Page images
PDF
EPUB

qualité d'académicien, et la supplique tacite de l'Académie elle-même, qui, pour intéresser la clémence royale, venait de nommer Lacretelle son chancelier.

Il employait ses dernières années à retoucher ses écrits et à en préparer une édition générale, qui devait se composer de quinze volumes in-8o, et même de seize, s'il y eut joint, comme il le projetait, ses Mémoires, sous le titre de Revue de ma vie. La mort le surprit qu'il n'en avait encore publié que les six premiers volumes. Déjà, de 1802 à 1807, il avait publié (sans parler d'un assez grand nombre d'autres écrits de controverse économique, de jurisprudence, ou de politique de circonstance) ses OEuvres diverses, ou Mélanges de Philosophie et de Littérature; et, en 1817, des Fragments Politiques et Littéraires. Un de ses ouvrages dont il nous faut parler, comme offrant un caractère à part dans la série de ses travaux, c'est le Fils naturel, ou Charles Artaud Malherbe, composition scénique des plus singulières, dont le héros est d'Alembert, fils naturel de Mme de Tencin. Quoique les lois de la scène n'y soient point observées, que le plan traité offre un développement que ne comportent pas les œuvres de théâtre, développement tel que l'auteur conve nait de la nécessité, si l'on jouait son roman dramatique, d'en partager la représentation en deux soirées, cette conception présente des situations neuves et fortes, des caractères tracés avec profondeur et vérité, une peinture fidèle des mœurs de l'époque, un langage souvent éloquent.

Sans avoir été doué d'un génie supérieur, Lacretelle a honoré notre littérature. Il chercha toujours le beau et le vrai, et rencontra souvent des vues neuves et sages. Novateur par le fond et par la forme, mais novateur avec mesure, il eut un style à lui, qui n'est pas partout exempt de néologisme. « L'homme d'un caractère vraiment original, a dit Auger, fait passer dans ses manières, et communique à ses habits même, quelque chose de sa singularité : de même chez Lacretelle, la diction, ce vêtement de la pensée, participait des défauts comme des qualités de son esprit; énergique, mais inégale; hardie, mais irrégulière; pleine de mouvement, mais non exempte d'écarts; originale enfin, mais quelquefois étrange et même un peu bizarre; et toutefois, combien de belles pages, de pages vraiment éloquentes, où la noble pureté du style le dispute à celle de la pensée, sont sorties de cette même plume qui voulait exercer son indépendance jusque dans l'emploi des mots et des formes du langage!

[ocr errors]

Lacretelle, le second élu depuis la résurrection de l'Académie en 1803, est le premier qui, depuis la suppression de l'ancienne Académie, ait eu à prononcer un discours de réception (Maret, nommé immédiatement avant lui, en ayant été dispensé, comme nous l'avons vu). De la formation de l'Institut à l'arrêté consulaire, tout nouveau membre de la classe de langue, de littérature et de beaux-arts, avait été reçu sans discours, comme il en a été de tout temps pour les autres académies.

III.

162

Moins bienveillant pour la mémoire de son prédécesseur que fidèle au parti encyclopédique, dont il était un des derniers représentants, Lacretelle critiqua sévèrement le zèle exagéré, intolérant, de La Harpe en ses derniers jours; et, pour parler le langage d'Auger, « les voûtes de l'Académie s'étounèrent d'entendre des paroles qui n'étaient pas toutes louangeuses; les zélateurs de la bienséance, ou, si l'on veut, de l'étiquette académique, murmurèrent d'une telle innovation. » — Par son caractère, ses mœurs, sa pauvreté volontaire, Lacretelle est audessus de tout éloge. « Plein de candeur, ainsi que l'a peint M. Droz, étranger à tous les soins de la fortune, incapable de déguiser aucune de ses pensées, dominé par deux sentiments, l'amour de son indépendance et le désir de rendre ses semblables meilleurs; cœur droit, esprit original, espèce de La Fontaine, qui souvent méditait avec Montesquieu et quelquefois rêvait avec Platon; né pour vivre dans la retraite en s'occupant de réformes paisibles, Lacretelle eut un des caractères les plus nobles et les plus intéressants dont l'histoire de notre littérature ait à garder le souvenir. Parfois on contestait la justesse de ses théories ou philosophiques ou litttéraires; mais toujours une voix unanime sortait du fond des cœurs pour répondre à celui qui disait : « C'est un >> homme de bien! »

[ocr errors]

VIII.

DROZ.

1825.

FRANÇOIS-XAVIER-JOSEPH DROz est né à Besançon, le 31 octobre 1773. Issu d'une famille parlementaire, et pourvu, dès l'enfance, d'une raison précoce et d'une grande maturité d'esprit, il était destiné à la magistrature; mais la Révolution l'éloigna de cette carrière et le jeta dans celle des armes, qu'il suivit trois ans avec distinction. Sorti des camps, il fut nommé professeur d'éloquence à l'école centrale de Besançon, que l'on supprima bientôt. Alors Droz, auquel on offrit vainement la place de censeur au lycée de sa ville natale, vint se fixer à Paris, où l'appelaient ses penchants littéraires. Il s'y fit promptement connaître par diverses publica tions successives: l'Essai sur l'art oratoire (1799); Des lois relatives aux progrès de l'industrie, ou observations sur les maîtrises, les règlements, les priviléges et les prohibitions (1801); Discours sur le droit public, prononcé à l'école centrale du département du Doubs (1802); Lina, ou les enfants du ministre Albert; écrits offrant des mérites de plus d'un genre, et envers lesquels l'auteur s'est montré peut-être un peu trop sévère; car il les a exclus, en 1826, du recueil de ses œuvres, et en a interdit la réimpression à ses héritiers et à ses éditeurs.

Le premier en date des ouvrages avoués par

Droz est donc l'Essai sur l'art d'être heureux; et, à partir de ce moment, tout se tient, tout s'enchaîne dans ses écrits; chaque production nouvelle annonce un esprit fortement entraîné vers les théories morales, et qui en a fait une étude approfondie: « Le choix qu'il fait, et où il persévère, prouve une vocation qui ne peut être que la vertu même. » Point de rêveries romanesques, point d'utopies impraticables dans ce livre. Ce n'est ni sur l'égoïsme, ni sur les richesses, ni sur les vaines faveurs du monde qu'est basé le bonheur que vous promet l'ingénieux philosophe; mais il sait vous persuader que vous en portez au dedans de vous-même l'élément durable et pur, et vous avez toute confiance en l'infaillibilité de son secret après la lecture de son écrit consolateur. L'Essai sur l'art d'étre heureux est un livre charmant que, malgré une douzaine d'éditions, trop peu de lecteurs connaissent encore ; simple, clair, élégant, il renferme une foule de petits secrets du cœur très-finement étudiés, saisis avec toute la sagacité d'un esprit délicat, souvent exprimés avec toute l'habileté d'un écrivain de bon aloi. Le chapitre sur l'indépendance et celui sur l'amitié, ces deux indispensables ingrédients du bonheur, y sont traités de main de maître le premier reproduit avec une douce vivacité les formes de Jean-Jacques, le second semble dériver de Montaigne.

Le nom du moraliste nous amène naturellement, et sans transposition chronologique dans la série des

« PreviousContinue »