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IV.

LE DUC DE SAINT-AIGNAN.

1663.

FRANÇOIS DE BEAUVILLIERS, duc DE SAINT-AIGNAN, né le 30 octobre 1610, mort le 16 juin 1687, dut le prénom de François à la dévotion particulière de ses parents envers le vénérable fondateur de l'ordre des capucins, dont il porta même l'habit pendant une partie de son enfance. Destiné à la profession des armes, il en fit bientôt l'apprentissage, et comme le jeune Cid, pour se trouver homme de guerre, n'eût qu'à tirer son épée. Les annales militaires du grand siècle sont pleines de ses actions d'éclat. Quatorze campagnes, presque autant de commandements, justifient les récompenses dont Louis XIV fut prodigue envers lui. Nommé tour à tour duc et pair de France, premier gentilhomme de la chambre, conseiller du roi, gouverneur de plusieurs provinces, la reconnaissance royale n'était pas encore lasse de l'élever, lorsque le goût des lettres et le désir d'une gloire plus calme vinrent le disputer à l'ambition. Le duc de Saint-Aignan ne voulut garder de ses honneurs que ceux qui ne le détourneraient pas du commerce des muses. Déja leur entretien lui était familier. Au milieu même de l'agitation des batailles, et dans l'activité des travaux administratifs, il s'était réservé d'heureux loisirs, pour leur donner tous les soins d'un

esprit délicat et facile. Un prix que lui décerna l'Académie de Caen, une volumineuse correspondance, et particulièrement les lettres que Voiture et lui s'adressaient mutuellement en vieux langage, attestent des relations très-assidues avec les meilleurs auteurs; tandis que différentes pièces de vers, conservées çà et là dans les oeuvres de Scarron, dans celles de Mme Deshoulières et le recueil des pièces académiques de Vertron, nous permettent d'apprécier toute la finesse de ce poëte de qualité qui n'était pas un Oronte.

Le roi, que charmait son esprit, et auquel plaisaient son étincelante bravoure, ses manières nobles et chevaleresques, d'où lui était venu le surnom de Paladin, l'avait en une estime qui se traduisait toujours par les marques les plus aimables. S'il s'agissait d'un carrousel ou de quelque fête comme il aimait à en donner à sa cour brillante, il avait aussitôt recours au duc de Saint-Aignan. C'est lui qui, de concert avec Benserade, en devait fixer les inci. dents, et quelquefois même, c'est à la délicatesse ingénieuse de sa muse facile qu'il en demandait les récits et les vers.

Le duc de Saint-Aignan laissa en mourant un vide très-regrettable au sein de la république des lettres. « Ce fut un deuil universel sur le Parnasse », rapporte d'Olivet. En effet, le talent reconnu ou celui qui ne faisait que de naître, le seul malheur, de quelque part qu'il pût venir, était sûr de trouver près de lui la protection, la bienveillance et le secours dont il

avait besoin. « Quels sont les poëtes de sun temps, reprend le biographe, qui n'ont pas laissé des témoignages publics de ce qu'ils croyaient devoir, ou à ses lumières, ou à ses bienfaits? Jamais le mérite ne manqua de le toucher, surtout le mérite peu aidé de la fortune. Au lieu de ces dépenses folles qui ne peuvent que causer du regret, il aimait celles dont un cœur généreux se dédommage par le plaisir de les avoir faites. >>

Le duc de Saint-Aignan est le fondateur de l'Académie d'Arles; il faisait également partie de l'Académie de physique de Caen et de celle des Ricovrati de Padoue.

V.

L'ABBÉ DE CHOISY.

1687.

FRANÇOIS-TIMOLÉON DE CHOISY, prieur de SaintLô, de Rouen, de Saint-Benoît-du-Sault et de SaintGelais, grand doyen de la cathédrale de Bayeux, etc., etc., né à Paris le 16 août 1644. Il était destiné à l'état ecclésiastique, et le brillant succès de ses études semblait promettre à l'épiscopat français une lumière nouvelle; mais le goût de la dissipation, qu'on lui laissa prendre de bonne heure, détruisit cette espérance et retarda même longtemps son entrée dans les ordres. Sa jeunesse se passa dans les plaisirs les plus mondains et les frivolités les plus singulières. Cependant, vers sa trentième année

(il avait fait alors deux voyages, l'un à Rome, en qualité de conclaviste du cardinal de Bouillon; l'autre à Siam, comme catéchiste chargé de convertir le roi de ce pays), abandonnant enfin un genre de vie si peu en rapport avec le caractère dont il était revêtu, on le vit se livrer avec ardeur aux exercices de la religion, à l'étude et aux lettres. Déjà, quatre dialogues composés durant une maladie fort dangereuse qui l'atteignit lors de son retour de Rome, puis le journal de son voyage à Siam, avaient vivement attiré l'attention. Ce dernier ouvrage, l'un de ses meilleurs titres littéraires, tout empreint du caractère de son auteur, frivole et intéressant, enjoué et original, plein de détails curieux, fut particulièrement goûté : « C'est un livre qu'on lira toujours avec plaisir », disait d'Alembert. Ces succès et la raison venue sur les pas des années, achevèrent d'engager l'abbé de Choisy dans les voies sévères. Une ère nouvelle s'ouvrit devant lui. Sa vie, autrefois si peu régulière, ne fut plus consacrée qu'à de pieuses méditations, à d'incessants et d'honorables travaux. Depuis ce moment, c'està-dire pendant trente-sept années qu'il vécut encore (1687-1724), il s'appliqua sans relâche à composer et à écrire sur des sujets divers. Les vies de David et de Salomon, la Traduction des Psaumes et de l'Imitation de J.-C., ses histoires de Charles V, de Charles VI, de saint Louis, furent dans leur temps et restent toujours de bons ouvrages, qui se laissent fort bien lire », disait Mme de Sévigné. Ses Histoires

édifiantes, son Histoire de l'Eglise, tant de travaux rapidement exécutés, où l'agrément du style, la vivacité de la narration pouvaient le disputer aux ceuvres les plus importantes de l'époque, n'empêchaient pas l'abbé de Choisy de remplir consciencieusement ses devoirs d'académicien. « Il se rendit

très-utile à la Compagnie, dit d'Alembert, en partageant avec assiduité et avec ardeur le travail dont elle était alors occupée. Il rédigea même par écrit une espèce de journal de ce qui se passait dans les assemblées, des questions grammaticales qu'on y discutait, et des discussions qui en résultaient. L'Académie ne jugea pas à propos de publier dans le temps ce petit journal, parce qu'il lui parut écrit avec trop peu de gravité. Cependant un grave académicien, mais apparemment moins grave que nos prédécesseurs (l'abbé d'Olivet), le mit au jour il y a environ vingt ans (1754), sous le titre d'Opuscules sur la langue française. La lecture de cet écrit, qui semble ne promettre que des discussions arides et ennuyeuses, est beaucoup plus agréable qu'on ne devrait s'y attendre. L'auteur a tempéré la sécheresse du sujet par la légèreté du style, par l'espèce de vie et d'intérêt qu'il donne à son récit, enfin par quelques traits et quelques anecdotes qui y répandent du mouvement et de la variété. C'est peutêtre le seul ouvrage de grammaire dont on puisse dire qu'il instruit et qu'il amuse tout à la fois; et ce n'est pas un petit éloge, dans un genre d'écrire où souvent le lecteur se fatigue sans avoir rien appris.

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