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firme qu'il était, et déjà privé de la lumière..... Ce mot me fait sentir l'état où je suis réduit moi-même: ce que l'âge avait ravi à mon prédécesseur, je l'ai perdu dès ma jeunesse... Il faut l'avouer cependant, cette privation dont je me plains ne sera plus pour moi un prétexte d'ignorance. Vous m'avez rendu la vue, messieurs, vous m'avez ouvert tous les livres en m'associant à votre Compagnie... et puisque je puis vous entendre, je n'envie plus le bonheur de ceux qui peuvent lire. »

Tous les discours académiques de La Motte, ses fables et ses odes, quand il les récitait, soit à l'Académie, soit dans le monde, obtenaient les plus enthousiastes applaudissements, tant son débit était séduisant et presque magique. Personne ne savait glisser plus dextrement sur l'endroit faible, appuyer avec plus d'intelligence, tout en ayant l'air de n'y pas toucher, sur le trait heureux. Egalement éloigné de l'emphase et de la trivialité, il excellait à rendre sensibles les beautés de toutes sortes, par la finesse et la variété de ses inflexions et de ses repos, cette ponctuation du style parlé. Ce talent de lecture était secondé en lui par une mémoire d'une infaillible sûreté, par une mémoire prodigieuse : un jour, après avoir attentivement écouté une tragédie qu'un jeune homme était venu lui lire Votre pièce est pleine de beautés, lui dit-il, une chose seulement me fait peine, c'est que la plus belle scène ne soit pas de vous. Le jeune poëte se récriait : « Mais la preuve ! -La preuve, la voici. » Et La Motte, grâce à sa mé

moire, put lui réciter la scène tout entière. Puis, quand il se fut un instant amusé du désappointement de son interlocuteur, il le rassura par ces paroles aimables : « Votre scène est si belle que je n'ai pu m'empêcher de la retenir. »

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Sa renommée littéraire avait subi plus d'une contradiction; mais sa réputation de droiture, de probité, de bonté, de douceur, ne fut jamais effleurée. Cette dernière qualité était inaltérable en lui. Ayant, un jour, reçu un soufflet d'un jeune homme à qui il avait, par mégarde, marché sur le pied dans une foule Vous allez être bien fâché, monsieur, lui dit-il, je suis aveugle. Jamais la jalousie, cet aveu tacite d'infériorité, qui ronge tant de rivaux, n'approcha de son âme; il était heureux d'applaudir à tous les succès, d'encourager tous les talents. Il apportait dans la société une constante égalité d'humeur, une gaîté ingénieuse, fine, féconde, quoiqu'il vécût dans un état continuel de souffrance, car au malheur de la cécité il joignait celui d'être perclus des jambes. Sa conduite dans le monde fut toujours un modèle d'habileté, de tact, d'aménité, d'esprit, et en cela il n'a été surpassé par aucun écrivain,

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MICHEL-CELSE-ROGER DE RABUTIN; comte, DE Bussy, évêque de Luçon, mort le 3 novembre 1736, Ce prélat avait eu pour père le fameux comte de Bussy, qui, comme lui, avait été de l'Académie française nous l'avons vu au treizième fauteuil. « L'évêque de Luçon, dit d'Alembert, hérita de l'esprit de son père, sans hériter de ses ridicules. Il fut même dans la société tout l'opposé du comte de Bussy: il s'y montra plein d'amabilité, de douceur et d'agréments; aussi l'appelait-on le dieu de la bonne com. pagnie. Si cet éloge n'est pas le plus grand qu'on puisse donner à un évêque, c'est un éloge distingué pour un membre de l'Académie française. Lorsqu'elle eut perdu dans La Motte le plus aimable des gens de lettres, elle crut ne pouvoir mieux le remplacer que par le plus aimable des hommes de la cour. Il était d'ailleurs digne de cette place par une littérature choisie et variée, par une connaissance approfondie des finesses de notre langue, par l'étude assidue qu'il avait faite des bons ouvrages anciens et modernes, et par le goût délicat avec lequel il savait les apprécier. >>

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VI.

FONCEMAGNE.

1737.

ÉTIENNE LAURÉAULT DE FONCEMAGNE, né à Orléans en 1694. A peine sorti du collége, il entra à l'Oratoire et professa les humanités à Soissons. Sa santé s'étant altérée par suite d'un travail excessit, le repos lui devint indispensable; il alla le chercher dans la maison de son père, qui, n'ayant pas d'autre enfant, le fit consentir, à force d'instances, à rentrer dans le monde. La terre qu'il habitait avoisinait celle du duc d'Antin; ce seigneur conçut pour lui de l'affection, et l'appela à Paris, où il lui prodigua les marques d'intérêt et d'estime. Foncemagne ne tarda pas à s'acquérir quelque renommée. L'Académie des Inscriptions lui ouvrit ses portes dès 1722. Les Mémoires de cette Compagnie conservent de lui une douzaine au moins de dissertations, ayant trait principalement aux premiers temps de notre monarchie. Ily éclaircit avec sagacité l'origine de nos lois et de nos coutumes: ici, il démontre que la couronne fut de tout temps héréditaire en France; là, il retrouve les bornes antiques de notre territoire; ailleurs il détruit le préjugé populaire qui suppose que la loi salique exclut de la succession au, trône les filles de nos rois, ou bien il jette un jour nouveau sur la naissance des armoiries. Le secrétariat de l'Académie des Inscriptions lui fut offert par offert par deux fois, d'abord à la démission

de de Boze, ensuite à la mort de Fréret; il refusa, mais, pour aider Bougainville, successeur de ce dernier, il publia les tomes xvi et XVII des Mémoires de la Compagnie; et la partie historique de ces deux tomes est ce qu'il a écrit de plus volumineux.

L'ouvrage le plus cité de Foncemagne est sa réponse à Voltaire, relative au Testament politique du cardinal de Richelieu. Voltaire attaquait l'authenticité de ce testament, Foncemagne la démontra par une foule de raisons plausibles, et, depuis lors, son opinion est la plus accréditée. Cette discussion servit à faire briller à la fois et sa critique judicieuse et sa modération polémique. Quand le vieillard de Ferney vint à Paris, en 1778, il s'empressa de visiter l'homme qui l'avait combattu avec une décence si honorable pour les lettres, et ce ne fut pas sans émotion que l'on vit s'embrasser ces deux patriarches, nés la même année, près de descendre dans la tombe, l'un accablé de lauriers, l'autre entouré de la vénération publique.

Une érudition assaisonnée par le goût, un style facile et pur, précis sans sécheresse etsans recherche élégant, une méthode lumineuse, l'art des déduc tions justes et neuves, une discussion impartiale, une dialectique savante, la politesse aimable et franche de la réfutation, tels sont les caractères de tous les écrits de cet académicien. Dans toutes les discussions qui touchaient à nos vieilles coutumes, « M. de Foncémagne, disait son successeur, était l'oracle consulté ; sa décision levait tous les doutes; sa mémoire était le

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