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conclure de ses nombreuses palmes académiques que les pièces qui les cueillirent aient encore une grande valeur: celles en vers, composées à une époque où l'Académie laissait la plupart du temps au poëte le libre choix des matières à traiter, roulent presque toujours sur des sujets trop vagues ou trop étendus pour être avantageusement circonscrits dans les bornes imposées par les convenances académiques; dans celles en prose, l'auteurse répand en idées communes etcent fois rebattues, dont l'expression pure et froide serait à tort ou louée ou blamée; car la critique serait sans fruit, et l'éloge, pour ainsi dire, sans objet. Entre toutes ces dernières, on n'a guère conservé le souvenir que de l'Éloge de Fénelon et de celui de Racine, d'une éloquence et d'une chaleur tempérées, seul degré auquel il fût donné à Laharpe de monter.

Au reste, ce n'est pas non plus sur ses éloges académiques que se fonde la réputation littéraire de Laharpe. Il était né critique, il avait une vocation déterminée pour cette carrière, la seule qu'il ait parcourue d'un pas incontestablement ferme et assuré. Déjà l'examen des œuvres d'autrui avait tenu une grande place dans son existence, une trop grande place peutêtre, non pas pour sa renommée, mais pour son repos. Certes il n'est pas nécessaire d'avoir produit soimême des chefs-d'oeuvre pour émettre son avis sur les ouvrages des autres, mais aussi ne faut-il pas que la faiblesse réelle des ouvrages d'un critique contraste trop sensiblement avec son excessive sévérité. Soit qu'il fût persuadé que l'on ne doit pas plus compo

ser avec le faux goût qu'avec les mauvaises mœurs, ou plutôt parce que le ton dur et tranchant tenait essentiellement à son caractère, ou à l'inexpérience, il sembla croire, dès l'abord, qu'il suffisait d'avoir raison et que la rectitude du jugement sauvait l'âpreté de la discussion. Lui, l'homme du caractère le plus naurellement irrasciblé et de l'amour-propre le plus ombrageux, il ne parut pas comprendre que d'autres pouvaient être aussi sensibles, aussi rebelles que luià la critique, et ne sembla pas se douter qu'il mettait trop souvent de l'emportement et de l'humeur où il n'eût fallu que de la justice et de la raison. Qu'il était donc loin du sage conseil de Quintillien, de cet axiôme quele critique de profession doit incessamment avoir présent à la pensée, comme le seul moyen de concilier à ses jugements de l'autorité, de la considération à sa personne : Modeste tamen et circumspecto judicio pronuncian dum est! » Aussi tous ses succès furent-ils cruellement empoisonnés comme il avait été trop sévère pour les autres, on fut injuste pour lui, et il lui fallut souvent perdre à défendre ses ouvrages un temps qu'il aurait pu bien plus efficacement employerà les rendre meilleurs.

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Quoi qu'il en soit, les talents de Laharpe avaient fini par lui assigner, parmi les écrivains de son temps, un rang éminent; son style correct et précis, la pureté de son goût, l'esprit d'analyse et de dissertation, la verve de polémique déployés par lui pendant plus de vingt ans dans le Mercure et autres journaux, sa profonde connaisance des classiques, donnaient une très grande autorité à sesjugements et faisaient de lui l'homme le plus

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capable de développer en corps de doctrine les vérita bles principes de la littérature et les saines théories du goût. Anssi, à l'organisation du Lycée, en 1786, fut-il appelé à y professer le cours de littérature. Il s'y trouva dans son élément; il s'attacha à donner à ces leçons publiques toute la perfection dont elles étaient susceptibles; il ne les improvisait pas, il leur appliquait le même soin de composition qu'à ses autres ouvrages, cherchant toujours l'expression la plus exacte et trouvant souvent l'arrêt le plus substantiel. Ces cours, fréquentés par les littérateurs qu'ils éclairaient, par l'élite des gens du monde auxquels ils inspiraient le goût des études littéraires, se soutinrent au delà de quatre années, pour le professeur avec le même talent et le même succès, de la part de l'auditoire avec un empressement égal et quelque peu voisin de l'enthousiasme.

