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matière traitée; on y trouvera surtout cette solidité d'instruction qui doit faire la base de l'éloquence chrétienne. »

Nommé évêque de Bazas en 1724, « le nouveau pasteur consacra entièrement son talent pour la parole à l'instruction du troupeau confié à ses soins. Complétement livré au devoir de son état, il fut comme perdu pour l'Académie, mais il l'aima et s'en souvint toujours; et la compagnie, dont le premier désir est que ses membres soient utiles, fit céder avec joie ses intérêts littéraires à des intérêts plus grands et plus respectables. »

IV.

DE LA VILLE.

1746.

JEAN-IGNACE DE LA VILLE, abbé de Noailles et de Saint-Quentin-les-Beauvais, évêque in partibus de Tricomie, né vers 1690, mort le 15 avril 1774 « L'abbé de La Ville, a dit son successeur, fit ses premières études chez les jésuites. Ses heureuses dispositions n'échappèrent pas à l'œil de ses maîtres, qui n'oublièrent rien pour l'attirer à eux, et qui surent y parvenir. I entra donc dans cette société, dont le sort fut toujours d'essuyer ou de susciter des orages.» Mais il en sortit au bout de quelques années. « Peu de temps après, ayant accompagué M. de Fénelon, ambassadeur en Hollande, il fut employé avec le ca

ractère de ministre dans des négociations également importantes et délicates: obligé de traiter avec les ministres des nations ennemies, il sut forcer leur estime par son caractère et mériter de s'en faire craindre par ses talents. En traitant avec les Hollandais, qu'il fallait disposer à la paix, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'ils obéissaient à la vieille et profonde haine qui les animait contre la France, plus qu'ils n'écoutaient les conseils d'une politique sage et éclairée; et s'il ne parvint pas à empêcher les effets de leurs dispositions, il en changea du moins le principe en affaiblissant leur animosité.

Le mérite d'un homme toujours chargé des secrets de l'Etat est lui-même un secrét qui rarement se révèle. Condamné par son devoir à ensevelir dans les ténèbres les preuves de ses talents, l'honneur forçait l'abbé de La Ville à renoncer à la gloire; mais son mérite devint bientôt éclatant par les marques singulières d'estime et de considération que s'empressèrent de lui accorder les différents ministres dont il exécuta les ordres, et dont peut être il dirigea quelquefois les vues et les projets. » Après quarante années de services utiles, on créa pour lui la charge de directeur des affaires étrangères, qui lui donnait rang immédiatement après le ministre. « Comme il avait apporté dans sa place un mérite nouveau, on crut devoir lui décerner une récompense extraordi

naire.

<< Il avait fait une étude approfondie de notre langue; le style de ses dépêches était noble, simple et

correct, tel en un mot qu'il doit être lorsqu'on fait parler des hommes d'État, qui, toujours occupés de grands objets, ne doivent avoir que de grandes idées.

<< N'ayant jamais à traiter qu'avec des étrangers, il devait être discret; mais il était dispensé d'être faux; il lui suffisait d'observer un profond silence, et sa fidélité sur ce point ne se trahit jamais, je ne dirai point par la parole, mais par aucun signe, aucun mouvement extérieur; jamais personne dans les affaires ne fut plus accessible, jamais aussi personne ne fut plus impénétrable: on pourrait lui appliquer ce qu'un ancien disait d'un politique de son temps: «< Que sa porte était toujours ouverte et son visage toujours fermé. » Sa conversation était assaisonnée de mots et de réflexions qui supposaient une grande connaissance des affaires, et la connaissance, plus rare et plus nécessaire encore, des hommes par qui les grandes affaires sont conduites. >>

ས.

SUARD.

1774.

JEAN-BAPTISTE-ANTOINE SUARD naquit à Besançon, le 15 janvier 1734. Le goût des lettres et le goût des armes lui vinrent naturellement dans cette ville d'étude et de guerre, où le secrétaire de l'Université était son père, où la garnison entretenait la manie des duels. Il excellait surtout en l'escrime. Un jour, il

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n'avait alors que dix-sept ans, il assista, comme té. moin, un de ses amis, qui avait reçu un affront sanglant de la part d'un officier, neveu du ministre de la guerre, et qui eut lemalheur de tuer son adversaire. Suard, soupçonné du coup, et ne voulant pas en dénoncer l'auteur, fut arrêté. On lui mit les fers aux pieds: « Y en a-t-il encore pour les mains?» dit-il en tendant les bras, Le résultat de cette généreuse bravade fut qu'on le jeta dans un cachot infect, pêlemêle avec des scélérats voués à l'échafaud. De là il fut transféré dans les prisons du Parlement, et ensuite conduit au fort des îles Sainte-Marguerite, toujours persistant à taire le nom du coupable. Sa captivité se prolongea pendant dix-huit mois.

Enfin, rendu à sa famille et à ses amis, il oublia bien vite les mauvais jours passés, avec cette modé ration d'esprit qui ne devait l'abandonner jamais, et vint à Paris pour s'y livrer aux lettres. Pauvre, il sentit le besoin de commencer par trouver un einploi. Grand, bien fait de sa personne, distingué de manières et de langage, sans la moindre nuance de gaucherie provinciale ou innée, il entra de plainpied dans les salons les plus élégants de l'époque, chez Mme de Tencin, chez Mme Geoffrin. Cette dernière l'avait recommandé à un homme puissant, qui le tint un peu trop à distance; Suard s'obstinait à ne vouloir point retourner chez lui:

Mais, lui dit Mme Geoffrin avec impatience, quand on n'a pas de chemises, il ne faut pas avoir de fierté. -Au contraire, reprit-il, puisque c'est le seul moyen

d'avoir quelque chose.» Marmontel réussit à lui trouver une place, mais elle était convoitée par un des amis de Suard; celui-ci aima mieux la faire obtenir à cet ami que de l'accepter. Enfin, un riche financier le prit dans ses bureaux : il y avait douze cents francs de traitement et rien à faire. Suard, qui voulait gagner son argent, se démit bientôt et rendit les émoluments reçus.

Ce fut vers cette époque qu'il se lia avec l'abbé Arnaud, de cette étroite amitié dont nous avons parlé à la notice de cet académicien. Logement, bourse, esprit, tout fut mis en commun, mais l'esprit, est-il besoin de le dire? fut le plus net de l'apport social. Ils fondèrent ensemble le Journal étranger, idée heureuse, utile, qui consistait à traduire, à populariser en France les morceaux les plus remarquables des littératures étrangères, en un temps où l'imagination nationale aux abois éprouvait le besoin de retremper son originalité à des sources inexplorées. Le journal fut estimé, et tomba. Le duc de Choiseul, ce protecteur bienveillant des lettres, chargea nos deux amis de la rédaction d'un journal officiel, la Gazette de France, à laquelle il attacha dix mille francs de traitement; c'était une fortune, mais qui ne survécut pas à la chute, trop tôt venue, du ministre. Reprenant philosophiquement leur médiocrité première, Suard et Arnaud recommencèrent leur journal étranger sous le titre de Gazette littéraire de l'Europe; mais la plume paresseuse des deux rédacteurs était peu faite pour le travail incessant du journalisme, et,

S

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