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qu'il écrivit avec les notes que lui fournissaient ses nouvelles fonctions, est une œuvre consciencieuse, moins piquante que celles de son prédécesseur peut-être, mais d'un sentiment plus élevé et d'un style plus sévère. Il avait été nommé historiographe des bâtiments en 1785, et il était secrétaire perpétuel de l'Académie depuis 1783. Lorqu'en 1786 fut fondé le Lycée, ce fut encore lui qu'on désigna pour y remplir la chaire d'histoire. Mais à ce dernier honneur s'arrêtent les récompenses que commençait à recevoir Marmontel de ses nombreux travaux. La Révolution éclatait; tout ce qu'il avait amassé fut englouti par le gouffre. Au milieu de l'effroyable désordre où se trouva bientôt jetée la nation, l'estime qu'il avait des hommes l'empêchait de s'effrayer; il avait conservé dans son esprit cette sérénité parfaite, et qui était comme le reflet de son cœur. Ses Nouveaux Contes moraux, inspirés par la crise, et pour en atténuer les effets, attestent cette estime naïve. Malheureusement on ne prit point garde aux avis qu'il y donnait. Bientôt, emporté luimême par le flot déjà sanglant de la Révolution, Marmontel quitta Paris, et ne s'arrêta qu'au pied d'un vert et paisible coteau de Normandie. Là, entouré de ses enfants, d'une femme tendrement aimée (une nièce de l'abbé Morellet qu'il avait épousée en 1777), il s'adonna tout entier à l'éducation de sa jeune famille. C'est pour elle que furent écrites les Leçons d'un père à ses enfants. C'est également dans cette retraite, d'où il ne sortit que pour venir siéger

un instant au conseil des Anciens (1797), qu'il acheva ses Mémoires.

Ce livre, le dernier qui soit sorti de sa plume féconde, «< est, dit M. Sainte-Beuve, son plus agréable et son plus durable ouvrage ». Il renferme en effet tout ce qui peut déterminer cette opinion. Le galerie de portraits qu'on y trouve, et qui est peut-être la plus complète et la mieux exécutée de l'époque; les faits, les anecdotes, les récits curieux qu'il contient; le style correct, élégant, harmonieux dont l'auteur s'est servi, en font un véritable monument. Les Mémoires de Marmontel survivront, soit qu'on les lise pour eux-mêmes, ou qu'on les consulte comme témoignages historiques.

C'est aussi parmi ces pages attachantes et faciles qu'il faut aller chercher les traits dont il est besoin pour peindre leur auteur. Nulle part ils ne sont plus exacts et plus sensibles, le peintre les ayant tracés sans y songer. Ceux-ci réunis, il s'en forme une figure honnête, bienveillante et tout à fait sympathique. Le naturel primitif et excellent avec lequel Marmontel vint à Paris, et qu'il conserva en dépit des exemples funestes de la société qui l'avait admis, y perce à tout moment. Un écrivain qui eut Voltaire pour patron et qui sut garder au milieu de cette longue orgie qu'on nomme le xvIII° siècle, sa foi et les principes d'une vraie morale, vaut la remarque. M. Sainte-Beuve la faisait dans l'une de ses notices. « C'était un honnête homme, dit-il,

ce qu'on appelle un bon naturel........ Sa conduite, à l'époque de la Révolution, et dans des circonstances où tant d'autres de ses confrères se ouvrirent de ridicule et de honte, fut digne, prudente, généreuse même. Aussi, quand on apprit que ce bon vieillard Marmontel venait de mourir dans la chaumière où il s'était retiré, au hameau d'Abloville, près Gaillon, le 31 décembre 1799, le dernier jour du siècle, cette mort n'éveilla partout qu'un sentiment d'estime et de regret. »

X.

FONTANES.

1795.

LOUIS-MARCELIN, marquis DE FONTANES, grandcordon de la Légion d'honneur, membre du Corps législatif et du Sénat, grand maître de l'Université, comte de l'empire et pair de France, naquit à Niort le 6 mars 1757. Après quelques études préliminaires, commencées dans l'école d'un village situé près la Rochelle, il entra au collége des oratoriens de Niort, et y termina ses classes. Une âme douce, un cœur facilement touché, le disposaient d'avance à la poésie. La mort d'un frère qu'il aimait tendrement lui révéla ce précieux don; et le germe heureux donna sa première fleur dans des vers pleins de charme et de mélancolie.

Sa vocation s'étant manifestée, Fontanes eut hâte de la suivre. Il vint à Paris en 1783 et publia, pour son début, le petit poëme de la Forêt de Navarre. Ce n'était pas un chef-d'œuvre, mais le jeune auteur s'annonçait par des qualités nouvelles. On lui reconnaissait un coloris, un style pur, des idées bien senties et simplement exprimées. Ce goût meilleur qui contrastait avec le petit goût d'une école au déclin, attira sur lui l'attention des lettrés véritables et lui valut particulièrement l'amitié du bon Ducis. Son Essai sur l'homme qui vint après, fut trouvé un peu sec; c'était le défaut de l'original. En revanche, le Jour des Morts, cette douce et religieuse élégie, la Chartreuse, méditation touchante et solennelle, quelques autres petites pièces successivement insérées dans l'Almanach des Muses, obtinrent un applaudissement général, et La Harpe s'écriait avec un enthousiasme d'autant plus sincère qu'il était plein de ses anciennes rancunes: « Décidément voici un poëte qui va tuer l'école de Dorat. » La Harpe disait vrai, car Fontanes fit mieux encore. I rouvrit le beau chemin qui partait de Racine, et, qui sait? peut-être lui doit-on Millevoye et le poëte rêveur des Méditations! Le Verger, dans lequel il égalait Delille, l'Epître sur l'édit en faveur des non-catholiques, cou- 、 ronnée par l'Académie française; l'Epître à Boisjolin, achevèrent d'asseoir sa réputation. On le louait comme un maître. « Nul poëte, disait de lui un critique, n'a su joindre depuis longtemps par un art plus délicat tout ce que l'élégance du style a de plus

agréable et plus brillant avec tout ce que les grâces de la simplicité ont de plus facile et de plus agréable. C'est la précision correcte et la raison judicieuse de Boileau réunies à la douceur de Racine, et leur commun talent de tourner les vers. >>

Ici malheureusement s'arrêtent les heureux débuts de Fontanes, partant les indulgentes comparaisons de la critique. La Révolution, qui est survenue, lui a tracé une voie nouvelle ; le poëte dit adieu à sa muse et s'enrôle, soldat volontaire, dans la milice des écrivains qui combattent avec la plume. Journaliste, il entre avec Suard au Modérateur. Le titre de la feuille indique assez combien peu elle dut vivre. Proscrit en 1793, pour avoir osé, dans une adresse à l'Assemblée constituante, flétrir les crimes du tribunal révolutionnaire de Lyon, il trouve un asile chez Mme Dufresnoy et ne quitte sa retraite qu'au moment où le 9 thermidor emporte la terreur suspendue sur la nation entière. Robespierre venait de tomber : la France espérait des jours meilleurs. Les lettres, les arts, qui n'attendaient qu'un beau jour pour refleurir, sentaient comme l'approche de la saison féconde. L'Institut naissait du débris de nos académies. Fontanes ne fut pas oublié sur la liste des qua. rante, et dans le même temps on le nommait professeur de belles-lettres à l'école des Quatre-Nations. Mais l'imprudent était allé rejoindre La Harpe au Mémorial. Le 18 fructidor l'enveloppa dans la SaintBarthélemy des journalistes; Fontanes, condamné à la déportation, quitta la France, où le 18 brumaire

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