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sites que sa timidité l'eût empêché de faire chez eux. « Je fus touché, raconte à cette occasion Barthélemy, je fus touché de la chaleur avec laquelle ils m'exprimèrent le vœu de l'Académie; mais j'avais pris mon parti, et, malgré leurs instances, je tins ferme, en opposant mon âge et surtout mon éloignement pour toute représentation. » Mais bientôt, pressé plus vivement, sur le point d'être nommé en dépit de sa résistance, il rendit ses visites et fut reçu le 25 août 1789. « M. de Boufflers, ajoute-t-il, qui m'avait toujours témoigné de l'amitié, fit, en qualité de directeur, les honneurs de la séance. On eut de l'indulgence pour mon discours; on fut enchanté de l'esprit, des grâces et des réflexions neuves et piquantes qui brillaient dans le sien, et (poursuit le trop modeste écrivain), une partie de l'intérêt qu'il excita rejaillit sur le choix de l'Académie. »>

Cette réception fut malheureusement la dernière joie de cet homme aimable. Depuis cette époque, comme il le dit plus loin, battu presque sans relâche par la tempête révolutionnaire, accablé sous le poids des ans et des infirmités, dépouillé de tout ce qu'il possédait, privé chaque jour de quelqu'un de ses amis les plus chers, tremblant sans cesse pour le petit nombre de ceux qui lui restaient, sa vie ne fut plus qu'un enchaînement de maux. Dénoncé, avec plusieurs commis de la bibliothèque, dont il était gardien, pour un crime imaginaire, et enfermé aux Madelonnettes le 2 septembre 1793, sa réputation lui vint heureusement en aide, et lui en fit ouvrir les portes

seize heures après son entrée. En apprenant l'injus tice commise en leur nom, les autorités du jour en eurent presque honte et accoururent en quelque sórte pour la réparer. On rendit à l'auteur du Voyage d'Anacharsis la place de bibliothécaire, qui lui avait été retirée; mais vainement insista le ministre, soit par écrit, soit de vive voix, Barthélemy, qui n'aspirait plus qu'à finir tranquillement les quelques années qu'il pouvait vivre encore, refusa cet emploi pour ne pas les troubler. Il mourut, en effet, non loin de cette époque, le 30 avril 1795.

XI.

CHÉNIER.

1795.

MARIE-JOSEPH DE CHÉNIER, fils de Louis de Chénier, écrivain lui-même, et frère d'André de Chénier, le poëte charmant et regretté, naquit le 28 août 1764, à Constantinople, où son père remplissait les fonctions de consul général. Transporté de boune heure à Paris, il y reçut une première éducation; mais on la lui donna si précocement, et elle fut si rapide, qu'à peine la terminait-il, le jeune homme sentit la nécessité d'étudier ce qu'on venait de lui apprendre. Officier de dragons, à un âge où l'on obéit encore, le métier des armes lui déplut bientôt ; son âme ardente se sentit à l'étroit dans la vie qu'on

lui avait plutôt faite qu'il ne l'avait choisie; il quitta Niort, où il tenait garnison, et vint à Paris où l'attendait l'éclat rêvé par sa bouillante imagination.

Ce fut d'abord le théâtre qui l'attira. Le succès, malheureusement, résta sourd à ses vœux. A peine étaient-ils nés que les essais qu'il y fit tombèrent. En lui servant de leçon, ces chutes ne lui en apprirent pas moins le chemin. Après trois années d'un silence prudent, Chénier, fortifié par l'étude des maîtres et la réflexion, aguerri par les précédentes escarmouches, et ajoutons, par quelques productions poétiques qui avaient été remarquées, Chénier revint à la charge en donnant Charles IX (1789). Le retentissement qu'eut cette tragédie nous dispense de tout éloge: elle inspira l'enthousiasme. « Quoi que fasse désormais M. de Chénier, écrivait Ginguené, alors sous le coup de ce magnifique succès, on dira toujours de lui : C'est l'auteur de Charles IX. » Malgré cela, cependant, Chénier ne considérait pas son but comme atteint. Si l'amour de la gloire avait été pour beaucoup dans le choix de la carrière qu'il suivait, des vues plus hautes dominaient cette ambition toute humaine; guidé par une foi profonde en la philosophie, son désir était d'élever la scène assez haut pour qu'elle fût une école où le peuple pût venir chercher les leçons de l'histoire et les conseils de la morale. Après avoir, dans Charles IX, donné le spectacle de l'intolérance religieuse, Chénier montra l'abus du pouvoir dans Henri VIII (1791). On était en pleine

