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n'avez pas considéré que ni monsieur d'Urfé, ni Corneille, ni Gomberville votre ancien ami, n'étaient point responsables de la conduite de Desmarêts: vous les avez tous enveloppés dans sa disgrace. Vous avez même oublié que mademoiselle de Scudéry avait fait une peinture avantageuse du Port-Royal dans sa Clélie. Cependant j'avais ouï dire que vous aviez souffert patiemment qu'on vous eût loués dans ce livre horrible. L'on fit venir au désert le volume qui parlait de vous: il y courut de main en main, et tous les solitaires voulurent voir l'endroit où ils étaient traités d'illustres. Ne lui a-t-on pas même rendu ses louanges dans l'une des Provinciales? et n'est-ce pas elle que l'auteur entend, lorsqu'il parle d'une personne qu'il admire sans la connaître?

Mais, monsieur, si je m'en souviens, on a loué même Desmarêts dans ces lettres. D'abord l'auteur en avait parlé avec mépris, sur le bruit qui courait qu'il travaillait aux apologies des jésuites. Il vous fit savoir qu'il n'y avait point de part : aussitôt il fut loué comme un homme d'honneur, et comme un homme d'esprit.

Tout de bon, monsieur, ne vous semble-t-il pas qu'on pourrait faire sur ce procédé les mêmes réflexions que vous avez faites tant de fois sur le procédé des jésuites? Vous les accusez de n'envisager dans les personnes, que la haine ou l'amour qu'on avait pour leur compagnie. Vous deviez éviter de leur ressembler. Cependant on vous a vus de tout

temps louer et blâmer le même homme, selon que vous étiez contents ou mal satisfaits de lui. Sur quoi je vous ferai souvenir d'une petite histoire que m'a contée autrefois un de vos amis : elle marque assez bien votre caractère.

Il disait qu'un jour deux capucins arrivèrent à Port-Royal, et y demandèrent l'hospitalité. On les reçut d'abord assez froidement, comme tous les religieux y étaient reçus. Mais enfin il était tard, et l'on ne put pas se dispenser de les recevoir. On les mit tous deux dans une chambre, et on leur porta à souper. Comme ils étaient à table, le diable, qui ne voulait pas que ces bons pères soupassent à leur aise, mit dans la tête de quelqu'un de vos messieurs, que l'un de ces capucins était un certain père Maillard, qui s'était depuis peu signalé à Rome en sollicitant la bulle du pape contre Jansénius. Ce bruit vint aux oreilles de la mère Angélique'. Elle accourt au parloir avec précipitation, et demande qu'est-ce qu'on a servi aux capucins, quel pain et quel vin on leur a donné. La tourière lui répond qu'on leur a donné du pain blanc et du vin des messieurs. Cette supérieure zélée commande qu'on le leur ôte, et que l'on mette devant eux du pain des valets et du cidre. L'ordre s'exécute. Ces bons pères, qui avaient bu chacun un coup, sont bien

Mère Angélique. Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Elle était sœur de monsieur Arnauld, docteur de Sorbonne, et de monsieur d'Andilli.

étonnés de ce changement. Ils

prennent pourtant la chose en patience, et se couchent, non sans admirer le soin qu'on prenait de leur faire faire pénitence. Le lendemain ils demandèrent à dire la messe, ce qu'on ne put pas leur refuser. Comme ils la disaient, monsieur de Bagnols entra dans l'église, et fut bien surpris de trouver le visage d'un capucin de ses parents, dans celui que l'on prenait pour le père Maillard. Monsieur de Bagnols avertit la mère Angélique de son erreur, et l'assura que ce père était un fort bon religieux, et même dans le cœur assez ami de la vérité. Que fit la mère Angélique? elle donna des ordres tout contraires à ceux du jour de devant. Les capucins furent conduits avec honneur de l'église dans le réfectoire, où ils trouvèrent un bon déjeûner qui les attendait, et qu'ils mangèrent de fort bon cœur, bénissant Dieu qui ne leur avait pas fait manger leur pain blanc le premier.

