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entré sans effort dans la pensée de son auteur, et qu'il a été en quelque sorte pénétré de son esprit. II a revêtu le caractère antique qui allait si bien à ses mœurs et à ses goûts, tandis que d'autres ont travesti Xénophon en lui donnant l'esprit moderne1. Du mélange de cet esprit de l'antiquité, fidèlement reproduit, et de la naïveté gauloise, résulte un style sain et abondant, souvent plein de charme et de fraicheur.

« Quant à ses poësies latines et françoises, dit G. Colletet, les premieres sont si eclatantes que l'on a cru, pour parler avec Scévole 2, « que la ville de Bourdeaux remporta finalement par elles un honneur que depuis le temps d'Ausone elle n'avoit osé jamais esperer; et qu'elle put s'attribuer justement la gloire d'avoir produit un veritable poëte, capable de rendre toute l'Italie mesme jalouse de la beauté de ses vers;» et ses poësies françoises sont telles qu'au rapport de l'aucteur des Essais, qui dans les premieres editions de son livre ne desdaigna pas d'en inserer

1768, Paris. Vient ensuite celle de Gail (in-8°, Paris, an 3), qui est plate et sans couleur. Je ne crois pas toutefois qu'elle ait été fort surpassée de nos jours.

1. En particulier, Dumas: son style est fort ambitieux; et l'on peut apprécier son jugement d'après cette note que je lui emprunte: « Endroit difficile, sur lequel j'ai été obligé de passer très-rapidement, » p. 97.

2. Sammarthani Elogia, I. I. Colletet a lui-même été le traducteur de cet ouvrage de Sainte-Marthe (Paris, in-4°, 1644). Voici le passage original: «< Omnino hic ille est, cujus magna ex parte ingenio et industria id Aquitania tandem obtinuit, quod ab Ausonii temporibus ne tentare quidem ausa fuerat, ut serio poctandi gloriam, vel Italia invidente, sibi quoque hoc tempore arrogaret. »>

un bon nombre, la Gascogne n'en avoit point encore produit de plus parfaites. >>

La plupart des ouvrages de La Boëtie furent, personne ne l'ignore, transmis à la postérité par le dévouement fidèle de Montaigne. Mais si l'on excepte le Discours de la servitude volontaire, dont je traiterai à part1, et les vingt-neuf sonnets souvent réimprimés avec les Essais, il n'a d'ailleurs été donné de ses œuvres qu'une seule édition. De fausses apparences m'avaient d'abord trompé, en me persuadant le contraire. Federic Morel, imprimeur et libraire de l'Université de Paris, fit paraître dans cette ville, en 1572, bien qu'on lise sur le privilége la date du 18 octobre 1570, la Mesnagerie de Xenophon, precedee de l'Epistre de Montaigne à M. de Lansac, et de son advertissement au lecteur; les Regles de Mariage et la Lettre de Consolation de Plutarque, avec les epistres dedicatoires de Montaigne à M. de Mesmes, et à sa femme, ouvrages traduits par La Boëtie; et ses vers latins avec une épistre de Montaigne au chancelier de L'Hospital, puis l'extraict d'une lettre de Montaigne à son pere sur la mort de son amy. Le tout forme cent trente et un feuillets, sans que la pagination, d'après l'usage du temps, soit marquée aux versos; ces mots les terminent: «Achevé d'imprimer le 24 de novembre, 1570. » Après, vient un autre cahier numéroté séparément, sans pagination aux versos, et formant vingt feuillets: il porte aussi le millésime de 1572 et le nom de Federic Morel; mais cette fois, celui-ci est appelé imprimeur du roy. Ce sont les vers françois de La Boëtie, precedez d'une epistre de Mon

1. V. l'avertissement, p. 3.

taigne à M. de Foix. En 1600, Claude Morel se contenta de donner un nouveau frontispice à chacune des parties qui composaient ce volume. Il y joignit en outre la traduction des OEconomiques d'Aristote qui n'avait pas encore paru et qu'il plaça en tète : elle forme avec le titre huit feuillets: le privilége a été supprimé. Du reste, aucun changement, si ce n'est que deux feuillets, qui sont les correspondants des titres ont été réimprimés : l'un dans la Mesnagerie de Xenophon est désigné par le no 8; l'autre, dans le cahier qui renferme les vers français, offre, avec le no 4, la dernière partie de l'Epistre dedicatoire de Montaigne à M. de Foix. Ainsi ces deux volumes, différents en apparence, ne sont à peu près en réalité qu'un seul et même livre1.

