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GUILLAUME COLLETET, né à Paris en 1598, mort en 1659. Il ne faut pas le confondre, comme l'ont fait quelques critiques, avec François Colletet son fils, qui lui était fort inférieur et que Boileau a si malmené. Il commença par se faire recevoir avocat au Parlement, mais il ne plaida pas et succomba bientôt au démon de la poésie. Encouragé par le cardinal de Richelieu à écrire pour le théâtre, il fit Cyminde ou les Deux Victimes, tragi-comédie, et collabora à l'Aveugle de Smyrne et aux Tuileries. Il était des cinq auteurs qui composaient pour son éminence. « M. Colletet m'a assuré, dit Pellisson, que, lui ayant porté le monologue des Tuileries, le

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cardinal s'arrêta particulièrement sur deux vers de la description du carré d'eau en cet endroit :

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La canne s'humecter de la bourbe de l'eau,
D'une voix enrouée et d'un battement d'aile,
Animer le canard qui languit auprès d'elle,

Et qu'après avoir écouté tout le reste, il lui donna de sa propre main soixante pistoles avec ces paroles obligeantes: que c'était seulement pour ces deux vers qu'il avait trouvés si beaux, et que le roi n'était pas assez riche pour payer tout le reste. M. Colletet ajoute encore une chose assez plaisante: dans ce passage que je viens de rapporter, au lieu de la canne s'humecter de la bourbe de l'eau, le cardinal voulut lui persuader de mettre barbotter dans la bourbe de l'eau. Il s'en défendit comme trouvant ce mot trop bas; et, non content de ce qu'il lui en dit sur l'heure, étant de retour à son logis il lui écrivit une lettre sur ce sujet, pour lui en parler peut-être avec plus de liberté. Le cardinal achevait de la lire, lorsqu'il survint quelques-uns de ses courtisans, qui lui firent compliment sur je ne sais quel heureux succès des armes du roi, et lui dirent « que rien ne pouvait » résister à son éminence.-Vous vous trompez, lear » répondit-il en riant, et je trouve dans Paris même » des personnes qui me résistent. » Et comme on lui eût demandé quelles étaient donc ces personnes si audacieuses : « Colletet, dit-il; car, après avoir com>> battu hier avec moi sur un mot, il ne se rend pas en» core, et voilà une grande lettre qu'il vient de m'é

» crire. » Au reste, Colletet se trouva bien de la libéralité du cardinal, car il disait dans une épigramme:

Armand, qui pour six vers m'as donné six cents livres,
Que ne puis-je à ce prix te vendre tous mes livres !

Ce poëte jouit longtemps d'une sorte d'opulence. Estimé, aimé de quelques grands seigneurs, il fut pourvu d'emplois honorables et bien rentés. Il nous apprend lui-même que la vie lui était assez souriante, et qu'il possédait, aux environs de Paris, des terres assez rondes. Mais les guerres civiles entamèrent ses propriétés, et le désordre privé acheva ce qu'avaient commencé les désordres publics. A sa mort, sa pénurie était si grande que son enterrement fut dû aux cotisations de ses amis.

De trois de ses servantes qu'il avait successivement épousées, il affectionna singulièrement la dernière, qui se nommait Claudine. Il aurait voulu la faire passer pour un miracle de beanté, et, bien plus, s'il ne la fit pas accepter pour une dixième muse, ce ne fut pas faute de bonne volonté : il n'épargnait rien pour lui assurer une réputation de bel esprit, composait pour elle des vers qu'elle disait écrits par ellemême, et qu'elle récitait très agréablement du reste; puis, par excès de précaution, pour que le talent de l'épouse parût survivre à la mort de l'époux, il lui fit, durant sa dernière maladie, un petit poëme dans lequel elle disait un éternel adieu aux Muses. Par malheur, toute cette prudence ne trompa point l'œil malin du public.

Les écrits de Colletet, prose et vers, sont nombreux; car il fut aussi laborieux que fécond. Tragé dies, odes, stances, sonnets, épigrammes, tout fut de son ressort; il n'était dépourvu ni de facilité, ni de naturel. Dans la prose, il était supérieur à la plupart de ses contemporains par le bon sens et l'abondance d'idées. Ses traités sur la poésie morale et sentencieuse, sur le sonnet, sur le poëme bucolique et l'églogue, réunis sous le titre de l'Art poétique du sieur Colletet (1658), renferment plus d'un aperçu lumineux, plus d'un principe utile et profond. Il avait laissé divers manuscrits, un surtout dont la non-impression est regrettable, et qui traitait des vies des poëtes français, au nombre d'environ quatre

cents.

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II

GILLES BOILEAU.

1659.

GILLES BOILEAU, frère aîné de Despréaux, né à Paris en 1631, fut d'abord avocat au Parlement, puis payeur des rentes de l'Hôtel-de-Ville, et enfin contrô leur de l'argenterie du roi. Il mourut à l'âge de trentehuit ans. Il a laissé des poésies diverses, et deux traductions assez importantes : la première, d'Epictète, qui fut très approuvée : « Elle est bonne, dit Bayle, et précédée d'une vie d'Epictète, la plus ample et la plus exacte que j'aie vue jusqu'ici. L'érudition et la critique y ont été répandues habilement. » la seconde,

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de Diogène Laërce, ne réussit point, moins par la faute du traducteur que par celle de l'auteur origi nal, dont l'ouvrage, la Vie des philosophes, n'est qu'une informe et obscure compilation.

Parmi les poésies de Gilles, on remarque une tra duction du quatrième livre de l'Eneide, où plusieurs passages dignes d'éloges semblent annoncer que le poëte aurait pu aller loin dans son art, s'il eût vécu plus de temps et si l'âge lui eût appris à polir mieux ses vers et à ne point se contenter trop souvent de son premier jet. Bien différent de son cadet, il prenait peu souci de retoucher ses ouvrages et de les porter au point de perfection auquel il pouvait atteindre. Il raillait la sage lenteur de Despréaux, la taxant de stérilité. Les deux frères vécurent rarement en bonne intelligence; Gilles se montra jaloux du succès des premiéres satires; et, pour se concilier les bonnes grâces de Chapelain chargé par Colbert de dresser la liste des écrivains à pensionner, il ne rougit pas de le flatter aux dépends même de Nicolas; celui-ci s'en vengea par quelques traits ajoutés à ses satires, traits supprimés depuis. Cependant, quelque temps avant la mort de Gilles, l'amitié fraternelle avait repris le dessus dans leurs cœurs.

Aux jours de leur mésintelligence, Nicolas a dit de l'autre dans une épigramme:

En lui je reconnais un excellent auteur,
Un poëte agréable, un très bon orateur,
Mais je n'y trouve point un frère.

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