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sous-précepteur des enfants de France; mais, pour obtenir cette distinction, ce n'était pas lui qui avait besoin du passe-port de la place, et l'abbé Regnier, qui le reçut, était bien fondé à lui dire : « Vous n'avez point donné d'ouvrage au public qui ne fût digne de lui et de vous, soit par le choix des matières, soit par la manière de les traiter; mais l'ouvrage immense que vous avez entrepris en dernier lieu, et dont les premiers volumes font désirer les autres avec ardeur, l'Histoire ecclésiastique, matière véritablement digne de votre profession et de l'attention de tout le monde, ne demandait pas un moindre fonds de courage, de piété et d'érudition que vous en avez. » Et plus tard, le portrait que traça de lui l'abbé Roquette, recevant son successeur, n'offre rien de flatté : « Nous regretterons à jamais le pieux, le savant, l'illustre confrère, à qui vous succédez. Rien n'affaiblira parmi nous la vive impression de ses vertus. Qu'on en nomme une qui ne fût pas la sienne: la candeur, la droiture, l'affabilité, la douceur, l'exacte probité, firent, pour ainsi parler, le fond de son être, et, s'il est permis d'adopter ici la pensée d'un auteur profane, cet homme simple et modeste semblait moins l'image de la vertu que la vertu même.

» La nature lui prodigua les talents de l'esprit, l'étude lui acquit les richesses du savoir. Un jugement solide se trouvait joint en lui à une pénétration profonde, un goût exquis en tout genre de littérature, avec une mémoire vaste et fidèle, un génie facile et une ardeur infatigable pour le travail.

Elle le suivit jusque entre les bras de la mort. Oui, nous l'avons vu, ce vénérable vieillard, accablé sous le poids des ans et des infirmités, traîner ici, presque mourant, les débris d'un corps usé par les veilles, y venir nous communiquer ses lumières, profiter des nôtres, et, ce qui est plus rare dans un homme savant, nous l'avons vu soumettre avec docilité ses décisions au jugement de ceux mêmes qui respectaient les siennes. >>

Comme on le voit par ce dernier trait, l'abbé Fleury aimait les exercices académiques et l'assiduité aux séances; il avait en outre fort à cœur l'honneur de la Compagnie. Une place d'académicien vint à vaquer, et le président Hénault la demandait, lorsqu'il se présenta un concurrent puissant, c'est-à-dire titré. L'écrivain n'osa lutter contre un compétiteur si redoutable, selon la coutume assez générale à cette époque, et il alla trouver l'abbé Fleury, alors directeur, pour l'informer qu'il retirait sa candidature. L'abbé fit paisiblement observer à ce concurrent si timide qu'il y avait plus d'orgueil que de modération dans l'empressement à céder une place qu'on n'avait point encore, qu'on n'aurait jamais peut-être ; qu'ensuite, les hommes de lettres, à qui l'Académie appartient plus particulièrement, et qui eux-mêmes appartiennent à l'Académie, n'étaient faits pour céder à personne les droits qu'ils pouvaient avoir sur elle. Cela dit, il reconduisit poliment le candidat, en promettant, avec toute l'aménité possible, de lui refuser en tous temps son suffrage.

V.

ADAM.

1723.

JACQUES ADAM, né à Vendôme en 1663, mort en 1735, appartient à cette catégorie, très-peu nombreuse au reste, d'académiciens sans haute naissance et sans grandes dignités, n'ayant rien écrit, et pourtant estimables par leur savoir et leurs lumières, catégorie dans laquelle nous avons déjà vu l'abbé Alary. Les oratoriens de Vendôme, chez lesquels il fit ses études avec d'incroyables progrès, l'envoyèrent à Paris avec une lettre de recommandation pour Rollin, et celui-ci, après l'avoir essayé dans un premier emploi, l'adressa à l'abbé Fleury, qui lui avait demandé un homme instruit, capable de l'aider dans ses travaux sur l'Histoire ecclésiastique. L'abbé, surpris de la jeunesse d'Adam, qui n'avait pas quatorze ans et paraissait en avoir moins encore, crut à une plaisanterie : <«< Croyez-moi, lui dit Rollin, attachezvous cet enfant, et soyez sûr que vous me remercirez bientôt du présent que je vous fais. » C'est ce qui arriva, et Fleury ne dissimulait pas l'utilité dont Adam lui fut pour cet ouvrage.

