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convenablement, comme on le voit par son discours de réception, ses mandements. Ses dépêches passaient pour des modèles.

VII.

LA CONDAMINE.

1761.

CHARLES-MARIE DE LA CONDAMINE, né à Paris en 1701, mort en 1774. Sa passion dominante, le trait saillant de son caractère, fut une insatiable curiosité, curiosité qu'il porta partout et sur tout dans les sciences et dans le monde, et pour laquelle il risqua mille fois sa vie. Cette ardente avidité de connaître se signala dès le siége de Roses, auquel, sortant du collége, il prit part comme volontaire : afin de mieux étudier l'effet d'une batterie de canon dont il était le but, il s'en avança le plus près possible, et les boulets pleuvaient autour de lui sans qu'il y prît garde.

«

Ainsi, disait son successeur, l'observateur se montrait déjà dans le guerrier; et peut-être, au lieu de dire qu'il porta dans les sciences le courage militaire, serait-il plus vrai de croire qu'il portait déjà dans l'art militaire la curiosité courageuse du philosophe.

La paix venue, il dit adieu à la carrière des armes, dont la monotonie allait mal à son infatigable activité. Il s'adonna aux travaux scientifiques. Entré d'abord comme adjoint-chimiste à l'Académie des sciences, y fut ensuite admis comme membre avant d'avoir atteint l'âge de trente ans; mais son esprit impatient

il

voleta de branche en branche sur l'arbre du savoir; aussi n'arriva-t-il qu'à des connaissances plus étendues que profondes, et ne marqua-t-il dans aucuné spécialité. Son plus beau titre de gloire est son voyage à l'équateur, entrépris sur la proposition qu'il en fit le premier à l'Académie des sciences en 1735, dans le but de déterminer, par la mesure de trois degrés du méridien, la grandeur et la figure de la terre. Ce voyage, qui dura dix ans, fut incidenté de vicissitudes de tout genre, de fatigues sans nombre et d'incalculables périls, adoucis seulement par lá confiance d'être utile et l'espoir d'être estimé; on n'en saurait lire le détail sans un vif intérêt dans la Relation que La Condamine en publia en 1745, et qui fut traduite en Angleterre et en Hollande. Quant aux résultats scientifiques, il les a consignés dans sa Figure de la terre (1749), et dans sa Mesure des trois premier's Degrés du Méridien dans l'hémisphère austral (1751). Si Bouguer, l'un des trois collègues que l'Académie lui avait associés pour cette entreprise, l'emportait sur La Condamine en notions astronomiques, il n'en est pas moins vrai de dire que, par son courage, son activité, sa persévérance et son dévouement, celui-ci resta toujours le chef de l'expédition, et que sans lui l'opération n'eût pu sans doute être menée à fin.

Après ce grand voyage, on comprend que pour lui toute autre pérégrination n'était qu'un jeu. Déjà dans sa jeunesse, il avait visité l'Orient et curieusement observé les productions de la nature, les monu

ments de l'antiquité, les usages des peuples, la forme des gouvernements, dans les contrées qu'il avait par courues. En 1757, il voulut en faire autant pour l'Italie, et, plus tard, autant encore pour l'Angleterre. «A Rome, il fit des recherches très heureuses sur les mesures anciennes, qui ont si longtemps exercés nos savants, et l'académicien des sciences travaillait pour l'Académie des belles-lettres. Cette variété de goûts et de connaissances était peut-être ce qui distinguait le plus La Condamine de la foule des voyageurs. La plupart n'aiment et ne voient que leur objet favori: le botaniste ne cherche que des plantes; le géographe, que des positions de villes; l'antiquaire, que des inscriptions. La Condamine aimait et voyait tout. Dans ce voyage d'Italie, sa curiosité pensa lui attirer plus d'un mauvais parti. Un jour, entr'autres, on lui montrait, dans un village situé au bord de la mer, un cierge dont la flamme sacrée était toujours entretenue, parce que, lui disait le prêtre son cicérone, s'il s'éteignait, le village serait aussitôt englouti dans les flots. « Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites-là?» demande notre curieux.-« Je n'en doute pas un seul instant. Eh bien! nous allons voir; » et le voilà qui souffle le cierge et l'éteint. Sans une issue secrète qu'on lui ménagea, et par laquelle il put abandonner au plus vite le village, il périssait sous la dent populaire.

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Une blessure de savant, rapportée de sa campagne scientifique au Pérou, la surdité, avait, dans sa vieillesse, réduit cette curiosité au seul sens de la vue, ce

qui le contrariait beaucoup; mais l'on sait combien l'affaiblissement d'un organe en fortifie un autre. C'est pour cela sans doute que les yeux de La Condamine avaient redoublé d'activité. Il en usait tant et si bien qu'un jour, passant dans l'appartement de Mme de Choiseul pendant qu'elle écrivait une lettre, il se campa derrière elle, lisant ce qu'elle écrivait. La duchesse, s'en apercevant, ajouta dans sa lettre : Je vous en dirais bien davantage si M. de La Condamine n'était pas derrière moi, lisant ce que je vous écris. » La mort même résulta pour lui d'un acte de sa curiosité. Après son retour d'Angleterre, atteint d'une paralysie presque totale et de diverses infirmités graves, il ne se rendait plus à l'Académie des Sciences, mais il se faisait apporter les registres des séances et rendre compte des Mémoires les plus intéressants. Par là il apprit qu'un jeune chirurgien proposait une méthode neuve et hardie d'opérer l'une des maladies dont il était attaqué. Il le mande et se propose pour supporter l'expérience. « Mais si j'ai le malheur de ne pas réussir. Eh bien! cela ne peut avoir aucun inconvénient pour vous. Je suis vieux et malade, on dira que la nature vous a mal secondé. Si, au contraire, vous me guérissez, je rendrai moi-même à l'Académie un compte exact de votre procédé, et cela vous fera le plus grand honneur. Le jeune homme opère, et le curieux malade, non content de souffrir, veut encore se rendre raison du moindre détail. « Allez donc doucement, monsieur, je vous prie; permettez que je voie... Mais,

monsieur, si je ne vois pas votre manière d'opérer, je n'en pourrai jamais rendre compte à l'Académie.» Et l'opération hâta sa mort.

La Condamine avait été l'un des premiers et des plus chauds partisans de l'inoculation de la vaccine, et il a puissamment contribué à propager ce bien fait parmi nous; il publia plusieurs mémoires à ce sujet. « A la force de l'éloquence il joignait l'activité des démarches; et enfin, pour pousser à bout ses adversaires, il offrit de se faire inoculer lui-même. Peu de philosophes, ajoute Delille, hasarderaient de pareilles preuves de leurs opinions.» Homme du monde, il était aimable et spirituel; littérateur, il écrivit purement, souvent avec une élégante facilité, et, cadet dans la famille des Fontenelle et des d'Alembert, il fut de ceux qui embellirent les sciences par les charmes du style; il cultiva même la poésie et composa, pour son amusement, quelques pièces de vers qui ne sont point sans naturel et sans grâce.

Il était aussi des Académies de Berlin, de Pétersbourg et de Cortone, de la société royale de Londres. A l'Académie française, il eut le rare bonheur d'être loué par Buffon qui le reçut, et célébré par Delille qui lui succéda, et dont le discours est un panégyrique complet, le meilleur morceau de prose sorti de la plume de ce poëte. Voici en quels termes magnifiques Buffon lui parla (tout mot porte ! ) : « Du génie pour les sciences, du goût pour la littérature, du talent pour écrire, de l'ardeur pour entreprendre, du courage pour exécuter, de la constance pour ache

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