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lui permit enfin de reparaître librement et pour toujours. Le temps des épreuves était passé. Bonaparte, qui l'eut bientôt distingué au Mercure, entre de Bonald et Chateaubriand, lui donna l'ordre de prononcer l'éloge de Washington dans le temple des Invalides.

Cet Eloge, qui eut pour Fontanes la valeur d'un acte politique, lui ouvrit la carrière des honneurs, et ce fut sur ce premier fondement qu'il bâtit sa fortune. Le public applaudit cette nette et sincère façon de dire que les déclamations révolutionnaires semblaient avoir à jamais bannies de la tribune; il admira cette éloquence calme, sensée, élevée, harmonieuse. Le premier consul se sut gré de son choix. Il acheva d'attirer auprès de lui celui qu'il avait déjà pris par la main. Fontanes entra d'abord au Corps législatif (1802), et, deux années après, il en acceptait la présidence. Investi de ces délicates fonctions, il les remplit avec conscience jusqu'en 1810. Ce fut l'époque où il quitta le Corps législatif pour passer au Sénat. Chateaubriand, parlant de la présidence de Fontanes, a dit : « Il y maintint la dignité de la pa· role sous un maître qui commandait un silence servile. » Ce mot seul est un grand éloge. Au reste, Fontanes portait cette indépendance jusque dans le conseil impérial, et il se permettait de contester respectueusement mais librement avec le maître. C'é taient, disent les témoins de ces petites discussions, c'étaient entre ces deux hommes, que séparait une distance toujours parfaitement observée, de char

mantes escarmouches, une guerre continuelle d'épigrammes et de saillies. Le vainqueur de l'Europe y excellait, mais Fontanes était en mesure de lui tenir tête. Il faut lire ses discours, qui sont si curieux par les sous-entendus, les allusions, les réticences, pour se faire une juste idée de la finesse malicieuse, de la subtilité piquante dont il était capable. << Pensezvous toujours à votre duc d'Enghien? lui dit un jour l'Empereur, qui n'ignorait pas les sentiments de Fontanes. Mais il me semble, répondit-il, que l'Empereur y pense autant que moi. »> Les questions littéraires, artistiques, scientifiques, avaient aussi leur part dans ces débats. Un jour que la conversation était sur Talma et sur un de ses rôles nouveaux :

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Qu'en pense Fontanes? demanda l'Empereur; il est pour les anciens, lui! Sire, repartit le spirituel contradicteur, Alexandre, Annibal et César ont été remplacés, mais Lekain ne l'est pas. » Et l'Empereur de sourire, on le conçoit sans peine. Mais un mot qui prouvera toute l'estime que Napoléon avait pour Fontanes, c'est celui-ci. Fontanes assistait à la délibération sur le divorce. Joséphine ne pouvait se résoudre à prendre une détermination : « Nous savons, lui dit Fontanes, tout ce que ce sacrifice doit vous coûter; c'est par cela même qu'il est plus digne de vous: ce sera un jour une des belles pages de votre histoire. Ce sera donc vous, Monsieur, qui l'écrirez!» lui répondit l'Empereur. « Quel homme, dit Roger, et surtout quel écrivain n'aurait été flatté d'une louange si délicate ajoutée à tant de bienfaits reçus! ».

Fontanes, créé grand maître de l'Université en 1806, occupa ce poste avec éclat : car son zèle pour la religion, pour les sciences, pour ceux que leur caractère et leurs talents appelaient à répandre l'une, à enseigner les autres, a désormais associé son nom à l'heureuse renaissance de nos études. M. Villemain, son disciple, son ami, nous dit qu'il s'était entouré des esprits les plus sains et les plus éclairés, et que, non-seulement, les de Bonald, les de Bausset, les de Sèze, les Frayssinous, les Cuvier, les Jussieu, les Delille, figuraient au nombre des maîtres qu'il avait réunis, mais encore que des hommes éloignés de toutes les carrières par une honorable indisposition, des talents persécutés ou inconnus, avaient trouvé dans l'Université ce qu'elle doit toujours offrir, la considération et l'indépendance. De vénérables ecclésiastiques furent protégés, défendus, dit-il, L'Université devint un lieu d'asile : c'était le mouvement de cœur de M. de Fontanes. Les lettres, le malheur, étaient sacrés pour lui; il aimait le mérite; l'espérance même du plus faible talent lui était précieuse, et si quelque jeune homme n'avait encore en sa faveur qué l'amour de l'étude, il lui tendait la main, il lui donnait du courage et de l'appui. Mille exemples ont attesté cette généreuse influence, et, je ne crains pas de le dire, pendant cinq années, l'administration de M. de Fontanes fut un bienfait public pour la religion, pour la morale, pour les lettres et pour la jeunesse.

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La Restauration trouva Fontanes sénateur et le fit

pair de France; mais il touchait au terme de sa carrière. Minée depuis longtemps par les travaux et par les veilles, sa santé s'éteignait de jour en jour; la mort d'un jeune homme qu'il avait adopté fut une douleur au-dessus de ses forces, et il expira, le 17 mars 1821, dans les bras de la religion qui console, au milieu des larmes de ses amis.

<< Si l'on réduisait les écrits de M. de Fontanes à deux très-petits volumes, l'un de prose, l'autre de vers, disait Chateaubriand, son illustre ami, ce serait le plus élégant monument funèbre qu'on pût élever sur la tombe de l'école classique. » Ce vœu s'est réalisé naguère, et, sur le fronton de ce monument, M. Sainte-Beuve a gravé le jugement définitif de la postérité.

XI.

M. VILLEMAIN.

1821.

M. ABEL-FRANÇOIS VILLEMAIN naquit à Paris le 10 juin 1791. M. Planche fut son premier maître. C'est chez cet helléniste distingué qu'il élabora ses études, et qu'il apprit cette langue grecque, dont les traces devaient demeurer si profondes dans son esprit et si charmantes dans ses livres. « Vers l'âge de douze ans, rapporte M. Sainte-Beuve, il jouait la tragédie grecque à sa pension, dans les exercices de fin d'an

III.

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née; il sait encore et récite aujourd'hui à nos oreilles un peu déconcertées, tout son rôle d'Ulysse de la tragédie de Philoctète. » Avide de savoir, prompt à apprendre, comprenant aisément, M. Villemain suivait, en même temps que les leçons de M. Planche, celles du Lycée impérial. Ses études achevées, la façon brillante dont il s'en était tiré éveilla l'attention de l'Université; elle voulut se l'approprier. Présenté par Roger à Fontanes, le grand maître installa sur-le-champ le jeune homme dans la chaire de rhétorique du collége Charlemagne et dans celle de l'Ecole normale (1810).

Quelques harangues latines et une petite oraison funèbre prononcée sur la tombe de son ancien professeur, Luce de Lancival, sont les débuts de M. Villemain dans la carrière des lettres. Ils furent remarqués; mais son Eloge de Montaigne, qui lui fit remporter le prix d'éloquence décerné par l'Académie, en dépit de Droz, de Victorin Fabre et de Jay, concourant avec lui, montra qu'il pouvait donner davantage. Ce discours, dit un biographe, ce discours, où le génie de Montaigne, de ce Montaigne qui dénoua en quelque sorte la langue française, est si merveilleusement apprécié, semble désormais inséparable des œuvres de notre grand moraliste. Si l'on a regretté que quelques-unes de ses parties manquassent de développements plus étendus, du moins son mérite littéraire n'a pu soulever la plus légère critique: en effet, véritable chef-d'œuvre académique, on y retrouve cette élégance naturelle et

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