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lui appartiennent se recommandent par la justesse et la solidité; ils présentent une logique plus sûre mais moins de finesse que ceux de l'abbé.

Beauzée a reproduit aussi, dans notre langue, quelques écrivains de l'antiquité. Ses traductions de Salluste (1770) et de Quinte-Curce (1789) sont estimables par leur exactitude; mais la chaleur et l'abondance en sont trop bannies. La première a été de beaucoup surpassée par notre académicien du fauteuil de Racine, Dureau-Delamalle. Çe littérateur instruit et laborieux, était rempli de droiture, de candeur et de modestie, indulgent pour les autres et pour lui-même sévère. Boufflers disait de lui à son successeur : « Il sut conserver sa franchise et sa neutralité au milieu de la guerre éternelle des passions et des cabales; et, content du modique fruit de ses travaux littéraires, sa modération lui tint lieu de fortune. » Le roi de Prusse avait voulu l'attirer à. Berlin, mais Beauzée aima mieux rester dans sa patrie. L'événement le plus considérable de sa vie, la source des plus douces émotions qu'il eût jamais éprouvées, fut son introduction à l'Académie. Il ne l'avait point sollicitée, et la dut au refus que le roi avait fait de Suard, nommé à la place de Duclos. Sa nomination fut accueillie par tout le monde avec un intérêt marqué le conseil de l'hôtel de l'Ecole royale militaire, où il avait rempli diverses fonctions depuis dix-neuf ans, lui en adressa ses félicitations, et les officiers de l'hôtel de ville de Verdun, sa patrie, votèrent que, pour exciter l'émulation de

leurs jeunes compatriotes, le portrait de Beauzée serait placé dans la même salle que celui de Chevert; ce portrait était peint par Mlle Beauzée, sa fille.

X.

BARTHÉLEMY.

1789.

JEAN-JACQUES BARTHÉLEMY, membre de l'Académie française, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et de plusieurs compagnies savantes de l'Europe, grand trésorier de Saint-Martin de Tours, secrétaire général des Suisses et Grisons, etc., est né à Cassis, en Provence, le 20 janvier 1716. Sa famille habitait Aubagne. C'est au sein de cette famille, dont il nous peint, dans de modestes et courts Mémoires, l'union et sa sollicitude pour lui, qu'il attendit sa douzième année. Celle-ci à peine révolue, son père, qui jouissait d'une fortune aisée, le conduisit au. collége des oratoriens de Marseille, « où (c'est de Boufflers qui parle ) il le déposa comme un diamant qui attend tout son éclat du travail du lapidaire ». Il le destinait à l'état ecclésiastique; mais comme le célèbre Belzunce, évêque de Marseille, refusait d'y admettre ceux qui sortaient de l'Oratoire, il passa chez les jésuites, où il compléta ses classes par sa philosophie et sa théologie. De

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là, Barthélemy entra au séminaire dirigé par les lazaristes. Une raison prématurée, une aptitude singulière à tous les genres d'étude et surtout, comme il le dit lui-même, « un amour insatiable de travail », lui faisait rechercher, jusque dans ses loisirs, la connaissance des sciences les plus arides. C'est ainsi qu'il apprit, pour se distraire des difficultés théologiques, les langues orientales, telles que l'hébreu, le syriaque, le chaldéen et l'arabe, qui devaient si bien le servir dans la suite. Puis il sortit du séminaire; mais quoique pénétré des sentiments de la religion, peut-être même, dit-il, parce qu'il en était pénétré, il ne donna pas suite à ses premiers projets. Il garda néanmoins l'habit ecclésiastique, qui sera toujours une recommandation, et s'enfonça plus que jamais dans ses chères études.

Il s'occupait alors de numismatique. Cette science, qui semblerait devoir n'offrir à l'histoire que des documents sûrs, si trop souvent, remarque Michaud, les hommes ne se faisaient un jeu d'altérer la vérité même dans les monuments destinés à la constater, cette science l'attirait précisément par les nystères dont elle s'entourait. Mais s'il est des hommes qui devinent plus qu'ils n'apprennent, Barthélemy était de ceux-là Gros de Bose, qui ne se connaissait pas moins bien en médailles qu'en savants, vit un maître dans l'apprenti. Il l'accueilit, lui fit partager ses travaux, et bientôt le jugeait digne d'être son associé. Cet

honneur fut aux yeux de l'Académie des inscriptions et belles-lettres une recommandation suffisante. En 1747 elle élisait Barthélemy. Les traités sans nombre que sa reconnaissance lui fit insérer dans les Mémoires de cette docte Société sont des chefs-d'œuvre de précision et de clarté. Autrefois on les lisait pour eux-mêmes, on les lit aujour d'hui comme des modèles à suivre. Ce n'étaient là, cependant, que les premiers germes d'une plus magnifique moisson. Lorsque plus tard le duc de Choiseul put apprécier Barthélemy, et l'accabler de ses bienfaits (comme celui-ci se plaisait à le répéter), les pensions que le célèbre ministre lui fit donner permirent à son savant ami de s'adonner entièrement au grand ouvrage qu'il préparait depuis de longues années. Cet ouvrage, l'une des plus belles pages de notre littérature, c'était le Voyage du jeune Anacharsis. I parut enfin. L'année 1788 commençait. L'heure, il faut l'avouer, était mal choisie; cependant, Barthélemy n'y avait pas pris garde. Barthélemy appartenait à cette éternelle pléiade de savants et de distraits dont La Fontaine nous a laissé un type à la fois si parfait et si charmant ; hommes aimables, toujours préoccupés par leur pensée; solitaires, même au milieu du bruit; ne vivant, pour ainsi dire, que de leurs propres impressions, et desquels l'existence ne participe de celle des autres hommes que par les côtés inatériels, dont ils perdent mémoire encore bien souvent. Son œuvre achevée, avec beaucoup de pa

tience, Barthélemy l'abandonna aux caprices de la fortune et n'y songea plus. Mais, voyez l'influence du beau sur notre nation : les esprits agités de mille pensées contraires, ceux qui attendaient les événements avec anxiété, et ceux qui les préparaient, furent tout à coup distraits par ce livre nouveau. Rien de ce qu'on recherchait alors ne le recommandait pourtant point de mauvaises tirades philosophiques, point d'allusions; il n'avait pour lui que d'être le tableau fidèle d'une époque célèbre. C'en fut assez. Le monde entier s'intéressa à la résurrection de cette belle antiquité que le temps éloigne de nous de jour en jour. On admira l'art merveilleux avec lequel l'auteur savait réunir l'élégance à l'érudition, un coloris plein de charme à l'exactitude scrupuleuse de ses recherches, la limpidité toute grecque du style, enfin le naturel, le goût, la fidélité des peintures, et le Voyage d'Anacharsis prit la place qu'on ne lui a pas encore retirée près des plus hautes productions de l'art moderne.

L'admission de Barthélemy au nombre des Quarante, qui eut lieu sur ces entrefaites, offre cette singularité que ce fut l'Académie elle-même qui fit les démarches, et non l'auteur du Voyage d'Anacharsis. Et cela se conçoit presque. L'Académie avait à cœur de posséder cet écrivain déjà célèbre, et on le savait si modeste que, sans les supplications de la Compagnie, il n'eût jamais osé se présenter. Il ne faut donc pas s'étonner qu'après la mort de Duclos, ses membres soient venus recevoir chez lui les vi

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