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le caractère de Chateaubriand, l'auteur de Mme de Maintenon le résumait ainsi : « Tel était cet esprit ferme et élevé, que l'honneur semblait avoir pris plaisir à former lui-même, mélange du chevalier et du poëte, également capable de sacrifice et d'enthousiasme, indomptable au malheur, indifférent à la prospérité, peu désireux de la faveur de la fortune, amoureux surtout de solitude et d'indépen. dance, toujours prêt à obéir au cri de la conscience, ennemi né de l'oppression et de l'arbitraire...... comprenant avec une juste fierté toute sa valeur et tenant souvent peu de compte de ses intérêts et de sa personne, enfin sentant profondément le vide des choses humaines, d'où naissait en lui un fonds d'insouciance et de mélancolie qui pourtant n'altérait en rien sa persévérance et sa tenacité. Ce caractère explique toute la carrière de M. de Chateaubriand, dans la politique comme dans les lettres; il y a puisé l'originalité de son talent et la règle inflexible de sa conduite; et c'est à lui qu'il a dû d'avoir donné l'exemple, si rare au milieu des vicissitudes où nous vivons, de la fixité dans les opinions et de l'unité dans la vie. »

Nous ne saurions terminer cette biographie, bien qu'elle soit déjà un peu longue, sans insister sur la douleur que ressentit l'Académie en perdant l'illustre membre qui était son doyen. La plupart de ceux qui la composaient, ou étaient ses contemporains, ou avaient grandi à ses leçons; les uns se regardaient comme ses disciples, les autres comme ses compa

gnons

d'armes. Mais il dépouillait avec eux la pourdont le monde ne le voyait que revêtu, ne garpre dant la couronne dont s'était emparé son génie que pour la foule.

<< M. de Chateaubriand n'apportait dans la vie habituelle, dit M. Ampère, rien de la solennité de son style et du caractère souvent sombre de ses écrits. Le génie rêveur du chantre des ruines faisait place à un esprit net, lucide, très-sensé et même assez positif, doué, en un mot, des meilleures qualités de l'esprit français. Son langage, qui, comme ses manières, était d'une extrême élégance, était aussi d'une extrême simplicité. La mélancolie de René demeurait reléguée dans les hautes régions de sa fantaisie; peut-être se cachait-elle dans les secrètes profondeurs de son âme, mais elle ne troublait jamais l'agrément de son commerce. Ceux qui arrivaient jusqu'à M. de Chateaubriand après avoir traversé ses ouvrages et franchi pour ainsi dire son éblouissante renommée, étaient émerveillés et un peu surpris de trouver chez lui une gaîté douce, une facilité charmante, une aimable sérénité. Celle-ci était de la force; car elle n'a été troublée ni par les atteintes de la douleur, ni par l'approche de la

mort. >>>

Chateaubriand a cessé de vivre le 4 juillet 1848. Suivant le désir qu'il avait exprimé d'avoir sa tombe sur le rivage où il avait eu son berceau, ses cendres reposent aujourd'hui sur un des rochers de SaintMalo, au bord de l'Océan.

XIII.

M. LE DUC DE NOAILLES.

1849.

M. PAUL, duc DE NOAILLES, est né à Paris le 4 janvier 1802. Sa maison est l'une des plus anciennes de France; elle remonte plus haut que le x1° siècle. Après avoir fourni des preux et des abbés à nos fastes féodaux, des prélats, des maréchaux, des gouverneurs de province, un cardinal, des grands d'Espagne, des ambassadeurs et des ministres à nos annales monarchiques, elle compte encore aujour d'hui des hommes distingués par leurs talents et leurs lumières. M. le duc Paul de Noailles est le chef actuel de cette illustre famille. Il a fait ses classes au collége Stanislas, et ceux qui les partagèrent s'accordent à dire qu'elles furent brillantes. A dix-neuf ans il entra dans les gardes du corps, compagnie de Noailles, et fit dans ses rangs la campagne d'Espagne, où il se distingua suffisamment pour obtenir l'ordre de S.-Ferdinand. Il venait d'épouser peu de temps auparavant Mlle de Rochechouart-Mortemart, fille du feu duc de Mortemart, mort en 1812, et soeur du duc de Mortemart qui a été capitaine des gardes de la compagnie des Ceut-Suisses, ambassadeur en Russie, et officier d'ordonnance de Napoléon. Il devint pair de France

en 1823. Deux ans plus tard il reçut du roi Ferdinand VIII, l'ordre de la Toison d'or, que les rois d'Espagne ont conservé héréditairement dans sa famille, en souvenir des services que le maréchal de Noailles (Adrien-Maurice) avait rendus à Philippe V, qui reconnaissait presque lui devoir sa couronne.

Ce ne fut que dans les dernières années de la Restauration que M. de Noailles entra à la cour. Il n'y avait aucune charge, ni aucun emploi; mais Charles X, qui avait pour lui une estime particulière, lui avait accordé les grandes entrées de son cabinet. Le 5 février 1827 il vint prendre place à la Chambre des pairs, avec voix délibérative seulement; car il n'avait encore que vingt-cinq ans, et selon la Charte, les pairs ne jouissaient du droit de voter qu'à trente ans. Mais il ne fit qu'y passer, n'y étant venu que pour faire acte de présence. M. de Noailles achevait alors ses études par d'importants voyages. Enfin, les éclairs qui préludèrent à 1830, lui faisant prévoir l'orage, il revint en hâte dans sa patrie. Il y mettait à peine le pied que l'oeuvre était déjà accomplie le trône de Charles X gisait brisé par les rues. Le peuple de Paris, enivré par sa victoire, se précipitait en foule vers la résidence royale de Rambouillet, où Charles X se trouvait alors avec sa famille. Averti de cette manifestation, effrayé surtout par les rapports exagérés des commissaires envoyés de Paris, sur les dangers de ce mouvement, le monarque détrôné ne voulut pas engager une lutte nouvelle. Il préféra quitter Rambouillet. Il fit

reçu

aussitôt demander à M. le duc de Noailles un asile dans le château de Maintenon, où le noble pair résidait alors, et qui n'est pas éloigné de Rambouillet. M. le duc de Noailles, heureux et fier de pouvoir donner une marque de son dévouement et de sa fidélité à son souverain déchu, s'empressa de mettre sa demeure à la disposition de Charles X. Il y fut non-seulement avec le respect auquel le malheur lui donnait tant de droits, mais comme un hôte dont on ignorait encore le destiu. Toute la famille royale, avec sa suite, passa la nuit et une partie de la journée du lendemain au château de Maintenon. M. le duc de Noailles n'eut heureusement pas à la défendre; et le lendemain, après avoir congédié sa garde, l'illustre proscrit prenait en toute sécurité le chemin de cet exil dont la seule mort devait être le terme.

Quelques jours après, M. le duc de Noailles venait prendre sa place dans la nouvelle Chambre des pairs; mais son véritable début dans la carrière parlementaire ne date véritablement que du 19 avril 1831. Il y entra en combattant le projet de loi relatif à l'expulsion de Charles X et de sa famille. Son discours, qui eût été une bonne action s'il eût porté les fruits qu'en attendait son auteur, demeura comme une tentative en tous points digne de l'homme dont ce même Charles X avait été l'hôte, et qui lui fit honneur. Après le sentiment élevé qui l'avait dicté, l'éloquence calme, sévère, et pourtant brillante du nouveau pair, attira particulièrement l'attention. On s'étonna de rencontrer autant de talent chez un

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