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l'âge de quatre-vingt-neuf ans. S'il mourut, comme on le dit, des suites du saisissement que lui causa le retour des cendres de Napoléon, sa mort couronna bien une vie de dévouement et de fidélité. Sa perte n'en produisit pas moins une pénible sensation dans le monde politique et militaire. « Cette perte, c'est toujours Jay qui parle, quoiqu'elle fût prévue depuis longtemps, a excité les regrets de tous ceux qui connaissaient M. le comte de Cessac : homme de mœurs austères, d'une probité inflexible, toujours guidé par le sentiment du devoir, d'un esprit juste, éclairé, étendu et d'un cœur excellent, il avait pour les autres l'indulgence qu'il se refusait à lui-même. Comme citoyen, il était animé du plus pur patriotisme, et il a parcouru au milieu des orages révolutionnaires et des discordes civiles, une longue et laborieuse carrière, entouré du respect de tous les partis ; il a rempli des fonctions éminentes sans exciter l'envie; il a rendu à diverses époques, de véritables services à son pays sans éprouver d'ingratitude, et, par une destinée bien rare dans les temps agités et passionnés, la calomnie a respecté ses vertus et son caractère; aussi sa vieillesse s'est écoulée calme et digne au sein des affections de famille, et il a quitté la vie avec la résignation de la sagesse et lés pieuses espérances de la religion.

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III.

24

VIII.

M. LE COMTE DE TOCQUEVILLE.

1842.

La biographie de M. le comte ALEXIS-CHARLESHENRI CLÉREL DE TOCQUEVILLE, bien qu'elle occupe dans l'histoire contemporaine une place très-importante, est courte et d'une extrême simplicité. Son père, qui fut préfet de plusieurs départements sous la Restauration et pair de France, a laissé d'honorables souvenirs dans l'administration. Ecrivain luimême, on a de lui diverses brochures qui ont été appréciées à leur moment. Il avait épousé une petitefille du président Rosambo, gendre de Malesherbes. Deux fils naquirent de cette union le premier, auquel on doit également quelques productions légères, est M. le vicomte de Tocqueville; le second est l'académicien qui va nous occuper.

:

M. le comte de Tocqueville est né en 1805 et a fait de bonnes études. D'abord avocat à la cour royale de Paris, il devint ensuite substitut du procu. reur du roi; mais il occupa peu de temps ces fonctions. Le procès d'Aguado étant survenu, le rôle qu'on lui destinait dans cette affaire lui déplut ; il le refusa en donnant sa démission. Le gouvernement choisit néanmoins, un peu plus tard, pour remplir, avec M. Gustave de Beaumont, une mission en Amé

le

rique; après quoi nous le voyons reprendre sa place parmi les avocats de la cour royale. Mais les mêmes motifs qui l'avaient éloigné du barreau se représentèrent de nouveau : M. de Tocqueville se retira, accompagnant cette fois sa retraite d'une démission qui l'éloignait pour toujours d'une profession qu'il semble n'avoir suivie qu'à regret, mais qui lui ouvrit la carrière de la politique et des lettres qui s'y rattachent.

Le premier pas que nous y voyons faire M. de Tocqueville est une Note sur le système pénitentiaire (1831) et sur la mission que lui avait confiée le ministère de l'intérieur. Un an après, il mettait au jour ses études sur le Système pénitentiaire aux Etats-Unis et sur son application en France. Le public les reçut avec empressement. En 1833, lorsque parut le court Mémoire sur le pauperisme, qu'il avait inséré dans le Recueil de la Société académique de Cherbourg, dont il était membre, ce même public ne l'y laissa pas enfoui; on le rechercha, et ce double exposé des causes du paupérisme et des moyens de le combattre excita presque autant d'intérêt les Etudes sur le système pénitentiaire en contenaient. La voie ainsi préparée, M. de Tocqueville fit enfin paraître son beau livre de la Démocratie en Amérique.

que

Certes, dire que le retentissement qui accueillit ce livre fut immense, ce n'est pas dire trop. Couronné par l'Académie, qui lui décerna le prix Montyon (1835), il compte aujourd'hui quatorze édi

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tions. Quant aux éloges qu'en fit l'étranger, une revue anglaise les résumait en quelques mots : « Cet ouvrage, disait-elle, est une des plus remarquables productions de notre temps. C'est un livre que doivent approfondir, tant pour les faits qu'il constate que pour les spéculations qu'il présente, tous ceux qui ont le désir ou la mission d'exercer quelque influence sur leur époque. Il est impossible, en effet, d'écrire quelque chose de plus complet que la Démocratie en Amérique, et de concentrer en un si petit foyer une plus grande quantité de lumières nouvelles. C'est un mérite d'autant plus digne d'être relevé, qu'avant M. de Tocqueville quelques écrivains s'étaient préoccupés de la question qu'il soulevait. Chateaubriand s'y était particulièrement étendu dans plusieurs de ses études politiques. Mais, quand Chateaubriand visita l'Amérique, la république des Etats-Unis s'ébauchait à peine; lorsque M. de Tocqueville la visita à son tour, cette république était formée, assise, et tenait depuis longtemps une des places les plus importantes parmi les grands Etats des deux mondes. Il put donc l'examiner à loisir et d'un œil sûr, en contempler paisiblement l'ensemble et en analyser soigneusement les détails, et, par conséquent, en tirer un jugement meilleur que celui du grand poëte.

Les deux parties de son livre, celle publiée en 1835 et celle qui parut en 1840, se complètent l'une par l'autre et forment une seule œuvre. Dans la première, l'auteur étudie l'influence de la démocra

tie sur les lois, les institutions et les mœurs politiques des Américains; il nous fait connaître, dans la seconde, les changements que l'esprit démocratique a introduits dans les autres rapports sociaux, et les opinions et les sentiments auxquels il a donné naissance; en un mot, il nous offre l'aspect de la société qu'a créé cet esprit d'égalité et de liberté. Dans ce vaste tableau des grandeurs et des faiblesses d'un peuple, ce qui frappe surtout, c'est le talent si sûr du peintre. Après l'avoir examiné en ses principaux sens, l'écrivain anglais que nous citions tout à l'heure, cherchant à désigner le caractère particulier de ce talent, ajoutait : « Le génie de M. de Tocqueville paraît ressembler, surtout parmi les écrivains français, à celui de Montesquieu. Le livre de la Démocratie en Amérique est tel que l'eût écrit Montesquieu si, avec son génie étendu, il eût eu les lumières qui sont nées d'une période dont on peut dire qu'en cinquante années on a vécu des siècles. » Ce jugement, quoique porté par un étranger, n'a soulevé aucune réclamation en France. M. Molé, le jour de la réception de notre académicien, tout en louant le récipiendaire de borné à faire pour «< 'être ne l'Amérique ce que Montesquieu n'avait pu faire pour les Romains, c'est-à-dire à exposer son origine, à expliquer son développement et à présager ce qu'elle pourrait acquérir encore ou les causes qui amèneraient son déclin », apportait cependant un correctif aux louanges qu'il donnait à l'écrivain, et expliquait aussi avec beaucoup de netteté le faire

pas

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