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désirait, il les priait de lui permettre d'y être au moins présent en peinture, et de leur envoyer son portrait, pour être comme un gage, toujours subsistant à leurs yeux, de son zèle pour la Compagnie. Il n'y avait alors, dans notre salle d'assemblée, que les portraits des deux ministres et des deux rois protecteurs de l'Académie française, et celui de la reine Christine, qui avait autrefois honoré de sa présence une de nos séances particulières. L'offre du nouveau portrait fut reçue avec une espèce d'acclamation par le plus grand nombre des académiciens présents, qui, se trouvant honorés, avec raison, de la confraternité du duc de Villars, ne voyaient peut-être pas l'honneur qu'à son tour il en recevait lui-même. Le seul Valincourt, qui, ayant fréquenté la cour et les grands, connaissait par expérience des replis les plus cachés de deur amour-propre, s'imagina, à force de finesse et de malice, que la proposition du maréchal n'était pas assez pure dans ses motifs pour mériter une si grande profusion de remerciments. Cet académicien, qui, élevé à l'école de Despréaux, était zélé pour l'honneur des lettres et sentait toute la dignité de cet état, se montrait, par cette raison, l'ennemi déclaré de la plus légère usurpation académique; il soupçonna que le maréchal, en offrant son portrait à l'Académie comme un témoignage des sentiments dont il était pénétré pour elle, s'était proposé, au moins confusément, la gloire secrète d'être le seul académicien que la postérité vît parmi nous à côté de Richelieu et de Louis XIV; en consé

quence de cette réflexion, trop subtile peut-être, Valincourt crut devoir donner au portrait du maréchal quelques pendants qui en étaient bien dignes; et, dès le jour même où ce portrait fut envoyé à la Compagnie, il lui présenta de son côté ceux de Despréaux et de Racine, qu'il ne jugeait pas moins propres à décorer la salle de l'Académie que celui d'un grand capitaine. A cet exemple, plusieurs académiciens s'empressèrent d'apporter, dans les assemblées suivantes, les portraits de Corneille, de La Fontaine, de Bossuet, de Fénelon et de leurs sembla. bles. L'Académie désira bientôt d'en avoir un plus grand nombre et de pouvoir conserver à la postérité les traits de ses membres les plus célèbres. C'est ainsi que s'est formée peu à peu cette collection de portraits académiques, déjà si précieuse aujourd'hui, et qui le sera tous les jours davantage; collection à laquelle le public paraît prendre le plus grand intérêt, par l'empressement et l'espèce d'avidité avec laquelle il se plaît à la parcourir les jours de séance publique. Si, dans ces occasions, il s'attache plus longtemps à contempler nos grands écrivains que le maréchal de Villars, digne néanmoins, à tant d'égards, de la reconnaissance de la nation, c'est sans doute parce que, dans notre salle d'assemblée, les Despréaux et les La Fontaine, les Corneille et les Racine, les Fénelon et les Bossuet, sont, pour ainsi dire, sur leur terrain; tandis que le maréchal de Villars se trouve comme transplanté au milieu d'une nation étrangèré, n'ayant guère d'autre mérite pour

elle

que celui de l'avoir aimée et d'avoir connu le prix de ceux qui la composent. Il serait vu avec plus d'intérêt parmi les héros de la nation, à côté de Luxembourg son maître, et de Vendôme son rival. »

Aujourd'hui, ces divers portraits dont parle ici d'Alembert, et quelques autres donnés par le roi à l'Académie, sont un des principaux ornements du musée de Versailles. Une même forme et des proportions pareilles appliquées à tous ces portraits prolongeaient, jusque par delà le tombeau, cette douce égalité académique, qui, du vivant de leurs originaux, avait apporté tant de charme dans leurs relations.

V.

LE DUC DE VILLARS.

1734.

HONORÉ-ARMAND, duc DE VILLARS, prince de Martigues, pair de France, chevalier de la Toison d'or, gouverneur de Provence, né en 1702, mort en 1770. Lorsque l'Académie perdit le père, elle pensa ne pouvoir faire mieux éclater les sentiments qu'il lui avait inspirés qu'en lui donnant son fils pour successeur; en cela, elle transgressait une loi qu'elle s'était imposée, et qu'elle n'a violée qu'en deux circonstances solennelles (nous en verrons l'autre exemple au fauteuil suivant), de ne point remplacer

les pères par les fils. Cette sage loi avait pour but de conserver la liberté des élections, en les affranchissant de tout ce qui aurait pu avoir l'apparence de succession héréditaire. La Compagnie ne crut pas devoir refuser le titre d'académicien aux démarches que fit, pour l'obtenir, le fils unique d'un héros qui lui avait prodigué les témoignages de son attachement et de son estime, et Thomas put dire avec raison, en récevant le successeur du duc : « L'Académie, en adoptant M. le duc de Villars, avait adopté l'héritier et le fils du vainqueur de Denain, du rival d'Eugène... Il y a des héritages de gloire qui se répandent sur toute la postérité d'un homme illustre. Les distinctions accordées au fils devenaient un nouvel hommage rendu au père, et le nom dn duc de Villars parmi nous ressemblait à ces images qui, placées par les anciens dans les portiques ou dans les temples, rappelaient encore le souvenir des héros après leur perte. »

Du reste, le duc de Villars justifia cette honorable exception par sa déférence pour ses confrères, par un certain attrait héréditaire pour le mérite et les talents, par son amour pour les lettres et le goût éclairé avec lequel il les cultiva toujours. Son discours de réception offrit un mélange remarquable de sentiment, de convenance et de dignité. Il y disait, entre autres passages bien sentis : « Assis au milieu de vous, mes regards y cherchent encore celui auquel je succède; mon amour et mon respect ne s'accoutument point à me trouver dans la place

qu'il remplissait, et je serai longtemps à n'apporter que des larmes où il apportait tant de mérite. » Si le duc comprit qu'une sorte de bienséance lui interdisait la douceur de se conformer à l'usage en traçant le panégyrique de son père, l'abbé Houtteville, qui lui répondit, suppléa au silence du récipiendaire par un éloge fort étendu du maréchal.

Obligé par devoir de résider en Provence, et presque toujours absent de Paris, il se montra rarement aux assemblées de la Compagnie ; mais il prouva, dans toute circonstance, qu'il savait comprendre l'esprit d'égalité et de confraternité académiques. L'Académie que son père avait fondée à Marseille le choisit pour son protecteur, en remplacement du maréchal, et n'eut qu'à se louer de son zèle bienveillant.

Le duc de Villars était l'intime ami de d'Alembert et de Voltaire, dont il fut plus d'une fois le commensal à Ferney. Celui-ci estimait fort ses connaissances dans l'art dramatique : « Je ne connais personne, écrivait-il à Duclos, qui ait fait une étude plus réfléchie du théâtre que lui. » Le duc se piquait de quelque talent pour la déclamation théâtrale. Aussi était-il fort empressé d'accepter des rôles dans les représentations que l'auteur de Mérope donnait en son château, de l'Orphelin de la Chine, d'Olympie et d'autres pièces; mais son débit était froid, empesé, monotone. Il aimait surtout l'emploi de père. « Eh bien! monsieur de Voltaire, comment trouvezvous que j'ai rempli mon role?» disait-il un jour

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