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L'arrêté consulaire l'avait mis au nombre des Quarante. Il est permis de penser que Regnault aurait pu marquer sa place parmi les écrivains distingués et les éloquents orateurs de son temps, si la politique ne fût venue l'arrêter dans la carrière : sa coopération au Journal de Paris, avec André Chénier, sous la Constituante, semblerait l'attester, aussi bien que plusieurs de ses articles littéraires insérés dans l'Ami des patriotes, articles qui l'avaient déjà signalé à l'attention publique, ses discours au conseil d'Etat, et ses rapports au Corps législatif. Dans son éloge, lu par de Jouy, devant l'Académie française, en 1838, ce fécond académicien disait : « Les discours qu'il prononça dans cette assemblée, écrits avec autant de pureté que de goût, remarquables par l'élévation de la pensée, par la noblesse des sentiments et par le bonheur habituel de l'expression, étaient encore relevés par la puissance d'un organe sonore et par le charme d'une élocution qui n'a peut-ètre pas été surpassé. » Plus bas, de Jouy ajoutait : « Ce n'est pas seulement à la mémoire du grand homme d'Etat, de l'écrivain courageux, de l'éloquent orateur que s'adresse notre tardif hommage; il nous appartient plus particulièà nous vétérans de l'Académie française, qui fûmes presque tous ses confrères et ses amis, de dire que M. Regnault, à le juger seulement comme homme privé, fut doué des plus excellentes qualités du cœur; que jamais nulle main amie n'essuya plus de larmes ; que jamais l'infortune,

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à quelque classe de la société, à quelque opinion politique qu'elle appartînt, ne trouva un plus généreux appui, un plus infatigable protecteur. C'est à nous, ses confrères, de compléter son éloge, en disant avec un sentiment de reconnaissance pour sa mémoire, qu'au milieu des immenses occupations qui semblaient devoir absorber toutes les heures de sa vie, nul ne se montra plus assidu à nos séances, et plus laborieux dans nos travaux académiques, exemple prodigieux d'activité, dont Cuvier et Daru ont seuls, parmi nous, renouvelé le phénomène. »

XI.

LAINÉ (1).

1816.

JOSEPH-LOUIS-JOACHIM LAINÉ, né à Bordeaux en 1767, mort à Paris en 1835. Ses brillants succès au barreau de sa ville natale, si féconde en grands orateurs, le firent élire par le département de la

(1) C'est au premier fauteuil, à la suite de la notice du duc de Bassano, que celle-ci et la suivante auraient dù trouver place, tandis que celles du cardinal de Bausset, de de Quélen et de M. le comte Molé devraient être ici, à la suite de Regnault de SaintJean d'Angély. Notre erreur, celle que nous avons signalée au quatorzième fauteuil, en tête de la notice de Colin d'Harleville, nous a fait pécher ici encore c'est la seconde fois, et ce sera la dernière, en ce genre du moins.

Gironde membre du Corps législatif, sous l'Empire, et de la Chambre des députés, sous la Restauration. Il présida la chambre en 1814, 15 et 16; fut chargé du portefeuille de l'intérieur du 7 mai 1816 au 28 décembre 1818; anobli, quelque temps après, du titre de vicomte, et décoré du cordon bleu, enfin élevé à la pairie en 1824.

Ce fut un des hommes les plus purs et les plus vertueux, un des talents oratoires les plus éminents de notre époque. Nous empruntons, pour l'esquisser, quelques couleurs au brillant pinceau de son successeur. « Dans l'exercice de sa première profession, rival de Cochin et de Gerbier par le savoir, il fut encore l'émule de Potier par le désintéressement. Pour prix de ses soins dans une importante affaire, on lui avait envoyé vingt-cinq pièces d'or, que l'on croyait insuffisantes; il en garda deux et rendit le surplus. Souvent il acquittait les frais de procédure des malheureux dont il embrassait la cause, et toujours il défendit gratuitement l'orphelin et la patrie. Il était si désintéressé, qu'il envoyait son traitement de député aux indigents de sa ville natale. Parvenu pauvre au pouvoir, il en sortit pauvre, et, « devenu ministre, il fut si ménager des deniers de l'Etat que, lorsqu'il était obligé de se soumettre à d'importunes nécessités de représentation, il empruntait à ses collègues les objets de luxe qui lui manquaient »>.

11 puisait son talent dans l'étude assidue des grands orateurs et des grands poëtes. « Toutes les

III.

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qualités du discours, que les écrivains les plus exercés obtiennent, avec tant de peine, de la réflexion et du travail, éclataient dans son improvisation à la fois véhémente et calme, abondante et concise, vraie mais sévère. La gravité de son geste et de sa voix, tempérée par la douceur de son regard, donnait à sa parole, habituellement persuasive, le caractère imposant et dominatenr qui dompte les orages; et souvent, par l'alliance de la grâce et de la force, il s'élevait jusqu'à la poésie, qui n'est elle-même que l'éloquence sous des formes plus harmonieuses. Il n'avait pas été doué de la beauté des traits; mais quand il s'abandonnait, dans l'intérêt de l'humanité souffrante ou de la liberté compromise, à ces mouvements passionnés où son âme si pure et si belle. apparaissait comme une clarté céleste sur son visage, il excitait jusqu'à l'enthousiasme des femmes qui, trompées par leur sensibilité, croyait le voir beau, quand elles le voyaient sublime. »

Il avait si bien compris l'injustice de l'ordonnance de 1816, à laquelle il devait le fauteuil, que, n'ayant point été élu par l'Académie, il ne se croyait pas académicien. Il ne paraissait jamais aux séances publiques ou particulières. L'Académie s'étonnait et s'affligeait de cette continuelle absence. Eufin, elle en apprit ou en devina le motif, et alors elle s'empressa de le nommer, à l'unanimité, son directeur. Lorsqu'on l'instruisit de cette élection, elle le charma, et il s'écria avec une joie d'enfant : « Ah! cette fois, je suis de l'Académie! » A partir de ce moment, il se

montra toujours aussi zélé, aussi assidu que sa faible santé le lui permettait. Malgré la question banale de certains mécontents : « Quels livres M. Lainé a-t-il faits? » l'Académie se fit honneur de le posséder; " et quand on l'entendait parler, ceux qui s'étonnaient de le voir académicien ne songeaient plus à demander quels étaient ses ouvrages >>.

X.

DUPATY.

1836.

EMMANUEL DUPATY, né à Blanquefort, dans la Gironde, le 30 juillet 1775, et mort à Paris le 29: juillet 1851. Son père, l'illustre président au parlement de Bordeaux, auteur de ces fameuses Lettres sur l'Italie, si brillantes, si répandues, si souvent réimprimées, l'un des écrits les plus ingénieux du XVIIIe siècle, son père eut quatre fils; l'un fut massacré fort jeune dans une révolte de nègres à St-Domingue; les trois autres, dans des carrières diverses, ont soutenu, à qui mieux mieux, l'honneur du beau nom qui leur était transmis : l'aîné, Charles, ravi trop tôt aux arts qu'il honorait, fut un sculpteur distingué et devint membre de l'Académie des beauxarts à l'Institut; le troisième, Adrien, mort naguère conseiller à la cour de cassation, porta dans la ma

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