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un tel débit que, pour satisfaire à l'empressement du public, il fallut plusieurs fois le réimprimer. Jugement sur les anciens et principaux auteurs grecs et latins (1646), où l'auteur fait preuve d'un commerce assidu avec les grands modèles antiques. Du peu de certitude qu'il y a dans l'histoire (1668); hexameron rustique ou les six journées passées à la campagne. Dialogues faits à l'imitation des anciens. C'est dans ces trois écrits principalement qu'il a développé le scepticisme qui faisait le fond de sa philosophie; car, frappé de trouver dans les livres qu'il feuilletait sans cesse, livres de langues, de siècles et de sujets divers, une multitude d'opinions contradictoires sur tous les points, il en était venu à penser que le doute est la plus sage des croyances.

Lamothe-le-Vayer mourut dans sa 85° année, en 1672. La vieillesse n'avait point ralenti son ardeur pour l'étude et sa soif de connaître. Il avait un goût passionné pour les relations des pays lointains. Peu d'instants avant de mourir, il disait au voyageur Bernier, qui l'était venu voir : « Eh! bien, quelles nouvelles avez-vous du Grand-Mogol? » Il s'était remarié à l'âge de soixante-seize ans, après bien des années de veuvage, et après avoir écrit pour et contre le mariage en homme qui paraissait peu regretter sa première femme et peu disposé à en prendre une seconde. Mais la perte d'un fils unique de la plus belle espérance, déjà remarqué parmi les écrivains de son temps et estimé de Boileau, avait bouleversé toutes ses idées, en le laissant tout accablé de son isolement; au reste

la nouvelle épouse qu'il se donna avait bien passé quarante ans. Son habillement, sa physionomie décelaient l'homme bizarre. Il marchait la tête levée, les yeux attachés aux enseignes des rues. Le son des instruments lui était insupportable, mais il éprouvait un grand plaisir aux éclats du tonnerre. Ses sentiments et ses mœurs étaient d'un sage antique; il cachait une extrême douceur sous un air bourru. Passant, un jour, sous la galerie du Louvre, il entendit quelqu'un dire en le désignant : « Voilà un homme sans religion. Mon ami, lui dit-il, j'ai tant de religion que, pouvant vous faire punir, je vous pardonne.

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L'Académie de cette époque le considérait comme un de ses premiers sujets. « Il a tout embrassé dans ses écrits, disait l'abbé d'Olivet, l'ancien, le moderne, le sacré, le profane, mais sans confusion. Il avait tout lu, tout retenu et fait usage de tout. Si quelquefois il ne tire point assez de lui-même pour se faire regarder comme autèur original, du moins il en tire toujours assez pour ne pouvoir être traité de copiste ou de compilateur; et sa mémoire, quoiqu'elle brille partout, n'efface jamais son esprit. » Et l'opinion de Voltaire est que « on trouve beaucoup d'esprit et de raison dans ses ouvrages trop diffus. »

III.

RACINE.

1673.

JEAN RACINE, l'un de ces génies privilégiés que l'on n'admire point assez quand on ne le fait pas avec amour, naquit à la Ferté-Milon, de Jean Racine, contrôleur du grenier à sel dans cette ville, et de Jeanne Sconin, fille d'un procureur du roi aux Eaux-et-Forêts de Villers-Coterets, le 21 décembre 1639, l'année même où l'Académie complétait enfin son nombre de quarante, l'année où Corneille faisait paraître Horace et Cinna. Un cygne (particularité que l'évènement a rendue remarquable) se trouvait dans les armoiries de sa famille, anoblie par l'acquisition d'une charge. Il se vit, dès l'âge de trois ans, orphelin de père et de mère, avec un très mince héritage. Il fit ses humanités à Port-Royal, cette maison des fortes et religieuses études, où il puisa des principes et noua des attachements qui influèrent sur toute sa vie. Ses premiers goûts se portèrent sur les poëtes grecs, Sophocle et Euripide de préférence, qu'il lisait dans l'original; il aima aussi de passion le roman grec de Théagéne et Chariclée. Lancelot, le sacristain de l'abbaye, le lui ayant trouvé dans les mains, le lui arracha et le jeta au feu, une première fois, puis une seconde. Racine alors s'en procura un troisième exemplaire, l'apprit par cœur, et le portant à son maître lui dit :

Vous pouvez brûler maintenant celui-là comme

les deux autres. » Ainsi se révélait en lui, dès l'adolescence, cette prédilection instinctive pour les scènes d'amour que la nature le prédestinait à peindre en traits si profonds et si inneffaçables.

Sept odes sur les beautés champêtres de Port-Royal furent ses premiers vers; il avait dix-sept ans quand il les composa. Son goût, ce goût si délicat et qui n'a peut-être pas été égalé, était bien loin encore : Benserade ou Voiture n'a rien produit de plus prétentieux, de plus subtilement bizarre; mais Racine ne les donna point au public, et son véritable début dans le monde littéraire date de 1660, par la Nymphe de la Seine,ode sur le mariage de Louis XIV, pour laquelle seule le bon Chapelain lui fit donner par Colbert une gratification de cent louis et une pension de six cents livres ; aussi faut-il dire que les vers de Racine furent trouvés les meilleurs de tous ceux en grand nombre qu'avait inspirés la circonstance. C'étaient là des commencements prospères, mais non encore une position, tant s'en faut. Or, la position, Racine espérait la trouver à Uzès, où un de ses oncles, ancien général de la congrégation de sainte Geneviève, possédait un bénéfice qu'il promettait de lui résigner; mais pour cela il fallait entrer dans les ordres, et peu s'en fallut que le jeune poëte ne devînt prêtre et chanoine. Il se rendit à Uzès, d'où il écrivait à ses amis de Paris des lettres qu'on nous a conservées et qui ne le laissent guère pressentir. Là, il occupait ses longs loisirs à rêver de théâtre, il jetait sur le papier des scénes de tragédie sur ce même sujet

de Théagène et Chariclée dont la lecture l'avait tant passionné autrefois. Puis à la longue, fatigué des lenteurs de son oncle à réaliser ses promesses, il revint à Paris.

Il y publia bientôt la Renommée aux muses, ode consacrée à célébrer les généreuses sollicitudes du roi à l'égard des savants, des lettrés, des artistes, qui lui valut une nouvelle gratification accompagnée de gracieux encouragements, et, mieux encore, l'amitié de Boileau, cette amitié précieuse et sainte, à laquelle le poëte dut tant de conseils utiles et l'homme tant de bienfaisantes consolations ayant eu connaissance de quelques observations critiques du jeune satirique sur son ode, il en avait reconnu toute la justesse, et s'était empressé d'en aller remercier l'auteur. C'est par là qu'ils se connurent, se comprirent et s'aimèrent. Vers le même temps il avait aussi fait connaissance de Molière; il était allé trouver ce grand homme et en avait reçu trois bons offices du même coup: le conseil de jeter au feu son Théagène, le sujet de ses Frères ennemis, et un prêt aventureux de cent louis. O temps! ô mœurs! adorable Molière!

Les Frères ennemis (1664) eurent quelques succès. S'il y a peu d'intérêt, il y a déjà de beaux vers. L'année suivante, Alexandre réussit complétement, et marqua de grands progrès dans la versification du jeune poëte, qui toutefois n'avait fait jusques là qu'imiter la manière de Corneille, dont il avait exagéré les défauts et atténué les beautés. On y rencontre pourtant certains traits de dialogue et quelques scè

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