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nelles qui corrompent communément nos spectacles, et vous avez su faire servir ses fictions poétiques à donner aux hommes d'utiles leçons ».

Nivelle de La Chaussée est mort en 1754, à Paris.

VIII.

BOUGAINVILLE.

1754.

JEAN-PIERRE DE BOUGAINVILLE, né à Paris le 1er décembre 1722. Son père était échevin. Son frère fut ce fameux comte de Bougainville qui fit le tour du monde. Elevé avec beaucoup de soin, des talents naturels, perfectionnés par l'éducation, lui firent de bonne heure un nom célèbre. En 1745, l'Académie des inscriptions et belles-lettres ayant mis au concours cette question : Quels étaient les droits des métropoles grecques sur leurs colonies? il la traita avec une telle distinction qu'il obtint, non-seulement le prix, mais que cette Compagnie voulut aussitôt le posséder. Il y entra, quoiqu'il ne fût âgé que de vingttrois ans. Depuis ce moment Bougainville ne cessa d'enrichir les recueils de cette savante société ; les mémoires qu'il y fournit, et qui sont très-nombreux, renferment une foule de détails curieux, les aperçus les plus neufs, et attestent chez leur auteur une trèsgrande variété de connaissances. « Lumineux, abon. dant, facile, dit Lebeau, il savait éclaircir les sujets

les plus obscurs, enrichir les plus stériles, défricher un champ hérissé d'épines pour y semer des fleurs. » Malheureusement, la nature lui avait refusé les forces physiques. Un asthme opiniâtre, dont il fut attaqué dès sa première jeunesse, l'arrêtait sans cesse au milieu de ses études, Il n'en produisit pas moins beaucoup. Indépendamment de travaux scientifiques de toutes sortes, il consacrait aux lettres les courts moments que lui laissaient la maladie et les sciences. Ses oeuvres littéraires sont : une traduction de l'Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac (1749), un Parallèle de l'expédition de Thomas Koulikan dans les Indes avec celle d'Alexandre, et des éloges d'académiciens. Sa version, que précède un discours préliminaire plein d'esprit et de raison, respire partout l'élégance et la force: elle a été réimprimée plusieurs fois; son Parallèle est rempli de savoir, d'imagination et d'éloquence; quant à ses éloges, ce sont autant de portraits brillants par le coloris, où les traits caractéristiques qui varient les ressemblances sont exprimés avec finesse et vérité. Il a en outre laissé une tragédie dont la mort de Philippe, père d'Alexandre, est le sujet, et dans laquelle il s'est, dit-on, souvent élevé à la hauteur de nos meilleurs poëtes.

Bougainville entra à l'Académie française en 1754; il était déjà de celle de Cortone et de plusieurs autres sociétés savantes ou littéraires. Il fut censeur royal et garde de la salle des antiques du Louvre; le roi Louis XV l'avait chargé de l'explication des médailles

formant l'histoire métallique de son règne, et vers la fin de sa vie il fut honoré du titre de secrétaire ordinaire du duc d'Orléans; mais il ne conserva pas longtemps cette dernière place; au mois d'avril de l'année 1763, les attaques de son asthme étant devenues plus fréquentes et plus vives, il n'y résista pas et mourut le 22 de juin, à Loches, n'étant âgé que de quarante et un ans. Ses contemporains nous le représentent comme un homme du commerce le plus sûr, ignorant l'art détestable de la satire, de l'intrigue, de la tracasserie. Avec des talents qui rendent célèbre, il ne cherchait qu'à être utile. Sensible et doux, « vertueux autant par principes que par un heureux penchant, dit Lebeau; ami sincère, ardent à obliger, incapable de ruse et d'artifice, aimant l'honneur, mais aussi empressé d'en procurer aux autres qu'à lui-même ; il fut chéri de tous ceux qui ne refusèrent de le connaître. >>

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IX.

MARMONTEL.

1763.

JEAN-FRANÇOIS MARMONTEL, le plus célèbre des disciples de Voltaire, poëte, journaliste, auteur dramatique, historien et secrétaire perpétuel de l'Académie française, naquit le 11 juillet, à Bort, petite ville du Limousin, dans une condition obscure.

III.

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Toutefois, son éducation n'eut pas à se ressentir de la pauvreté de sa famille. Un prêtre, qu'avait séduit la vive intelligence de l'enfant, voulut être son premier précepteur. Les jésuites du collége de Mauriac l'accueillirent ensuite. C'est sous leur tutelle que grandit le jeune homme, et qu'il continua ses études, depuis sa quatrième jusqu'à sa rhétorique. Après avoir fait sa philosophie à Clermont, se préparant à entrer lui-même dans la Société, il reçut la tonsure à Limoges, des mains de l'évêque Coëtlosquet, et se rendit à Toulouse, où nous le voyons partager la chaire de philosophie avec le professeur des bernardins de cette ville.

C'est vers cette époque que Marmontel fit ses premiers pas dans la carrière littéraire. Témoin des luttes poétiques du Capitole, la richesse des prix qu'y obtenaient les vainqueurs l'avait émerveillé. Il concourut. Une Ode sur l'invention de la poudre à canon lui servit de début. « Mais (c'est Marmontel qui parle) elle n'obtint même pas le consolant honneur de l'accessit. En faut-il davantage pour qu'un jeune poëte se croie la victime d'une injustice? Marmontel se dépita et, dans son dépit, l'écrivit à Voltaire en lui envoyant son ouvrage. Toujours prêt à applaudir la jeunesse pour en être applaudi, Voltaire répondit au Pindare nouveau, qu'à Paris seulement on saurait apprécier ses efforts et les encourager; l'amourpropre du poëte fut aisément convaincu, et au bout de quelques mois d'une correspondance suivie, Marmontel accourut se ranger parmi les brillants esprits

qui se groupaient autour de cet homme illustre. Le bagage du futur écrivain n'était pas encore lourd; cependant trois prix remportés depuis sa première tentative l'avaient déjà fait sortir de l'obscurité : un petit poëme, la Boucle de cheveux enlevée, qu'il avait traduit de Pope, pour charmer les longueurs de son récent voyage, attira l'attention; mais ce n'étaient là que des essais, et pour réussir, il fallait des œu

vres.

Voltaire poussait son disciple vers la scène. Docile à ses conseils, Marmontel composa Denys le tyran (1798), tragédie d'écolier que n'accueillit pas moins un très-vif enthousiasme. Le public alla même jusqu'à redemander l'auteur. C'était, depuis Mérope, le second exemple d'une faveur aussi glorieuse. Aris tomène (1749), avec les mêmes défauts, eut la même fortune son succès fut complet; mais Cléopátre, qui lui succéda (1750), fut reçue avec moins d'empressement. Pour rendre plus saisissante la fin de la reine d'Egypte, Marmontel avait fait confectionner par Vaucanson un aspic automate. Quand le moment fut venu, l'aspic joua son rôle, et sortit, en sifflant, de la corbeille de figues, « Je suis de l'avis de l'aspic », s'écrie alors un des plaisants du parterre. Le mot se répéta et ent malheureusement plus de succès que pièce. Marmontel changea depuis ce dénoûment; mais eu 1784, comme en 1750, le public montra la même tiédeur. La tragédie des Héraclides qui suivit Cléopátre est, en tous points, meilleure que ses ainées. Le plan en est régulier, les incidents parfaitement

la

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