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l'inconnu. Mais, plus le temps a ajouté aux dérèglements de cet empire et diminué la force capable de les tempérer, plus l'Académie doit être jalouse de remplir le noble rôle auquel la conviait Bossuet. Deux moyens d'action lui appartiennent, et, par une admirable rencontre, ces deux moyens sont à la fois les seuls puissants et les seuls qui ne la commet. tront jamais avec les passions et les querelles du présent: ce sont ses exemples et ses choix; double autorité par laquelle elle pèsera d'un juste poids dans les destinées de notre patrie, tant qu'on y fera cas des bons écrits et que les gens de lettres regarderont, avec l'élite de leurs prédécesseurs et de leurs maîtres depuis deux siècles, le titre de membre de l'Académie française comme le plus grand honneur où puisse prétendre un écrivain. >>

XXVII.

LE FAUTEUIL DE LA BRUYÈRE.

LE FAUTEUIL DE LA BRUYÈRE.

I.

RACAN.

1634.

HONORAT DE BEUIL, marquis DE RACAN, naquit en 1589 à la Roche-Racan, et y mourut en février 1670. Destiné à la profession des armes, il fut élevé dans une grande liberté : ses premières années se passèrent dans les loisirs de la campagne. Elevé en Touraine, les sites délicieux qui abondent dans ce jardin de la France, et les souvenirs poétiques dont ses chroniques sont pleines, furent ses meilleurs maîtres. A l'âge de seize ans, il entra comme page dans la chambre du roi, sous M. de Bellegarde. Malherbe était alors le commensal de ce seigneur illustre. Racan lui plut et s'en fit aimer; comme le jeune homme s'essayait déjà à rimer, il l'encouragea, l'aida de ses conseils et fit plus encore, si nous en croyons Racan lui-même, car il prétendait tenir de

Malherbe tout ce qu'il a jamais su de poésie. C'est montrer trop de modestie. Racan était né poëte, et il n'est guère permis que de lui reprocher d'avoir été parfois un versificateur médiocre. Boileau lui accordait même plus de génie qu'à son maître; «< mais, ajoutait le critique, il est plus négligé et songe trop à le copier; il excelle surtout, à mon avis, à dire de petites choses, et c'est en quoi il ressemble mieux aux anciens, que j'admire surtout en cet endroit. Plus les choses sont sèches et malaisées à dire en vers, plus elles frappent quand elles sont dites noblement et avec cette élégance qui fait proprement la poësie ». De là le parallèle du critique :

Malherbe d'un héros peut vanter les exploits,

Racan chanter Philis, les bergers et les bois ;

Et cependant il a dit quelque part que celui-ci pourrait chanter à défaut d'un Homère. Malherbe mérite davantage cette dernière louange, quoique son élève s'en rende digne parfois. Néanmoins quelques critiques, s'appuyant de cette dernière assertion, n'ont pas craint d'aller plus loin en rapprochant Racan de Corneille et de Racine. Nous ne saurions partager leurs vues. La véritable gloire de Racan est de nous avoir montré la nature dans toute sa simplicité. « Il a, dit à ce propos La Harpe, saisi le vrai ton de la pastorale, qu'il avait étudié dans Virgile. » L'essence première de son talent est dans ce sentiment exquis qu'il avait de cette nature, et qui, chez lui, s'épanouit en mille fleurs aux fraîches

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