Qui, sans être appelé, se présente à leurs yeux,
Si le roi dans l'instant, pour sauver le coupable,
Ne lui donne à baiser son sceptre redoutable.
Rien ne met à l'abri de cet ordre fatal,

Ni le rang,
ni le sexe; et le crime est égal.
Moi-même, sur son trône à ses côtés assise,
Je suis à cette loi comme une autre soumise ;
Et sans le prévenir, il faut, pour lui parler,

Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeler.
MARDO CHÉ E.

Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie!
Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux !

Que dis-je? votre vie, Esther, est-elle à vous?
N'est-elle pas au sang dont vous êtes issue?
N'est-elle à Dieu dont vous l'avez reçue?
pas

Et qui sait, lorsqu'au trône il conduisit vos pas,
Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas?
Songez-y bien. Ce Dieu ne vous a pas choisie
Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Asie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains:
Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
S'immoler pour son nom et pour son héritage,
D'un enfant d'Israël voilà le vrai partage:

Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours!
Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours?
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre?
En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre :
Pour dissiper leur ligue, il n'a qu'à se montrer;
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble:
Il voit comme un néant tout l'univers ensemble;
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,
Sans doute qu'il voulait éprouver votre zèle.
C'est lui qui m'excitant à vous oser chercher,
Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher;
Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles.
Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers
Par la plus faible main qui soit dans l'univers ;

Et vous, qui n'aurez point accepté cette grace,
Vous périrez peut-être, et toute votre race.

ESTHER.

Allez que tous les Juifs dans Suze répandus,
A prier avec vous jour et nuit assidus,

Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire,
Et pendant ces trois jours gardent un jeûne austère.
Déja la sombre nuit a commencé son tour:
Demain, quand le soleil rallumera le jour,
Contente de périr, s'il faut que je périsse,
J'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice.
Qu'on s'éloigne un moment.

(Le chœur se retire vers le fond du théâtre.)

SCENE I V.

ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.

ES THE R.

O mon souverain roi!

Me voici donc tremblante et seule devant toi.
Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance
Qu'avec nous tu juras une sainte alliance,
Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plut à ton amour de choisir nos aïeux.

Même tu leur promis de ta bouche sacrée,

Une postérité d'éternelle durée.

Hélas! ce peuple ingrat a méprisé ta loi :
La nation chérie a violé sa foi ;

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Elle a répudié son époux et son père,

Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère.
Maintenant elle sert sous un maître étranger.

Mais c'est peu

d'être esclave, on la veut égorger:
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.
Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourrait anéantir la foi de tes oracles;

Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
Le saint que tu promets, et que nous attendons?
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches
Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
Qui dans tout l'univers célèbrent tes bienfaits;
Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidelles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leur table, leurs festins et leurs libations;
Que même cette pompe où je suis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
Dans ces jours solennels à l'orgueil dédiés,
Seule et dans le secret je le foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornements je préfère la cendre,'

Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre.
J'attendais le moment marqué dans ton arrêt,

Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt.

Ce moment est venu : ma prompte obéissance

Va d'un roi redoutable affronter la présence.

C'est pour

toi que je marche : accompagne mes pas

Devant ce fier lion qui ne te connaît pas.

Commande, en me voyant, que son courroux s'appaise,
Et prête à mes discours un charme qui lui plaise.
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis:
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.

SCENE V.

Toute cette scène est chantée.

LE CHOEUR.

UNE ISRA ÉLITE, seule.
Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes;
A nos sanglots donnons un libre cours:
Levons les yeux vers les saintes montagnes
D'où l'innocence attend tout son secours.
O mortelles alarmes !

Tout Israël périt. Pleurez, mes tristes yeux:
Il ne fut jamais sous les cieux

Un si juste sujet de larmes.

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O mortelles alarmes!

UNE AUTRE ISRAELITE.

N'était-ce pas assez qu'un vainqueur odieux
De l'auguste Sion eût détruit tous les charmes,
Et traîné ses enfants captifs en mille lieux?

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