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Après un séjour de quelques années à Paris, séjour embelli par des plaisirs sans cesse renaissants, la lassitude, l'ennui, ou plutôt la mobilité du caractère de Parny, l'engagèrent à retourner à l'île Bourbon. Il partit donc, et y trouva le bonheur. « Poëte et créole, a dit Chateaubriand, il ne lui fallait que le ciel de l'Inde, une fontaine, un palmier, et une femme! » Cette femme fut Eléonore B***; il l'aima de toutes les forces d'une âme passionnée; mais la jeune fille était promise, et Parny dut quitter Bourbon, au moment où elle allait passer dans les bras d'un époux. Cet échec fit dans le cœur du jeune homme une blessure profonde. Revenu en France, il délaissa ses amis, rechercha la solitude, et, retraçant son amour par des vers, il donna un libre cours à la douleur qu'il y avait laissée. Voluptueux par nature et fils d'une littérature épicurienne, Parny avait d'abord payé son tribut au faux goût du temps, à la mode enfin; mais à ce moment, le cœur encore oppressé par un amour déçu, son esprit s'agrandit et ses idées s'épurèrent. Les Elégies qui furent le fruit de ses solitaires travaux, empreintes de mélancolie, écrites naturellement, avec une simplicité à laquelle les Dorat, les Pezay et autres étaient loin d'avoir habitué le public, firent événement dans ce monde littéraire en décadence. Elles furent aussi le plus brillant rayon de sa gloire, et pour nous elles sont encore son plus beau titre. En 1784, Parny s'éloigna une seconde fois de France, désireux de revoir les lieux témoins de ses

amours. Il partit, comme aide de camp du vicomte de Souillac et parcourut la côte du Coromandel, aborda au Cap, à Buenos-Ayres et finit par s'embarquer pour les Indes, où il demeura deux années. Mais, sa santé s'opposant à de plus longs déplacements, il revint en France « riche de ses études, de ses voyages et de ses souvenirs, a dit de Jouy. Son coeur avait perdu ses tendres illusions, mais leur reflet colorait encore sa vive et brillante imagination; le sentiment qu'il n'éprouvait plus s'exhalait encore de son âme, semblable à ces fleurs qui laissent une odeur suave aux vases où elles ont longtemps séjourné. Plusieurs compositions charmantes, parmi lesquelles on distingue les Tableaux, la Journée champêtre, les Déguisements de Vénus, ajoutèrent à la réputation du poëte en signalant toutes les facultés de son esprit.

» L'ensemble des qualités dont se compose le caractère particulier de son talent, une élégance facile et soutenue, un sentiment inné de l'harmonie poétique, un naturel exquis, un style éminemment pur, brillent dans cette partie de son ouvrage : le charme qu'ils y répandent est d'autant plus durable, qu'il est plus étranger à ces combinaisons futiles où l'on cherche dans la bizarrerie de l'expression l'effet qui ne doit appartenir qu'à l'image et à la pensée.

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La Révolution, qui survint, le trouva favorable à ses réformes. « Elle ne m'ôte rien, disait-il, puisque je n'ai ni places, ni pensions, ni préjugés. » Les excès de ses gouvernants firent cependant disparai

tre son égoïsme; un sentiment de douleur profonde émut son cœur lorsque furent sacrifiées les deux plus nobles victimes de ces temps malheureux, le roi et la reine de France, et, sans hésiter, il livra aux flammes un poëme critique dont les amours des reines et régentes du royaume avaient fourni le sujet. Toutefois il ne montra pas la même délicatesse envers les vaincus lorsqu'il publia la Guerre des Dieux. Mais il était déjà redevenu le poëte épicurien de la plus funeste école de Voltaire, et le souvenir d'Eléonore s'était enfui à tout jamais de sop esprit et de son cœur.

Ce fut en 1803 que Parny fut admis au nombre des Quarante. Il voulut mériter cet honneur par de nouveaux travaux plus dignes que ses dernières compositions et tout au moins analogues à ses premières. Goddam, parodie de la conquête d'Angleterre par les Normands, parut vers l'époque de son admission. Isnel et Aslèga vint après. Des vers gracieux et délicats, une mélodie douce et bien rhythmée, font le charme de cet ouvrage. Les RoseCroix, poëme dans lequel brillent encore de nombreux éclairs de talent, furent son adieu aux lettres.

Français (de Nantes), directeur général des droits réunis, son Mécène, lui avait procuré dans ses bureaux un emploi, ou plutôt une sinécure, que la modicité de sa fortune l'avait contraint de sollieiter. Il y eût probablement fini ses jours sans une douloureuse maladie qui le retint chez lui depuis 1810 jusqu'à sa mort, arrivée le 5 décembre 1814.

<< Cette mort, au milieu des graves circonstances publiques, a dit M. Sainte-Beuve, excita de sensibles, d'unanimes regrets, et rassembla un moment tous les éloges. Comme on avait perdu Delille l'année précédente, on remarquait que c'était ainsi que, dans l'antiquité, Virgile et Tibulle s'étaient suivis de près au tombeau. Certes, Parny était bien, en toute légitimité, un cadet de Tibulle, comme il s'intitulait lui-même modestement, tandis que Delille n'était, au plus, que l'abbé Virgile.

» Béranger, alors à ses débuts, pleura Parny par une chanson touchante et filiale; elle nous rappelle combien son essaim d'abeilles, avant de prendre le grand essor et de s'envoler dans le rayon, avait dû butiner en secret et se nourrir au sein des œuvres de l'élégiaque railleur. »

Les éloges non plus que les critiques n'ont manqué à Parny: son talent si divers a mérité les uns et les autres. Nous ne nous étendrons donc pas sur des œuvres aujourd'hui populaires; mais nous nous contenterons d'emprunter au discours de de Jouy la rapide analyse qu'il en faisait, et qui est à nos yeux comme une sorte de clef du talent à la fois mélancolique et libertin de notre gracieux poëte. « Ses ouvrages, dit-il, partagent sa carrière poétique en trois parts bien distinctes dans la première, il s'abandonne aux seules inspirations de son cœur ; dans la seconde, il se crée un monde idéal, où son imagination se joue au milieu des enchantements qu'elle fait naître; son talent, dans la troi

sième, prend une direction tout à fait différente;

il

y reste sous la seule influence de son esprit. Il était doué de cette faculté brillante au degré le plus éminent, et l'on ne commença peut-être à s'en apercevoir qu'au moment où il fut permis de lui en faire un reproche. Je m'abstiendrai d'en peser la valeur, et je n'arrêterai pas votre attention sur quelques ouvrages dont une morale sévère peut avoir à se plaindre car l'impartiale vérité me forcerait de convenir que ces débauches portent l'empreinte d'un grand talent qui s'ignore et d'un esprit supérieur, dont la sagesse elle-même gémit en secret de ne pouvoir nier l'éclat. »

V.

JOUY.

1815.

VICTOR-JOSEPH-ETIENNE, dit DE JOUY, est né à Jouy (Seine-et-Oise) en 1760. Élève du collège de Versailles, il quitta ses études pour suivre à la Guyane française le gouverneur de cette colonie en qualité de sous-lieutenant; puis, sentant bientôt son ignorance, il déposa l'épaulette et revint à Versailles achever ses études. Au bout de deux ans, on le retrouve aux Indes, servant comme officier au régiment de Luxembourg; visitant ensuite, avec le grade d'officier d'état-major, le Bengale et la côte de Coro

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