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dépôt vivant des archives françaises. » A ses connaissances profondes des antiquités de la nation, il alliait l'étude assidue des langues savantes, surtout du grec. Parmi les écrivains de l'antiquité, qu'il s'était rendus familiers des sa première jeunesse, c'étaient principalement Homère et Xénophon qu'il chérissait; cette prédilection se répandait jusque sur tout homme qui, comme lui, possédait bien leur langue. Quelqu'un lui demandant quel serait son médecin, depuis que Vernage avait cessé d'exercer sa profession, il répondit : « Je prendrai Lorry. D'abord il sait le grec... » Il n'était pas moins versé dans la science de notre langue; personne n'en avait mieux approfondi l'histoire, les principes, les variations, et souvent, dans les discussions qui s'élevaient sur cet objet au sein de l'Académie française, ce fut lui qu'on prit pour arbitre.

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L'aménité de son caractère, le charme et la facilité de sa parole, communiquaient à ses entretiens autant d'agrément que son érudition leur assurait d'utilité. Les personnes des deux sexes les plus distinguées par la naissance, le mérite, les talents, se pressaient chez lui pour l'entendre. Une réunion, connue sous le nom de conversation, se formait dans son salon certaius jours de la semaine; elle se composait régulièrement du prince de Beauvau, du duc de La Rochefoucauld, de Malesherbes, Bréquigny, Sainte-Palaye et bien d'autres. Un sentiment de bienveillance générale, due à l'extrême douceur de son âme, à la noblesse de son caractère et à la solidité de ses talents,

l'accompagna jusqu'à sa dernière heure, survenue, après six mois de souffrance, le 26 septembre 1779. Une phrase faite, pour exprimer les regrets de sa mort, était celle-ci : « Voltaire a emporté en mourant tout le génie de noire littérature, et Foncemagne toute l'honnêteté. » Mme Desmarais, nièce de ce dernier, répétait un jour cette phrase, et, dans sa préoccupation bien excusable, elle ne songeait point que Delille était là. « Cela est vrai, se contenta de repartir l'aimable poëte, mais cela est un peu dur pour les académiciens qui leur survivent. »

VII.

CHABANON.

1780.

MICHEL-PAUL GUY DE CHABANON, né à Saint-Domingue en 1730, mort à Paris en 1792. « Un goût sain, un esprit éclairé par de bons principes et par les grands modèles de l'antiquité, un style élégant et correct, des mœurs douces, une conduite noble et sage, »tels furent, disait le maréchal duc de Duras, les titres qui lui valurent l'estime du public et les suffrages de la Compagnie. Il appartenait déjà à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont il avait mérité le choix par ses traductions en prose, mêlées d'imitation en vers, des odes de Pindare et des idylles de Théocrite, et par des essais sur la poésie lyrique, sur la poésie bucolique. Il était bon musicien, et possédait un vrai talent de violoniste. Ses observations

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sur la Musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théatre, sont ce qu'il a écrit de plus solide. On ne lit pas sans plaisir son Tableau de quelques circonstances de ma vie, grâce aux relations de l'auteur avec Voltaire. Quant à ses poésies, et à ses tragédies d'Eponine, d'Eudoxie, de Virginie, elles sont en général bien faibles. Eponine eut cependant une grande célébrité dans les sociétés où l'auteur en donnait lecture, et il y avait dans le monde, sur le compte de cette pièce, une phrase élogieuse toute faite et partout acceptée. « Ce n'était, disait-on, ni du Corneille, ni du Racine, ni du Voltaire, c'était du Chabanon. » Il aurait mieux valu sans doute que ce fut autre chose encore, car, à la première représentation, l'ouvrage fut à peine achevé. —« Chabanon, a dit Fontanes, eut plus d'esprit que de talent, une érudition égale à son esprit, et un caractère encore préférable à ses titres littéraires. »

VIII

NAIGEON.

1795.

JACQUES-ANDRÉ NAIGEON, né à Paris en 1738. mort en 1810, avait fait partie de la société du baron d'Holbach, et s'était étroitement lié avec les principaux adeptes dont elle se composait, surtout avec Diderot, pour qui, en l'absence de toute autre religion, il professait une sorte de culte, et sur la vie

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et les ouvrages duquel il a laissé des Mémoires historiques et philosophiques. Son travail principal est la part qu'il prit à la rédaction de l'Encyclopédie méthodique, pour laquelle il composa l'Histoire de la philosophie ancienne et moderne. Là il donna carrière à la violence de ses opinions, à son zèle infatigable pour la destruction des vieilles croyances philosophiques et religieuses. Il s'attira souvent le ridicule par sa pédanterie, son ton dogmatique, sa raideur de caractère. Cependant, quoique fanatique d'anti-religion, et par conséquent intolérant en cette partie, il eut des qualités de cœur assez nombreuses, qui lui acquirent et lui conservèrent des amis. Il ne manquait point de connaissances, ni même d'une sorte d'inspiration, mais incorrecte et désordonnée; et, parmi d'obscures et fastidieuses déclamations, ses écrits renferment des idées profondes, des vues neuves et étendues. Il était entré, lors de la formation de l'Institut, dans la classe des sciences morales et politiques, section de morale, et ne dut qu'à l'arrêté consulaire son incorporation à l'Académie française.

IX

LEMERCIER.

1810.

NEPOMUCENE-LOUIS LEMERCIER, né à Paris, le 21 avril 1771, mort le 6 juin 1840, filleul de la belle et infortunée princesse de Lamballe, eut pour mère une sœur du P. de Charlevoix, fameux par ses travaux

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historiques sur plusieurs contrées américaines, et il aurait pu prendre le titre de marquis de Charlevoix; car, par un privilége rare et exceptionnel, la noblesse était héréditaire par les femmes dans la famille du jésuite son oncle. Sa première pensée s'était portée vers la peinture, mais un asthme nerveux, qui lui paralysait presque le bras droit, l'en avait détourné; et bientôt, pris à la poésie, il se sentit attiré vers le théâtre. A seize ans, au sortir du collége, il donna au Théâtre Français une tragédie en cinq actes, Méléagre, sujet autrefois traité par Lagrange-Chancel, qui lui aussi avait, à seize ans, débuté par sa tragédie de Jugurtha, Essai d'un écolier, Méléagre fut écouté avec un intérêt et une bienveillance marqués. Le poëte imberbe assistait à la représentation dans la loge de la reine, qui donnait elle-même le signal des ap plaudissements; et, demandé à la fin de la pièce, il fut présenté au public par sa noble marraine. Ce succès ne l'aveugla pas, car il eut le bon esprit de retirer sa pièce après la première représentation. Quatre ans après, il fit représenter une comédie en cinq actes, en vers, Clarisse Harlowe (1792), qui réussit et eut les honneurs d'une parodie au Vaudeville.

Cependant la révolution, qui vint faire vibrer toutes les cordes républicaines de Lemercier, mais sans soulever dans son âme pure et généreuse de brutales extravagances, le détourna du cours régulier de ses travaux. Sous l'impression de ces scènes étranges, inouïes, dont chaque heure alors offrait le spectacle tous les jours on le voyait assister aux débats de la

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