Voilà, monsieur, comme vous avez traité Desmarêts, et comme vous avez toujours traité tout le monde. Qu'une femme fût dans le désordre, qu'un homme fût dans la débauche, s'ils se disaient de vos amis, vous espériez toujours de leur salut; s'ils vous étaient peu favorables, quelque vertueux qu'ils fussent, vous appréhendiez toujours le jugement de Dieu pour eux. La science était traitée comme la vertu. Ce n'était pas assez, pour être savant, d'avoir étudié toute sa vie, d'avoir lu tous les auteurs ; il fallait avoir lu Jansénius, et n'y avoir point lu les propositions.

Je ne doute point que vous ne vous justifiiez par l'exemple de quelque père : car qu'est-ce que vous ne trouvez point dans les pères? Vous nous direz que saint Jérôme a loué Rufin comme le plus savant homme de son siècle, tant qu'il a été son ami; et qu'il traita le même Rufin comme le plus ignorant de son siècle, depuis qu'il se fut jeté dans le parti d'Origène. Mais vous m'avouerez que ce n'est pas cette inégalité de sentiments qui l'a mis au rang des saints et des docteurs de l'Eglise.

Et, sans sortir encore de l'exemple de Desmarêts, quelles exclamations ne faites-vous point sur ce qu'un homme qui a fait autrefois des romans, et qui confesse, à ce que vous dites, qu'il a mené une vie déréglée, a la hardiesse d'écrire sur les matières de la religion. Dites-moi, monsieur, que faisait dans le monde monsieur le Maître? Il plaidait, il faisait des vers : tout cela est également profane, selon vos maximes. Il avoue aussi, dans une lettre, qu'il a été dans le dérèglement, et qu'il s'est retiré chez vous pour pleurer ses crimes. Comment donc avez-vous souffert qu'il ait tant fait de traductions, tant de livres sur les matières de la grace? Ho! ho! direzvous, il a fait auparavant une longue et sérieuse pénitence : il a été deux ans entiers a bêcher le jardin, à faucher les prés, à laver les vaisselles; voilà ce qui l'a rendu digne de la doctrine de saint Augustin. Mais, monsieur, vous ne savez pas quelle a été la pénitence de Desmarêts; peut-être a-t-il fait plus

que tout cela. Croyez-moi, vous n'y regarderiez point de si près, s'il avait écrit en votre faveur: c'était là le seul moyen de sanctifier une plume profanée par des romans et des comédies.

Enfin, je vous demanderais volontiers ce qu'il faut que nous lisions, si ces sortes d'ouvrages nous sont défendus. Encore faut-il que l'esprit se délasse quelquefois : nous ne pouvons pas toujours lire vos livres. Et puis, à vous dire la vérité, vos livres ne se font plus lire comme ils faisaient. 'Il y a longtemps que vous ne dites plus rien de nouveau. En combien de façons avez-vous conté l'histoire du pape Honorius! Que l'on regarde ce que vous avez fait depuis dix ans, vos disquisitions, vos dissertations, vos réflexions, vos considérations, vos observations, on n'y trouvera aucune chose, sinon que les propositions ne sont pas dans Jansénius. Hé, messieurs! demeurez-en là ; ne le dites plus. Aussi bien, à vous parler franchement, nous sommes résolus d'en croire plutôt le pape et le clergé de France que vous.

Pour vous, monsieur, qui entrez maintenant en lice contre Desmarêts, nous ne refusons point de lire vos lettres. Poussez votre'ennemi à toute rigueur; examinez chrétiennement ses mœurs et ses livres; feuilletez les registres du châtelet; employez l'autorité de saint Bernard pour le déclarer visionnaire; établissez de bonnes règles pour nous aider à reconnaître les fous; nous nous en servirons en temps et lieux. Mais ne lui portez point de coups.

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