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maient les plus brillantes sociétés. Son visage, fort laid et sillonné de rides, se grimait avec une merveilleuse facilité, et c'était plaisir de le voir, quand il donnait lecture d'un conte ou d'une comédie, donner à cette physionomie mobile le masque des différents interlocuteurs.

Abeille dut à son esprit de conversation, à son esprit de conduite dans le monde, à la bienveillance de son âme, une vie heureuse et honorée. Quant à son talent et à ses œuvres, il est à peine utile d'en faire mention, tant l'oubli leur est légitimement acquis. Quoique engagé dans l'état ecclésiastique, il écrivit beaucoup pour le théâtre, donna d'abord quelques tragédies sous son nom, puis, cédant aux observations de personnes scrupuleuses, fit paraître le reste de ses œuvres dramatiques sous le couvert de la Thuillerie, comédien du temps. Ses ouvrages ne laissèrent pas de réussir, en un moment où Corneille et Racine avaient cessé d'écrire, où Crébillon et Voltaire n'existaient pas encore, alors enfin que Campistron et Lagrange-Chancel étaient les princes de la scène. Son Coriolan (1676), la plus supportable de ses tragédies, eut même quelque vogue, et Racine et Corneille, qui en eurent connaissance, augurèrent bien, dit-on, de l'avenir du jeune tragique.

Il existe une anecdote sur Abeille, anecdote controuvée tant que l'on voudra, mais à laquelle on ne peut s'empêcher de songer toutes les fois qu'on prononce son nom, tant elle est caractéristique, tant

elle est bien trouvée si elle n'est vraie. Le personnage d'une de ses pièces disait :

Vous souvient-il, ma sœur, du feu roi notre père ?

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L'acteur chargé du rôle resta court après ce vers; un plaisant du parterre riposta par le suivant :

Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère.
De quoi l'on a fait l'épigramme suivante :
Cy-git un auteur peu fêté

Qui crut aller tout droit à l'immortalité ;

Mais sa gloire et son corps n'ont qu'une même bière;
Et quand Abeille on nommera,

Dame Postérité dira:

«Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère. »

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NICOLAS-HUBERT MONGAULT, né à Paris en 1674, mort en 1746, était fils naturel de Colbert Pouange. Au collége Duplessis, où il fit ses études, son application et son esprit lui méritèrent l'affection de Rollin. Entré à l'Oratoire à seize ans, et plus tard chargé de professer les humanités à Vendôme, la faiblesse de sa poitrine lui rendit bientôt impossible l'exercice de son emploi, et il quitta la congrégation. L'archevêque de Toulouse, Colbert, qui s'intéressait à lui, l'attira dans sa maison, lui prodigua ses bien.

faits et son amitié; mais Mongault, adonné aux lettres, aspirait au séjour de Paris, si utile à l'écrivain. Il obtint enfin la liberté d'y venir, et ne tarda pas à se voir admis à l'Académie des inscriptions. Il donna aux Mémoires de cette Compagnie deux dissertations également recommandables par le sa voir et le style, la première sur les honneurs divins rendus aux gouverneurs des provinces sous la république romaine, la seconde sur le Faunus, ou temple de Tullia.

C'est principalement comme traducteur que l'abbé Mongault est réputé. Il s'était fait un nom par sa traduction de l'Histoire d'Hérodien (1700); et son mérite reconnu lui valut d'être chargé, en 1710, de l'éducation du fils aîné du duc d'Orléans. L'abbé s'attacha à sauver le jeune prince de la corruption de ce temps-là. Il se concilia l'estime et la bienveillance de son élève, et reçut, en récompense de ses soins, les abbayes de Chartreuse et de Villeneuve, et la place de secrétaire général de l'infanterie, dont le duc de Chartres était colonel...

En 1714, l'abbé Mongault augmenta sa renommée par sa traduction des Lettres de Cicéron à Atticus, traduction vraiment fidèle et charmante, d'une liberté de style singulière et qui semble être une exactitude de plus, puisque c'est la qualité la plus convenable au genre épistolaire. Les notes annexées à cette traduction sont d'une érudition choisie, d'une précision, d'une justesse et d'un goût dignes d'éloges.

La santé chancelante de l'abbé Mongault l'empêcha de se livrer à d'autres ouvrages importants qu'il méditait. Les vingt dernières années de sa vie furent continuellement éprouvées par des douleurs de gravelle ou par des vapeurs. On lui demandait ce que c'était que cette dernière maladie : « Elle est bien terrible, répondit-il, elle fait voir les choses telles qu'elles sont. >> On a attribué ces vapeurs de l'abbé à une ambition non satisfaite; le trait suivant semble répondre à cette inculpation injuste : l'abbé Dubois, devenu premier ministre, désirait que le duc de Chartres vint travailler avec lui; il pria son précepteur de l'y engager: « Je n'abuserai jamais de la confiance du prince pour l'engager à s'avilir », telle fut la réponse de Mongault; n'en aurait-il pas su trouver d'autre s'il eût été ambitieux ?..

Quelque plaisir qu'on eût à lire ses ouvrages, dit son successeur, on ne le préférait point à celui de converser avec l'auteur..... Né avec ce discernement prompt qui pénètre les hommes, il joignait à la sagacité qui saisit le ridicule l'indulgence qui le fait pardonner; au talent d'une plaisanterie fine, un talent encore plus rare, celui d'en connaître les termes. Avec moins d'esprit qu'il n'en avait, il aurait pu usurper la réputation d'en avoir davantage. En se rendant redoutable dans la société, il ne cessa jamais d'y être aimable. Sa faveur auprès des grands fut toujours égale, parce qu'elle était méritée. On ne déplaît sans sujet que lorsqu'on a plu sans motif. Je parlerais de ses liaisons intimes avec les gens de

lettres si l'amitié entre eux devait être un sujet d'éloges. Leur devoir est d'éclairer les hommes ; leur interêt, de vivre dans une union qui réduise leurs ennemis à une jalousie impuissante et peut-être respectueuse. »

VIII.

DUCLOS.

1747.

CHARLES PINEAU DUCLOS, secrétaire perpétuel de l'Académie française, membre de celle des inscriptions et belles-lettres, historiographe de France, naquit en 1704, dans une condition obscure, à Dinan en Bretagne. Ses parents qui, malgré leur pauvreté, rêvaient pour lui une existence plus heureuse que la leur, le destinaient à la magistrature. Il fit des études et les fit bonnes; après quoi il se rendit à Paris, dans l'intention de les achever par son droit. Mais, abandonné à lui-même, sans expérience et sans conseils, au sein d'une société qui n'en avait que de mauvais à donner, Duclos se laissa facilement entraîner. On le vit négliger le projet qui l'avait amené, et bientôt l'oublier tout à fait parmi les plaisirs offerts par la grande ville à tout venant. Duclos, cependant, n'était pas homme à faillir. Il avait de l'esprit : il le prodigua; son siècle n'en voulait pas davantage. Le jeune homme fut remarqué,

III.

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