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par la traduction du Paradis perdu, exécutée en quinze mois, sans que la précipitation du travail ait ôté grand chose à la valeur de l'œuvre; car, ainsi que l'a dit un grand juge, M. Villemain: « Nulle part. Delille n'a montré un plus riche et plus heureux naturel, plus d'énergie, de chaleur et d'éclat. Les négligences, les incorrections même abondent, il est vrai, dans cet ouvrage, écrit avec autant de promptitude que de verve, Le caractère antique et simple de l'Homère anglais disparaît quelquefois sous le luxe du traducteur. Ce n'est pas Milton, mais c'est toujours un poète. >

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Las enfin de bouder sa patrie, et d'un exil volon⚫ taire qui durait depuis tantôt huit années, Delille rentra en France en 1802, et il livra successivement au public cette suite nombreuse de poëmes qui achevèrent de sceller sa grande réputation et firent de lui le poète vénéré de l'ère impériale: des Poésies fu gitives (1802), —l'Homme des champs avait paru en 1800, la Pitié (1803), l'Eneide de Virgile (1804), le Paradis perdu (1805), l'Imagination (1806), les Trois Règnes de la Nature (1809), la Conversation (1812). Toutes ces œuvres de Delille composent une des plus vastes collections de vers dont un seul homme ait enrichi notre langue. Trop exalté par les uns, trop déprécié par les autres; placé trop haut dans son temps, un peu trop déchu dans le nôtre, son nom doit rester parmi les noms brillants de notre histoire littéraire. Si son imagination, froide et timide, recula devant la conceptiou d'uu grand tableau,

Delille n'en fut pas moins un paysagiste d'un ordre très élevé, un peintre très habile à disposer ses couleurs. Poète descriptif et didactique plein de facilité et d'adresse, il posséda toutes les ressources de la langue poétique, sut relever par le charme de l'expression les détails les plus infimes, fondre en vers élégants les pensées les plus prosaïques. Versificateur des plus habiles, il connut l'art de commander au langage, de varier le rythme à l'infini, de maîtriser notre alexandrin et de lui imprimer tous les mouvements, tous les caractères. « Delille est partie intégrante de l'esprit français, a dit un habile professeur, M. Géruzez: le genre qu'il a cultivé, et qui devait naître en son temps, a reçu de lui l'éclat des images la vivacité du coloris, un certain degré de sensibilité, naïve quelquefois, plus souvent spirituelle, et une parure élégante où la coquetterie va rarement jusqu'à la manière. Il y a d'ailleurs dans les vers de Delille un signe de durée, c'est qu'on les retient vite et qu'ils ne sortent pas facilement de la mémoire. »

Delille mourut frappé d'apoplexie, dans la nuit du 1er au 2 mai 1813. Son corps resta plusieurs jours exposé sur un lit de parade dans une des salles du collège de France, la tête couronnée de laurier le visage découvert et quelque peu fardé. Ses obsèques eurent un certain caractère de solennité nationale. Il avait eu dans sa vieillesse une triste ressemblance avec de grands poètes: il fat aveugle comme Homère et Milton.

Delille, nous l'avons dit ailleurs, avait été élu

membre de l'Académle française dès 1772; mais son élection ne fut pas validée par Louis XV, auquel on l'avait dépeint comme encyclopédiste, et qui d'ailleurs le trouvait trop jeune Trop jeune! s'écria à ce propos un prélat ami du poète; il a près de deux mille ans, il est de l'âge de Virgile. A Forganisation de l'Institut, on l'appela des premiers à faire partie de la section de poésie dans la classe de littérature; mais Delille, alors loin de la France, n'accepta pas sa nomination, et ne donna pas même signe de vie à ceux qui l'avaient désiré pour confrère. Avant de le remplacer, l'Institut l'attendit trois ans, contrairement à son réglement qui veut que ses membres résident à Paris, mais par égard pour la juste célébrité du poète. Quant à lui, il ne reparut à l'Académie que sous le consulat.

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FRANÇOIS-NICOLAS-VINCENT CAMPENON, né à la Gua

deloupe en 1772, vint en France à l'âge de quatre à cinq ans, avec sa famille, qui bientôt alla se fixer à Sens. Il fit, au collège de cette ville, d'excellentes études, couronnées de brillants succès, Dans un concours en rhétorique, il lui arriva, sa composition finie, de faire celle d'un camarade paresseux : le camarade obtint le premier prix; il n'eut, lui, que le second.

Après avoir semé çà et là, dans divers recueils et divers journaux, quelques gracieuses petites poésies, favorablement accueillies, il publia le Forage de Grenoble à Chambéry (1796), mélange de vers et de prose, à l'instar de Chapelle et Bachaumont si sou29 2311.10.094 vent imités, opuscule descriptif d'un coloris assez faible et quelque peu infidèle. Vint ensuite la Maison des Champs (1809), poëme composé avant, mais pu blié après celui de l'Homme des champs de Delille : aucun de ces deux poëmes n'a fait oublier l'autre, cela soit dit à leur commune louange. L'Enfant prodigue (1811) eut un de ces succès qui font époque; tous les arts s'en emparèrent; chaque theatre exnipa théâtre son Enfant prodigue, plus ou moins imité du poëme de Campenon; et, suprême indice de popularité les plus riches magasins, jaloux de participer à cette vogue qui s'attachait au poëme, se placèrent sous l'invocatiou de l'Enfant prodigue.

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A cette époque Campenon, après avoir passé par de modestes fonctions au ministère de l'intérieur, après avoir été ensuite chef du bureau des théâtres, 7102 915.910 90 PR' était chef de division à l'Université. Il se démit de ces fonctions, par suite de l'affaiblissement déjà notable de sa santé, et ne s'occupa plus que de travaux académiques iques et littéraires. Il fit partie de la c sion du Dictionnaire à l'Académie, traduisit la continuation de l'Histoire de Hume par Smolett, l'Histoire d'Ecosse par Robertson, les Odes et Satire d'Horace, et composa sur Ducis, son plus ancien ami, des Mémoires pleins d'intérêt, como al e dien

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Campenon, que le douloureux état de sa santé tenait éloigné du monde et même du travail depuis une vingtaine d'années, mourut à Villecresne, le 29 novembre 1843, généralement regretté; car (pour emprunter les expressions de Lémontey), au talent peu commun d'un poète toujours naturel avec élégance, toujours ingénieux avec noblesse, il joignait l'urbanité d'un homme aimable, les affections d'un ami vrai. Ses œuvres poétiques, publiées (1844) par les soins de M. Mennechet, qui devait le suivre de si près dans la tombe, contiennent, outre les poëmes déjà cités, quelques élégies inédites et des fragments 'd'un grand poëme sur le Tasse. Ses élégies, pleines 'de sentiment et de poésie, prouvent que le talent de Campenon avait acquis une force nouvelle sans rien perdre de sa grace; les fragments, où brillent en foule les nobles pensées, les vers charmants, les gracieuses images, laissent vivement regretter que l'auteur ait été arral CÁ par la maladie dans l'accomplissement de sa plus belle œuvre poétique, de celle où il promettait de prendre son vol le plus élevé, le plus hardi.

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M. Saint-Marc GIRARDIN, membre de la cham"bre des députés, conseiller d'état en service extraordinaire, est né à Paris le 3 février 1801. Se destinait à la carrière de l'enseignement, il concourut

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