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Boileau, pour quelques vers où il parle avec légèreté de la misère de Saint-Amant; mais, à l'époque où ces vers furent écrits et publiés, Saint-Amant n'était plus depuis plusieurs années. S'il eût vécu, Boileau, aussi noble cœur que grand poëte, était homme à lui tendre et sa bourse et sa main. Nous ne voyons donc pas quel grand mal peut faire à un mort le souvenir de sa misère, et nous voyons quel bien peut faire aux vivants la peinture du sort réservé aux mauvais poëtes. Saint-Amant était la figure historique récente qui matérialisait la pensée de Boileau; Boileau l'a prise, il a bien fait. Oui la pitié (la tendre pitié elle-même!) semble se refuser à plaindre le mé chant artiste. Chacun, à son aspect, lui applique men. talement le terrible hémistiche: Soyez plutôt maçon !... Savez-vous, en effet, quelle prédestination ou quel excès d'orgueil il faut pour oser se croire artiste? Or l'orgueil, de tous les défauts le plus commun, en est le moins pardonné. Pourquoi ? c'est bien simple: l'orgueil choque tout le monde ; la bonne opinion qu'on a de son mérite nuit toujours à celle qu'on devrait avoir du mérite d'autrui. Et puis, si vous avez une si haute opinion de vousmême, c'est donc à dire que je vous suis inférieur, à votre sens? Et qui est-ce qui veut être inférieur ?

Pour en finir, dans la noble mais effrayante carrière des arts, on ne se fait absoudre que par le succès. Seulement le succès est quelquefois posthume, et c'est alors qu'on s'apitoie avec justice sur les Malfilâtre, les Gilbert, les Moreau..... Pauvre Hégé

sippe! ami infortuné! Ah! moi du moins, je ne laisserai point passer ton souvenir sans lui donner une larme! Toi, plus grand que Malfilâtre, plus grand que Gilbert, plus malheureux aussi, car tu mourus plus jeune ! O vrai poëte! que ne fusses-tu pas devenu si quà fata aspera!.....

II.

CASSAGNE.

1662.

JACQUES CASSAGNE, né à Nîmes en 1636, mort en 1679. «< Elevé à Nîmes, dans le sein d'une famille opulente, Cassagne vint jeune à Paris, où il prit d'abord les deux routes qui peuvent le plus promptement mener à se faire un nom; je veux dire la prédication et la poésie. Car un savant n'est connu qu'à la longue; il ne l'est même que de ses pareils, et souvent il travaillé moins pour lui que pour la postérité. Mais le nom d'un poëte, d'un prédicateur, vole bientôt de bouche en bouche, et, quand sa réputation ne devrait être que passagère, du moins elle n'est pas tardive, il en jouit.

» Une ode que M. l'abbé Cassagne fit à la louange de l'Académie française lui en ouvrit les portes à l'âge de vingt-six ans. Un de ses poëmes, où il introduisit Henri IV donnant des instructions à Louis XIV, plut infiniment à M. Colbert, et ce grand ministre, qui ne savait pas estimer sans récompenser, lui procura une pension de la cour, le fit garde de la bibliothèque du roi et le nomma ensuite un des quatre

premiers académiciens dont l'Académie des inscriptions fut d'abord composée.

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Quant à son talent pour la chaire, je n'en sais rien de particulier, si ce n'est qu'après avoir été applaudi dans Paris, il fut nommé pour prêcher à la cour, mais n'y prêcha point : et cela parce que, un peu avant qu'il dût y paraître, la satire où son nom est lié avec celui de l'abbé Cotin étant devenue publique, il craignit avec raison de trouver les courtisans disposés à le condamner sans l'entendre. Cependant, à juger de lui par son oraison funèbre de M. de Péréfixe, il n'était pas sans mérite pour le temps où il prêchait. Et, après tout, si nous voulons dire vrai, qu'était-ce parmi nous que l'éloquence de la chaire, avant que les Fléchier nous eussent appris les grâces de la diction, que les Bossuet nous eussent donné une idée du pathétique et du sublime, que les Bourdaloue nous eussent fait préférer à tout le reste la raison mise dans son jour? Jusqu'alors, ce qu'on appelait prêcher c'était mettre ensemble beaucoup de pensées mal assorties, souvent frivoles, et les énoncer avec de grands mots.

>> Quoi qu'il en soit, le trait satirique, dont le cœur de M. l'abbé Cassagne fut blessé, eut des suites déplorables. Pour un homme ardent, ambitieux et dans l'âge où l'amour de la gloire a le plus d'empire, quelle douleur de se voir comme arrêté, au milieu de sa course, par une raillerie devenue proverbe en naissant! Il fit les derniers efforts pour regagner l'estime du public; il produisit coup sur coup divers

ouvrages, qui certainement devaient lui faire honneur; il en méditait encore un autre de longue haleine, lorsque enfin il succomba sous le poids de l'étude et du chagrin. Ses parents, avertis que sa tête se dérangeait, accoururent du fond de leur province, et, l'ayant trouvé hors d'état de pouvoir être transporté en Languedoc, furent contraints de le mettre à Saint-Lazare, où il mourut, ágé seulement de quarante-trois ans. Triste effet de la satire! » (D'Olivet.)

Ceci est plus grave que l'accusation à propos de Saint-Amant; mais peut-on exercer une judicature sans être obligé d'appliquer la loi? Cependant on peut dire, sans crainte de farder la vérité, que Boileau, l'inexorable poëte, mais l'homme excellent, se serait abstenu s'il avait pu prévoir les fâcheux résultats de sa juste rigueur. Boileau est du petit nombre des écrivains à qui leur loyauté reconnue fait pardonner même la malignité de la satire.

III.

LE COMTE DE CRÉCI.

1679.

LOUIS VERJUS, COMTE DE CRÉCI, conseiller d'Etat, plénipotentiaire au congrès de Ryswich, eut l'honneur d'être un des signataires de ce traité, qui rendait la paix à l'Europe déchirée depuis dix ans par une guerre générale, et dont les résultats amenèrent, en dernière analyse, la couronne d'Espagne sur la

tête d'un fils de France.

Le hasard chargea de l'éloge du comte de Créci l'académicien Callières, qui avait partagé avec lui la gloire de ce traité, et qui, mieux que personne, était à portée de connaître et d'apprécier son mérite. Voici en quels termes il le fit, dans sa réponse au successeur du comte : « Il possédait l'histoire ancienne et moderne, et particulièrement ce qui regarde le droit public, les traités entre les souverains et leurs différents intérêts. Ses dépêches avaient cette précision qui sait ne dire que ce qu'il faut sur chaque sujet, et n'y rien omettre de tout ce qui peut être utile. Ses jugements étaient sûrs dans les conséquences qu'il tirait de la situation des affaires et du caractère des esprits. Il était doux, compatissant, aimable dans la société, qualités qui lui furent trèsutiles pour s'insinuer dans l'amitié et dans la confiance des princes et des ministres avec qui il devait négocier... Les qualités d'homme d'Etat n'obscurcissaient point en lui celles de l'homme de lettres ; elles servaient au contraire à les mettre dans un plus beau jour ; il avait un goût exquis pour tous les ouvrages d'esprit, et il était lui-même fort capable d'en produire. »

IV.

LE PRÉSIDENT DE MESMES.

1710.

JEAN-ANTOINE DE MESMES, né en 1661, mort en 1723. Il marcha de bonne heure sur les traces de ses aieux et de son père, qui fut, comme lui, de l'Aca

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