Adam avait fait une étude particulière de notre langue, possédait à fond le grec, savait parfaitement l'hébreu, et avait des notions étendues de la plupart des langues de l'Europe. Sa mémoire était prodi

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gieuse et lui avait fait donner par ses amis le nom de dictionnaire vivant. L'illustre prince de Conti, celui que la Pologne souhaita vivement pour roi, désira en mourant que l'éducation de son fils lui fût confiée; celui-ci, devenu père à son tour, le donna pour précepteur à son enfant; et l'estime pour Adam étant devenue une tradition de famille dans la maison de Conti, son second élève le nomma plus tard secrétaire de ses commandements et chef de son conseil. Ce fut ce prince qui ambitionna pour lui un fauteuil à l'Académie, car Adam n'était pas assez orgueilleux pour y prétendre de lui-même; il se fit un plaisir d'assister à sa réception avec la princesse de Conti et Mlle de la Roche-sur-Yon. L'abbé Roquette, qui recevait le nouvel académicien, put lui dire, entre autres choses : « Pour peu que vous vous prêtiez au commerce de la société, on découvre bientôt une étendue, une plénitude de connaissances utiles, agréables et tellement diversifiées, que l'on trouve toujours en vous l'agrément de la nouveauté. La fable, l'histoire, les orateurs, les poëtes, sont rangés dans votre mémoire avec tant de netteté, d'ordre, de précision, que vos conversations pourraient tenir lieu de lecture. Les langues mortes et vivantes vous sont connues, vous sont familières. >>

Plus l'Académie le connut, plus elle eut lieu de s'applaudir de son choix. Adam, jaloux de payer aux lettres son contingent d'académicien, entreprit et acheva une traduction d'Athénée, et, comme de tous les auteurs de l'antiquité, celui-ci est celui qui

nous est arrivé le plus tronqué et corrompu, il se proposa d'en donner en même temps une édition grecque, dans laquelle il avait rétabli, avec une miraculeuse sagacité, plus de six mille passages. « Quoique un si grand nombre de restitutions semble presque incroyable, disait l'abbé de Rothelin au successeur d'Adam, ceux qui l'ont connu savent qu'il portait jusqu'au scrupule la crainte d'en trop dire lorsqu'il parlait de lui, et de n'en pas dire assez lorsqu'il parlait des autres. >> L'espoir que l'on avait de voir cet ouvrage paraître après sa mort a été déçu.

<< Adam, a dit d'Alembert était un de ces académiciens peu faits, à la vérité, pour décorer la Compagnie aux yeux du public, dans nos assemblées solennelles, mais qui n'en sont que plus nécessaires à nos séances intérieures, pour soutenir et fortifier notre travail commun par l'étendue et la variété de leurs connaissances. Cette classe de nos confrères est parmi nous

à

peu près ce que la classe des cultivateurs est dans l'État, celle qui alimente et fait vivre toutes les autres; elle ne joue pas le rôle le plus brillant, mais elle remplit pour nous le rôle le plus utile. » Adam, avant d'expirer, manifesta des scrupules sur le peu qu'il avait fait pour sa famille : « Je crains bien, ditil, d'avoir trop sacrifié aux occupations de mon état les soins que je devais à ces infortunés que ma mort laisse en bas-âge et dans l'indigence. » Il les recommanda au prince son élève, qui, on a regret à le dire, les oublia. Par la suite, un de ses fils, réduit à l'indigence sans qu'il y eût de sa faute, s'adressa à l'Acadé

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