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Outre ces Opuscules et tout ce qui a été cité plus haut, l'abbé de Choisy a écrit des Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV. Ce livre mériterait encore aujourd'hui les honneurs de la réimpression, tant le fond en est intéressant, la forme agréable et les détails curieux. Mais depuis longtemps l'ouvrage entier a passé dans cent autres ouvrages ses excellents portraits ont servi aux his toires plus récentes, les piquantes anecdotes sont allées enrichir les anas, et le point de vue d'où l'abbé de Choisy jugeait les événements voisins, n'est plus celui sous lequel nous les considérons aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, c'est, avec le journal de son voyage et son discours de réception, l'œuvre la plus propre à le faire revivre dans le souvenir.

La fin de l'abbé de Choisy fut digne de la seconde moitié de sa vie, et en tous points meilleure que son commencement. Son repentir a été sincère. Il mourut en déplorant cette inconséquence et cette frivolité qui étaient comme la tache de sa naissance, et put, quand il vit s'approcher son heure dernière, s'écrier du même cœur que le psalmiste: « Delicta juventutes meæ et ignorantias meas ne memineris. » Portail nous a laissé son portrait moral en quelques lignes : «< Né dans la politesse, élevé dans le commerce continuel des sociétés les plus choisies et des esprits les plus ornés, il sut y puiser cette douceur de mœurs, ces grâces naturelles, cet esprit d'insinuation et d'enjouement qui le rendaient aimable à tout le monde. Brillant et plein de saillies dans la

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conversation, ami fidèle, officieux, empressé à plaire, il possédait l'art de se faire désirer partout. » En effet, il ne se connaissait pas un ennemi. « Si je savais quelqu'un qui me voulût du mal, disait-il luimême, j'irais tout à l'heure lui faire tant d'honnêtetés, tant d'amitiés, qu'il deviendrait mon ami en dépit de lui. >>

L'abbé de Choisy mourut le 2 octobre 1724, âgé de quatre-vingts ans et doyen de l'Académie.

VI.

PORTAIL.

1724.

ANTOINE PORTAIL, premier président du parlement de Paris, mort le 3 mai 1736. « Son éloquence naturelle et son amour pour les lettres furent ses titres d'académicien, dit d'Alembert. Le discours, noble et modeste, qu'il prononça à sa réception doit être distingué dans le recueil de nos harangues. Quoique revêtu de la première dignité du premier parlement du royaume, il crut l'honorer en venant s'asseoir parmi nous à la dernière place, et en nous assurant de tout le prix qu'il mettait à nos suffrages. Son discours fit d'autant plus d'impression qu'il en rappela un autre, un peu différent, prononcé dans une occasion semblable, par un magistrat qui était venu comme lui prendre séance à l'Académie. Ce discours qui ne fut point imprimé dans le temps, pour

l'hon

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neur de cet académicien, et qu'on a même oublié aujourd'hui, nous paraît assez remarquable, par son laconisme peu modeste, pour , pour être rapporté dans cet article, comme un modèle de ridicule. Il pourra servir de leçon aux récipiendaires, de quelque état qu'ils soient, qui seraient tentés à l'avenir de tomber dans de pareils écarts : « Messieurs, je dois à vos >> illustres fondateurs les premiers succès de ma vie. >> Ils me facilitèrent les moyens d'entrer dans les places que mes aïeux avaient autrefois occupées. Si >> vous me communiquez vos lumières, je saurai les » faire valoir. Les Athéniens avaient bâti leur lycée à » côté de l'aréopage, la langue d'Ulysse ne contri>> bua pas moins à la prise de Troie que les armes » d'Achille. Je viens prendre aujourd'hui une place >> parmi vous. Quand Hercule veut être citoyen de >> Corinthe, personne n'en doit refuser l'avantage. » On ne sait qui est l'Hercule dont le nouvel académicien voulait parler. Si c'était lui-même, comine on est tenté de le croire, le discours qu'on vient de lire n'est pas un des plus dignes travaux du nouvel Alcide.

VII.

LA CHAUSSÉE.

1736.

PIERRE-CLAUDE NIVELLE DE LA CHAUSSÉE naquit à Paris en 1692. Neveu d'un fermier général, si son

ambition se fût portée vers la fortune, il était en passe d'y prétendre; mais un goût plus vif et plus désintéressé le détourna des affaires. C'était le goût des lettres, et il voulut garder son loisir pour le leur consacrer tout entier.

La Motte, poëte-philosophe, ou pour mieux dire philosophe poëte, lentait alors de réformer la littérature; il faisait entrer de force la métaphysique dans la poésie familière, changeait le ton, le caractère et les acteurs naturels de la fable; imposait d'autorité son système de poésie en prose; La Chaussée, jeune et plein du zèle de la poésie véritable, releva ce défi jeté à ses maîtres. Une critique très-vive et très-juste qu'il fit des fables de La Motte (1719), avec lequel il était lié, mais dont l'esprit bienveillant ne se chagrinait pas des censures de ses amis, fut sa première protestation; son Epitre à Clio (1731) fut la seconde. Toutes deux furent lues. On approuva particulièrement la dernière, dont le succès fut très-grand à son heure, quoique cet ouvrage manque un peu d'énergie. « Les connaisseurs, rapporte d'Alembert, crurent y voir le germe d'un talent plus rare que celui de la simple critique, le talent précieux du théâtre. » Encouragé par eux, depuis ce moment, La Chaussée s'y adonna entièrement. Son théâtre, l'un des plus curieux que nous ayons, ne renferme pas moins de dix-neuf pièces, dont dix-sept comédies, une tragédie, et une tragicomédie, qui composent un total de soixante et onze actes, tous en vers. Sans doute ce serait s'avancer

beaucoup si l'on prétendait que toutes furent bien accueillies du public; mais ce n'est pas compromettre la vérité que de dire qu'elles furent toutes reçues avec intérêt et curiosité. La Chaussée est un novateur, lui aussi. Son genre, d'abord qualifié de comique larmoyant, puis, sur l'avis de l'abbé Desfontaines, appelé du nom de romanédie, à cause des romans dont on tirait d'ordinaire ces sortes de pièces, a conservé depuis celui de drame en vers, sous lequel nous le connaissons aujourd'hui. Il suffirait, pour sauver de l'oubli le nom de notre académicien, d'avoir importé cette nouveauté d'Angleterre; il fit plus : il l'imposa en France par le talent. Le Préjugé à la mode (1735), Mélanide (1741), l'Ecole des mères (1744), la Gouvernante (1747), ses chefs-d'œuvre, seront toujours lus. Indépendamment des mérites littéraires qu'elles renferment, chacune de ses pièces exhale un parfum d'honnêteté qui vous charme le cœur ; leur auteur excelle à tirer des faits les plus ordinaires de la vie un enseignement utile, une maxime sage. Aussi le jour de sa réception à l'Académie, un prêtre, le vertueux Languet de Gergy, pouvait-il, sans manquer à la double dignité de son caractère et de son sacerdoce, faire l'éloge d'ouvrages « qui, disait-il, en amusant la curiosité de la jeunesse, la rappellent à la justice et aux sentiments de la droiture et de l'honneur... Vous méritez des éloges, ajoutait le bon archevêque, même de nous; car vous avez banni de la scène les passions crimi

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