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Il fut surpris au milieu de ce travail par la révolution, dont il embrassa les principes avec une ardeur ultrà-philosophique. Alors, tantôt dominé par son esprit bilieux, tantôt cédant à l'empire de son bon sens naturel, il s'acharna avec frénésie contre ce qu'il nommait la superstition et le despotisme, ou prêcha l'équité et la répression des abus. Mais il eut beau fournir ses gages de patriote et républicain, il n'en fut pas moins incarcéré, en 1794, au Luxembourg, où il resta détenu quatre mois. Dans la solitude de sa prison, un homme nouveau s'éveilla en lui. « J'avais sur ma table l'Imitation, a-t-il raconté. L'on m'avait dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent

la réponse à mes pensées. Je l'ouvre au hasard, et je tombe en l'ouvrant sur ces paroles (c'est Jésus-Christ qui parle): « Me voici mon fils, je viens à vous parce que vous m'avez invoqué. Je n'en lus pas davantage; l'impression subite que j'éprouvai est au-dessus de toute expression. Je tombai la face contre terre, baigné de larmes, étoufffé de sanglots, jetant des cris et des paroles entrecoupées.

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La chute de Robespierre rendit Laharpe à la liberté. Peu de temps après, il obtint à l'école normale une chaire de littérature, dans laquelle il donna d'excellentes leçons sur l'art oratoire. Il avait aussi repris ses cours du Lycée; mais là, comme ailleurs, de même qu'autrefois il avait été intolérant philosophe, il se mon tra dévot peu tolérant, oubliant trop volontiers que la vraie, la seule religion du Christ c'est la charité. Trop emporté pour conserver dans les discussions politiques et religieuses le caractère de modération dont elles ne doivent jamais se départir, il se vit condamdeux fois à l'exil loin de Paris, où l'on ne lui permit de rentrer que vers la fin de 1802, quelques mois seulement avant sa mort. C'était au moment où l'on s'occupait de réorganiser l'Académie Française, dans laquelle l'arrêté consulaire le réintégra.

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Des diverses leçons de Laharpe est sorti le Lycée ou Cours de littérature, son véritable titre à la célébrité, monument précieux, quoiqu'il soit loin d'être irréprochable. La critique la plus fondée qu'on en ait faite, c'est d'attacher trop d'importance à des cho. ses dignes à peine d'être citées et de glisser trop rapi

dement sur des objets essentiels dont le plan même dë l'ouvrage commandait le développement. Quand on veut bien considérer comme non avenus les cinq derniers volumes, pour se rappeler seulement ce qu'il y a de bon dans le cours de littérature ancienne, tout le second livre notamment, et ce que renferment d'excellent les sept ou huit premiers volumes du cours de littérature française, on est porté à reconnaître et applaudir dans le Lycée l'œuvre d'un vrai, ďun grand critique, en qui l'on ne trouverait rien à désirer s'il avait un peu plus ce qu'on pourrait appeler la philosophie de l'art. Disons avec Duviquet : « Si jamais le buste de Laharpe était placé dans l'enceinte d'une sociéte littéraire, on n'écrirait point sur le socle ces mots : le poëte ou l'orateur; on y écrirait le Quintillien français; et cette désignation, déjà sanctionnée depuis longtemps par les suffrages de tous les gens de lettres, indiquerait à la reconnaissance et à l'admiration l'auteur de l'ouvrage qui, depuis le siècle de Louis XIV, a servi le plus efficacement la cause de la religion, de la saine politique et de cette bonne, de cetteexcellente littérature,qui est inséparable de l'une et de l'autre. »

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VII.
LACRETELLE.

1803.

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- PIERRE-LOUIS LACRETELLE, né à Metz en 1751, mort à Paris en 1824, était le frère aîné de l'acadé

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