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des racines, et souvent par les eaux, avecques le blé sort' force autre herbage, qui seroit pour l'estouffer sans doubte. Il est bien vraysemblable, dis je, que tout cela se fait ainsi. Lors doncques te semble il, dit il, que le blé aye besoing de quelque secours? Ouy à bon escient, dis je. Doncques à celuy qui est enlimonné2, qu’y faut il faire, à ton advis, pour luy ayder? Soulever la terre, dis je, et la descharger. Et à celuy qui monstre les racines nues? Luy ramasser la terre dessus, dis je. Et si l'herbe sortant3, meslee avec le germe, l'estouffe, et ravit la nourriture qui fait besoing pour le blé, comme les bourdons inutiles au bournal pillent sur les abeilles, ce qu'elles pour vivre, avecques leur grand'peine ont mis dedans ? Certes, dis je, il faudroit coupper les vivres et la nourriture à ces herbes, aussi bien comme il faut chasser les bourdons hors du bournal. Doncques, ditil, te semble il que sans cause on mette le sarceau par les terres ? Non vrayement, dis je; mais maintenant je comprens quel avantage il y a d'ameiner des exemples bien à propos: car tu m'as aigry contre ces mauvaises herbes beaucoup plus, quand tu as parlé des bourdons, que devant, quand tu parlois des herbes mesmes.

1. Il arrive souvent aussi que par suite de l'inondation, sort, pousse avec le blé....

2. C'est-à-dire, enterré sous la boue....

3. Exception à la règle qui prescrivait alors de décliner les participes présents; sur des exceptions de ce genre, v. M. Ampère, ouv. cité, p. 316.

Au reste ne faudra il pas desormais faire moissons? Dis moy doncques aussi ce que tu as à m'enseigner pour ce regard. Ouy, dit il, sinon qu'il se cogneust à l'essay, qu'encores en cela ce que je sçay tu le sçais aussi. Tu sçais bien doncques qu'il faut coupper le blé. Et comment ne le sçaurois je, lui dis je adoncques? Comme doncques le coupperas tu, dit il; ou bien si tu te mettras du costé que le vent vient, ou bien de front au vent? Non pas vrayement de front, dis je: car il seroit fascheux, à mon advis, et aux yeux et aux mains, de moissonner, quand le vent renvoye contre', le chaume et l'espy. Et rongneras tu, dit il, le blé au bout pres de l'espy, ou tout contre terre2? Si le chaume du blé est court, dis je, je le coupperois fort bas, à fin que la paille fust de plus suffisante grandeur; mais s'il est hault, je penserois bien faire de le coupper environ le milieu, à fin que les bateurs ne prinssent peine pour neant, et ceux qui vannent ne s'amusent à ce qui n'est pas besoing. Et croy que l'estouble qui demeure, s'il est bruslé, fait grand bien à la terre, et augmente le fumier, s'il est meslé parmy. Vois tu, dit il, ô Socrates, comment tu es trouvé sur le

1. Sous-ent. le moissonneur.

3

2. On peut consulter à ce sujet Columelle, II, Pline, XVIII, 30.

21;

3. (Stipula) paille, chaume; estoubles, c'étaient des champs de blé, de seigle, d'orge, etc.; estoublage, droit prélevé par le seigneur sur la récolte de ces champs.

fait, et es convaincu de sçavoir, autant que moy, du fait des moissons? J'en suis en grand danger, dis je; mais je veux encores adviser si je sçay point batre.

Or doncques, dis moy pour veoir, fait il, sçais tu point cela, que toutes bestes de voiture' batent le blé ? Ouy dea2, dis-je. - Et sçais tu pas qu'on appelle bestes de voiture les bœufs, les asnes, les chevaux, tous d'une sorte; et en sçais tu d'autres, à ton advis, qui peussent rompre le blé aux pieds, qui les toucheroit 3? Nulles autres, dis je. Mais, dis je, comment le bateront ils ainsi qu'il faut? et comment se pourra esgaler la baterie du blé au sol? par quel moyen cela, ô Socrates? Par le moyen, dis je, de ceux qui gou

1. De somme....

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2. C'est le dea des Latins, dit Roquefort: par la déesse! Cette interjection, qui, suivant Nicot, « enforce la diction »>, répond à certes. Rabelais, II, 9 : « Dea, mon amy, je ne fay doubte aucun que ne sçachiez bien parler divers langages.» Cf. Id., 30.

