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portant la parole au nom d'une des principales provinces du royaume; et, malgré le succès général des harangues qu'il fit en cette occasion, sa modestie s'obstina à ne pas les rendre publiques. Gette éloquence et cette modestie furent pour l'Académie une double raison d'adopter l'orateur, qui d'ailleurs tenait de près à un ministre alors fort accrédité, fort aimé du roi, honoré de sa confiance, mais plus estimable par sa probité qu'il ne fut heureux dans són administration.

» L'évêque de Senlis joignait à ses talents la connaissance profonde et la pratique rigoureuse de ses devoirs; son discours de réception en est une preuve édifiante, par le regret qu'il y témoigne de ne pouvoir joindre que rarement les travaux académiques à ceux de l'épiscopat, et concilier son goût et son plaisir avec les fonctions indispensables de son ministère; aussi la compagnie eut à peine la satisfaction de le posséder quelques fois dans ses assemblées. Ce respectable prélat, cher à l'église de France par la pureté de sa doctrine et de ses mœurs, donna au gouvernement de son diocèse, à l'instruction de son peuple, au soulagement des pauvres, tout le temps qu'il refusait aux lettres, et l'Académie n'a garde de se plaindre de cette préférence, malgré tout ce qu'elle y a perdu. Mais plus ces sacri. fices nous coûtent, plus il est juste que nous soyons rarement dans le cas de les faire; et peut-être seraitil permis d'en conclure que, parmi les différentes classes d'académiciens que doit réunir cette Com

pagnie, et qui sont utiles ou à ses intérêts, ou à sa renommée, une des moins nombreuses doit être celle des évêques: les devoirs sacrés de leur état doivent leur permettre à peine de donner quelques instants aux objets profanes dont nous nous occupons; et l'Académie, qui doit être essentiellement une société de gens de lettres, ne doit pas finir par être un concile. »

L'ancienne Académie, en effet, reconnaissante sans doute de la gloire que lui avaient apportée les Bossuet, les Fénelon, les Fléchier, les Massillon, avait peut-être trop de fois ouvert ses portes aux prélats; et l'abbé d'Olivet lui-même, parlant des évêques académiciens, dont la compagnie ne doit pas trop multiplier le nombre, avait dit précédemment : « Il faut du sel pour assaisonner les meilleures viandes, mais il en faut avec modération ». L'Académie a fini par comprendre cet abus, et l'a réformé comme beaucoup d'autres.

IV.

LE MARÉCHAL DE VILLARS.

4714.

CLAUDE-LOUIS-HECTOR duc DE VILLARS, pair de France, maréchal général des camps et armées du roi, chevalier de l'ordre de S. M. et de la Toison d'or, gouverneur de Provence, né à Moulins en

avril 1653, mort à Turin le 17 juin 1734. Nous ne saurions nous occuper ici ni de l'homme de guerre, ni de l'homme d'Etat; disons seulement qu'il sauva la France à cette journée, si justement fameuse, de Denain, le 24 juillet 1712. L'un des plus grands capitaines de la France, sa longue carrière fut semée d'une quantité pour ainsi dire innombrable de hauts faits. On trouverait difficilement un autre guerrier qui ait combattu dans un aussi grand nombre de batailles et de siéges, ait remporté des victoires plus décisives et en ait mieux su tirer parti. La justesse de son coup d'œil était extrême, la prudence profonde de ses plans n'avait d'égale que sa promptitude inouïe à les exécuter. Une valeur chevaleresque, une gaieté intarissable au milieu des privations et des dangers, le rendaient l'idole du soldat.

Son père, justement célèbre à la cour de Louis XIV, par sa taille imposante et la majesté de sa figure, semblait lui avoir légué ces avantages extérieurs. Villars possédait en outre une grande vivacité d'esprit, une imagination fertile. On le voit, dans ses lettres fort nombreuses, traiter sans effort et comme en se jouant les questions les plus épineuses. Il avait une conversation brillante, mais que déparait parfois une jactance naturelle, peu digne d'un homme qui faisait de si grandes choses. Sa mère lui avait dit souvent: << Vantez-vous au roi tant que vous pourrez ; mais, dans le monde, ne parlez jamais de vous. » Il n'observa jamais que la première partie du précepte maternel.

Eblouie de sa gloire et voulant lui payer à sa manière la dette du pays, l'Académie fit exception pour lui à sa juste réserve; elle le pria d'accepter le fauteuil. Villars se montra fort touché de cette prévenance. En composant son discours de réception, il lui vint à la pensée d'y insérer les mémorables paroles que le roi lui avait dites au moment où il prenait congé de lui pour la campagne que signala Denain : « Si mon armée est vaincue, j'irai vous rejoindre, et nous sauverons l'Etat ou nous périrous ensemble ! » Mais, avant de les y reproduire, il voulut prendre l'avis de Louis XIV, et ce prince lui répondit, avec son sens exquis : « On ne croira jamais, monsieur le maréchal, que vous parliez sans mon aveu de ce qui s'est passé entre vous et moi, Vous le permettre ou vous l'ordonner serait done une même chose, et je ne veux pas que l'on puisse penser l'un ou l'autre. ». Le discours du maréchal fut entendu avec une satisfaction extrême ; il n'en pouvait être autrement. La Chapelle, qui lui fit les honneurs de la compagnie, lui dit, entre autres choses : « La fortune devait mettre en ma place Cicéron pour répondre à César ; et plus loin il ajoutait « Ne nous est-il pas permis d'espérer que vous compterez quelquefois nos occupations parmi vos devoirs, et que vous nous accorderez quelques-uns de ces moments que la paix va vous laisser libres des soins que vous deviez à la sûreté et à la défense de nos frontières ? »

La suite

prouva que le héros n'était pas insensible

à cette aimable invitation : « Il ne fut point coupable à notre égard, dit d'Alembert, de l'espèce d'indifférence dont on a plus d'une fois accusé des académiciens de son rang, qui, en paraissant très-rarement au milieu de nous, ont apparemment crú satisfaire leur orgueil par cette espèce de dédain, et ont prouvé seulement qu'ils entendaient bien mal les intérêts de leur vanité. Le maréchal de Villars, pluséclairé et plus juste, rendait à cette Compagnie, le plus souvent qu'il lui était possible, l'espèce d'hommage qu'elle est en droit d'exiger de tous ses membres, qu'ils lui doivent même d'autant plus qu'elle a montré, en les adoptant, plus d'égards pour leur naissance et leurs dignités; elle désire, bien moins pour elle que pour eux-mêmes, de rece. voir quelquefois de leur part ces faibles marques de reconnaissance. Notre héros n'oublia jamais de remplir ce devoir; it venait assez fréquemment à nos assemblées, paraissait s'intéresser à nos exercices, opinait avec autant de goût que de dignité sur les questions qui s'agitaient en sa présence, et finissait toujours par témoigner à la Compagnie les regrets les plus obligeants de ce que la multitude de ses autres devoirs ne lui permettait pas de s'acquitter, comme il l'aurait voulu, de celui d'académicien. Un jour, après une de ses effusions ordinaires et affectuenses de dévouement et de respect pour ses confrères (car c'étaient les propres termes dont il croyait devoir se servir à leur égard), il ajouta que, ne pouvant pas se trouver aussi souvent parmi eux qu'il le

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