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réservées sur ces sortes d'exceptions, dont la fréquence entrainerait infailliblement la décadence de ces compagnies; elles ont besoin de motifs puissants, et surtout approuvés par la voix publique, pour donner aux enfants les places des pères, et tous ceux qui composent les académies devraient penser sur ce point comme l'un d'entre eux, qu'un confrère sollicitait vivement pour son fils : cette sollicitation ne l'empêcha pas de donner son suffrage à un candidat dont les titres lui paraissaient mieux fondés. « J'ai cru, dit-il, devoir la préférence à celui qui a pour père ses propres ouvrages. >> Comme on le voit, les Coislin ont occupé ce fauteuil pendant un espace de plus de quatre-vingts ans.

Celui-ci fut, au demeurant, l'un des plus dignes et des plus vertueux prélats de l'Eglise de France. Pasteur charitable, il fonda à Metz une maison d'asile pour les personnes du sexe tombées dans quelques écarts; ajouta aux bâtiments de l'hôpital de Bon Secours pour les femmes indigentes, et à ceux de la Doctrine chrétienne pour l'instruction des enfants pauvres ; établit un séminaire pour des ecclésiastiques, tant français qu'allemands; fit édifier des casernes pour affranchir les bourgeois du logement à demeure des militaires, qui n'est pas sans inconvénient pour les mœurs; en 1709, fatale année de froid et de disette, fit construire, dans la vue de soulager une multitude de pauvres ouvriers, un magnifique château de plaisance, qu'il légua plus tard aux évêques de Metz, ses successeurs; enfin, et ceci

n'est pas la moindre preuve de sa bonté, ni le côté le moins précieux de son aimable physionomie, quoique d'un naturel vif et enjoué et n'aimant point qu'on l'ennuyât, il laissait aux malheureux seuls, qu'il avait soulagés, le droit de l'accabler des longs et inutiles détails de leurs doléances.

Ami des lumières, lorsque, par la mort des autres Coislin, dont il fut le dernier, il hérita de la magnifique bibliothèque connue également sous le nom de bibliothèque Coislin ou Séguier, et qui contenait plus de quatre mille manuscrits précieux, il n'épargna rien pour en faire dresser un catalogue trèsdétaillé qui pût devenir utile aux érudits, et chargea de ce soin le savant Montfaucon; sa bibliothèque, ou plutôt ses bibliothèques, car il en avait dans toutes ses résidences, étaient ouvertes à quiconque en avait besoin; ses séminaires étaient pourvus par lui d'un fonds de livres convenables, et il en envoyait tous les ans à divers curés de campagne. Les services qu'il rendit de la sorte aux lettres, et dans lesquels l'imitent si rarement les bibliophiles, lui méritèrent une place d'honoraire à l'Académie des inscriptions.

V.

SURIAU.

1733.

JEAN-BAPTISTE SURIAU, né à Saint-Chamans, en Provence, en 1670, mort en 1754. Il fut longtemps prêtre dans la congrégation de l'Oratoire et la quitta

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enfin, par suite des dégoûts qu'il y essuya. Il prêcha deux avents et deux carêmes à la cour avec le plus grand succès, et prononça, en 1733, quelque temps avant d'être admis à l'Académie, l'oraison funèbre de Victor-Amédée, roi de Sardaigne. Par un sentiment d'abnégation et d'humilité, il ne voulut jamais faire imprimer ses sermons, et le peu qui nous en reste se trouve dans le recueil des Sermons choisis pour tous les jours de carême (Liége, 1738). << Son éloquence, a dit son successeur, était touchante et sans art, comme la religion et la vérité. »

Suriau fut nommé par Louis XV au modeste évêché de Vence; il aurait pu, dans la suite, l'échanger contre un siége bien plus important; mais le digne prélat disait : « Je ne quitte point une femme pauvre pour en prendre une riche. » Quelque paroisse de village se plaignait-elle de son pasteur, l'indulgent évêque répondait aux paysans: « Votre curé se corrigera, il me l'a promis; il vous aime. Souvenezvous, mes enfants, que les prêtres sont des hommes; retournez dans votre paroisse, vivez en paix et aimez-vous. >> En 1745, lors de l'invasion des Autrichiens dans la Provence, il montra beaucoup de courage et de fermeté. Un officier ennemi lui ayant demandé combien il faudrait de temps à l'armée autrichienne pour aller à Lyon, il lui fit cette belle et patriotique réponse : « Je sais le temps dont j'aurais besoin pour m'y rendre, mais je ne saurais vous dire celui qu'il faudrait à une armée qui aurait à combattre les troupes françaises.

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Suriau serait arrivé au fauteuil bien avant 1732, s'il n'eût été oratorien, et si l'Académie ne s'était, de tout temps, interdit de se recruter parmi les membres d'une corporation religieuse quelconque. Le passage suivant de la réponse de Danchet au récipiendaire l'attestera et fera connaître en même temps l'estime dont le public récompensait les talents du nouvel académicien : « Enfin, Monsieur, lui disait le directeur, nous vous voyons donc dans une place où nos désirs vous demandaient depuis longtemps et lors même qu'il ne nous était pas permis de vous y * admettre. Au milieu des applaudissements que votre élection nous attire aujourd'hui, ne craignons pas de rappeler les reproches que vous nous avez fait essuyer; ils vous ont fait honneur, mais sans nous blesser. Pendant le cours de vos travaux évangéliques, lorsque nos temples retentissaient de vos louanges, vos auditeurs, sortant également édifiés des saintes vérités et touchés de votre éloquence, se plaignaient à nous de ne pas trouver votre nom sur nos listes au nombre de ces fameux ministres de la parole de Dieu qui ont autant illustré l'Académie qu'instruit l'Eglise. Alors, pour répondre à leurs plaintes, nous étions forcés de citer nos règlements et nos usages. Votre vertu, contente de se rendre utile, sans en vouloir d'autre récompense, s'était renfermée dans une congrégation, respectable à la vérité, et qui tant de fois a formé de célèbres prédicateurs et de saints prélats, mais où les statuts de l'Académie française ne nous permettent pas de

chercher des confrères; heureusement pour elle, comme pour la religion, celui que nous avons l'honneur d'appeler notre protecteur a écarté les barrières qui vous séparaient de nous, et, en vous élevant à l'épiscopat, nous a mis en droit d'associer votre gloire à la nôtre. >>

VI.

D'ALEMBERT.

1754.

JEAN LE ROND, dit D'ALEMBERT, secrétaire perpétuel de l'Académie française, membre de celle des sciences et de toutes les académies de l'Europe, né à Paris le 16 novembre 1717, mort le 29 octobre 1783. Il était fils naturel d'un commissaire d'artillerie, nommé Destouches, et de la célèbre Mme de Tencin. Une faute lui donna naissance, et la crainte de la rendre publique détermina sa mère à l'abandon du petit être qui en était le fruit. Trouvé sur les marches de l'église de Saint-Jean-le-Rond, il fut porté chez le commissaire de police du quartier. Celui-ci, non encore endurci par les pénibles devoirs de sa place, fut, dès l'abord, vivement touché par la vue de l'enfant débile et presque mourant qu'on lui apportait; il le fit baptiser, puis, au lieu de l'envoyer aux Enfants trouvés, il le confia aux soins de la femme d'un vitrier du voisinage. La vive tendresse

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