3. Ce second membre de phrase est tronqué; il faut dire: Et ces bêtes de somme savent-elles autre chose, à ton avis, que fouler le grain sur lequel on les conduit? Non certes, répond Socrate.

4. Dès le temps de Vaugelas, on ne disait plus que je baltrai, etc.

5. Plutôt Comment battront, broyeront-ils ( ces animaux, sous-ent.) ce qui doit être battu, broyé ?

6. C'est-à-dire comment les épis étendus sur l'aire présenteront-ils une surface plane, égale? A qui le soin d'y veiller appartient-il? Pour ces détails, cf. Columelle et Pline, loc. laud.; Varron, I, 52; Virgile, Georgiq., I, 177 et suiv.

vernent le sol': car tirans les gerbes, et mettans tousjours sous les pieds des jumens2 ce qui n'est pas rompu, ils feront aller tout d'un train aussi bien ce qui va dessous que l'autre3, et si avanceront plus ainsi. Doncques, dit il lors, il n'en est rien à dire, ô Socrates, qu'en ceci tu n'en sçaches autant que moy. Apres cela, dis je, Ô Ischomache, ne nettoyons nous pas le blé en vannant? Dis moy, ô Socrates, dit il, sçais tu pas bien que si tu commences à vanner devers le bout qui est contre le vent, toute la bale' s'en volera par tout le sol? Il n'y a point de fautes, dis je. Et par ce moyen, dit il, tomberoit elle pas sur le blé? Ouy, dis je, car elle auroit bien affaire de passer par dessus tout le monceau de blé, et aller en la place du sol qui est vuide. Et si on commence, dit il, à vanner au dessous du vent? Il est aysé à veoir, dis je, que la bale sera à son monceau à part. Mais, dit il, apres que tu auras bien esventé le blé jusques au milieu de l'aire, le laisseras tu ainsi espars, et

1. En d'autres termes des ouvriers qui travaillent à l'aire, qui la façonnent.

2. Dans le sens de jumenta des Latins (a jungendo, dit Nonius, c. 1).

3. Ils feront en sorte que tout sera foulé également.... Cf. sur ces détails, Homère, Iliade, XX, 495; Théocrite, Idyl. X, v. 54; Geopon., II, 14; et Mém. de l'Acad. des Inscript., t. IX, p. 350.

4. Aujourd'hui on écrit plus généralement balle (sauf toutefois les botanistes qui ont conservé bâle): c'est la pellicule qui recouvre la semence; l'enveloppe du grain. 5. Cela doit être....

esventeras soudain le demeurant; ou si tu amasseras le blé en un monceau, et le serreras à part pour tenir le moins de place qu'il sera possible? Ouy certes, dis je, je serreray le net à part, à fin qu'apres en esventant le reste, la bale passe par dessus, et aille au lieu du sol qui est vuide, et qu'il ne me faille retourner deux fois à vanner mesme blé. Pour vray, ô Socrates, quant à faire que le blé soit promptement net, tu en sçais assez pour l'enseigner à quiconque le voudroit apprendre.

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A ce compte, dis je, j'ignorois que j'en sceusse tant moy mesme, et si' je le sçavois fort long temps y a; et pour vray je pense en moy mesme si, possible, je sçaurois point fondre l'or et jouer des flutes, et peindre, et qu'encores je ne m'en fusse pas prins garde. Il est vray que personne ne m'y a jamais enseigné; mais si n'a pas personne, non plus, à cultiver la terre. Or voy moy les hommes travaillans aux autres mestiers tout de mesmes qu'en l'agriculture. Et ne t'ay je pas dit, long temps y a, dit Ischomache, que l'agriculture estoit le plus noble mestier du monde, pour cela encores qu'il est plus facile à apprendre que tout autre? Or bien, dis je, ô Ischomache, j'entens à ceste heure; et de vray, voylà comment je n'avois jamais plus sceu que je sçavois semer. Mais le plant des arbres est ce aussi du fait de l'agriculture? Ouy vrayement, dit Ischomache. Et

1. Et cependant, toutefois....

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