révolution : ces pièces avaient donc le mérite de l'àpropos. Néanmoins si l'effervescence révolutionnaire avait contribué à leur succès, la critique, non encore troublée par l'ivresse du moment, y reconnaissait des mérites réels d'exécution. Le poëte, d'ailleurs, en voyant le despotisme royal faire place à la sanglante tyrannie du peuple, revint bientôt, tout en conservant intactes ses opinions, sur les pas qu'il avait faits un peu trop en avant. Jean Calas parut (1792): mais ici Chénier tomba d'un excès dans l'autre ; le spectacle de ce drame, disent les témoins, était si déchirant, que l'auteur lui-même avouait avoir dépassé le but. Caïus Gracchus (1792), œuvre conçue avec plus d'énergie, eut plus d'influence, et, conséquemment, déplut aux décemvirs. Malgré les idées d'un républicanisme sensé, dont elle était pleine, ils en entravèrent le succès. On sait le reproche qui lui fut fait. Un jour que Gracchus prononçait ce vou, resté célèbre : « Des lois non du sang! » Un membre du gouvernement, présent à la représentation, s'écrie: « Non- du sang et non des lois. » Nous citons le mot sans en dire plus il porte son commentaire avec lui. Pourtant, Chénier ne désespérait pas du peuple qui chérissait de tels guides; il le croyait égaré et voulait le

ramener.

et

Fénelon est une des tentatives que nous le voyons faire en ce sens. «< Rien, dit Arnault, rien n'est plus en opposition avec la passion véhémente et despotique dont était agité le parti à qui restait la vic

toire, que l'esprit d'indulgence et de charité dont est animée cette tragédie : elle amollissait les âmes les plus dures; elle adoucissait les cours les plus féroces; mais l'impression durait peu. Au sortir du théâtre la majeure partie des spectateurs, rappelés dans les assemblées tumultueuses dont la capitale était remplie, allait s'y réconcilier avec les sentiments les plus opposés à ceux qu'elle avait applaudis avec enthousiasme. » Aussi, peu de temps après sa première représentation accusait-on cette tragédie de tendre à énerver l'énergie républicaine, et était-elle défendue. Timoléon qui la suivit, comme Fénelon, comme Caïus Gracchus, destiné à inspirer l'horreur du sang et l'amour de l'humanité, subit un sort analogue: les exemplaires eux-mêmes, recherchés avec soin, furent brûlés comme de mauvais livres.

Ces obstacles, ces persécutions n'éteignaient pas l'ardeur qui consumait Chénier. La scène des Eschyle, des Sophocle et des Euripide fermée à sa muse, il monta sur celle des événements politiques; plein de zèle pour le bien, audacieux, éloquent, il s'y montra, contrairement à bien d'autres, aussi grand citoyen qu'il était grand poëte. Membre de la Convention nationale, du conseil des Cinq-Cents et du Tribunat, il s'y distingua par son intérêt pour les sciences, les lettres, les arts et ceux qui les cultivent. L'instruction publique lui doit beaucoup; mais ce qu'il ne nous faut pas oublier c'est que ce fut sur son rapport que les Académies ressuscitèrent pour former un même corps sous le nom d'Institut national.

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