L'orthographe dont fait usage Federic Morel, m'a servide base pour celle que j'ai suivie dans l'impression de ce livre. Quant à la ponctuation, vicieuse ou plutôt nulle dans le texte original, elle a dû être complétement réformée. On sait d'ailleurs combien chez tous les écrivains du xvIe siècle, l'orthographe est, je ne dirai pas seulement peu exacte, mais encore peu uniforme2, le même terme se trouvant parfois, dans une seule page, écrit de plusieurs manières. C'est qu'elle n'avait guère pris naissance que depuis la découverte de l'imprimerie. Peu à peu elle s'était

1. Cette édition, incomplète, était devenue fort rare; je ne l'ai trouvée que dans la bibliothèque Mazarine et dans celle de Sainte-Geneviève.

2. Le nom de Du Guesclin par exemple, dans nos vieux auteurs, est écrit de quatorze façons différentes v. à ce sujet Montaigne, I, 46, t. 11, p. 328 de l'édit. in-18 des Essais, Paris, Froment, 1825; et Ménage, Vila P. Ærodii et G. Menagii, in-4o, 1675, p. 6.

établie; mais remuée en tout sens par une foule de hardis novateurs, elle avait payé tribut à l'esprit aventureux du xvre siècle. Tout y était incertain et variable le plus souvent, enfin, l'on représentait les mots par des combinaisons de lettres différentes qui formaient les mêmes sons.

Je n'ai pas cru devoir être fidèle au point de laisser subsister les traces de ce désordre fatigant pour la vue; toutefois je n'ai pas dû non plus exclure les bizarreries de l'orthographe du temps et la plier aux usages de la nôtre. Mon but principal a été de distinguer les règles le plus généralement adoptées à l'époque de La Boëtie et de les concilier avec celles qui sont particulièrement observées dans l'édition primitive. Je n'ai pas même négligé, pour m'éclairer davantage à cet égard, de consulter des manuscrits qui se rapportent à la même époque. On ne peut douter au reste que beaucoup de ces variations qui nous choquent aujourd'hui dans les ouvrages imprimés, ne soient de simples fautes de typographie. Leur nombre ne paraîtra pas surprenant, si l'on songe combien l'instruction était encore peu répandue dans le peuple, chez les diverses classes d'ouvriers, et que d'obstacles de tout genre s'opposaient à la correction des textes.

Ni le temps, ni les soins n'auront du moins été épargnés pour que la présente édition soit digne de l'attention du public.

En terminant cette introduction, il me reste un devoir bien doux à remplir, celui de reconnaître que, dans cette œuvre longue et pénible, plus d'une amitié dévouée m'a encouragé et soutenu; plus d'un

précieux conseil a secondé mes efforts. J'ai reçu d'excellentes communications de mon frère Edmond Feugère, professeur de rhétorique au collége royal de Douai; et si je m'abstiens de le louer ici davantage, c'est de peur que mon affection ne me rende suspect de partialité. Qu'il me soit permis en outre d'adresser mes remerciements à mon ami, M. Egger, agrégé de la faculté des lettres, si honorablement connu comme professeur et comme écrivain. Avec cette patience rarement unie aux qualités d'un esprit éminent, il a bien voulu me prêter son concours pour revoir toutes les épreuves de ce livre; et plus d'une fois il m'a indiqué de très heureuses corrections.

15 juin 1846.

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