Page images
PDF
EPUB

PARIS.

IMPRIMERIE A. QUANTIN ET C'

ANCIENNE MAISON J. CLAYE

RUE SAINT-BENOIT

DE

VOLTAIRE

NOUVELLE ÉDITION

AVEC

NOTICES, PRÉFACES, VARIANTES, TABLE ANALYTIQUE

LES NOTES DE TOUS LES COMMENTATEURS ET DES NOTES NOUVELLES

Conforme pour le texte à l'édition de BEUCHOT

ENRICHIE DES DÉCOUVERTES LES PLUS RÉCENTES

ET MISE AU COURANT

DES TRAVAUX QUI ONT PARU JUSQU'A CE JOUR

PRÉCÉDÉE DE LA

VIE DE VOLTAIRE

PAR CONDORCET

ET D'AUTRES ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

Ornée d'un portrait en pied d'après la statue du foyer de la Comédie-Française

[merged small][merged small][graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

AVERTISSEMENT

POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.

Après Voltaire dramaturge et poëte, voici Voltaire historien. Ici encore son génie a des faces diverses. Tour à tour se présente à nous l'auteur de l'Histoire de Charles XII, vive et amusante comme un roman, l'auteur de ce grand tableau du Siècle de Louis XIV, élégant et magistral, l'auteur enfin de ce vigoureux Essai par lequel il émancipa et passionna l'histoire et y introduisit tous les ferments de révolte qui étaient dans son esprit. Ce dernier ouvrage n'est peut-être pas, esthétiquement, son meilleur ouvrage, mais c'est son ouvrage important, caractéristique; vaste cadre, libre esquisse «< où sont réunis avec le plus d'éclat, dit M. Villemain, les lumières et les préjugés de la nouvelle école qui racontait le passé ».

Cet Essai naquit singulièrement, comme souvent naissent ces livres de combat. Voltaire le composa, en grande partie, pour servir de cahiers d'histoire à la belle Émilie. Il ne faudrait pas supposer, du reste, que l'auteur se fût livré à ce grand travail de recherches, sans l'intention de le rendre public quelque jour. Les copies s'en multiplièrent : Frédéric en eut une des premières; l'Électeur palatin, la duchesse de Gotha, en recurent également. D'autres existaient à Paris. Il est clair qu'une de ces copies devait un jour ou l'autre tomber aux mains de quelque imprimeur de Hollande, et c'est ce qui arriva. Mais l'événement eut lieu dans un moment particulièrement fâcheux pour Voltaire.

C'était peu après sa rupture avec le roi de Prusse, lorsqu'à la suite de la malheureuse aventure de Francfort, i errait sur les bords du Rhin, se demandant s'il pouvait sans danger se rendre à Paris. C'est au milieu des perplexités qui l'assiégeaient alors que deux volumes, édités par un libraire de La Haye et de Berlin, Jean Néaulme, parurent tout à coup sous le titre d'Abrégé de l'Histoire universelle. Comment l'œuvre de Voltaire était-elle parvenue aux mains de Néaulme? D'après les explications données à l'auteur par le libraire lui-même, le manuscrit de l'Abrégé de l'Histoire universelle, qui devint par la suite l'Essai sur les Mœurs et l'Esprit des nations, aurait fait partie du butin pris à la bataille de Sorr en 1745, où le roi de

1. Voyez, sur les premières publications partielles la Lettre à M. de ***, professeur en histoire, dans les Mélanges, à la date de 1753.

11.

ESSAI SUR LES MOEURS. I.

a

[ocr errors]

Prusse avait laissé ses bagages entre les mains du prince Charles de Lorraine. « On prit l'équipage du roi de Prusse dans cette bataille, au lieu de prendre sa personne, raconte Voltaire à d'Argental (24 décembre 1753); on porta sa cassette au prince Charles. Il y avait, dans cette cassette grise-rouge de l'avare, force ducats avec cette Histoire universelle et des fragments de la Pucelle. Un valet de chambre du prince Charles a vendu l'histoire à Jean Néaulme, et les papillotes de la Pucelle sont à Vienne. Tout cela compose une drôle de destinée. » Dans une lettre à Walther (Colmar, 13 janvier 1754), Voltaire dit encore : « Jean Néaulme prétend avoir acheté ce manuscrit cinquante louis d'or d'un domestique de monseigneur le prince Charles de Lorraine. C'est un ancien manuscrit très-imparfait, que j'avais pris la liberté de donner au roi de Prusse sur la fin de 1739, dans le temps qu'il était prince royal. Cet ouvrage ne méritait pas de lui être offert; mais, comme il s'occupait de toutes les sortes de littérature, et qu'il me prévenait par les plus grandes bontés, je ne balançai pas à lui envoyer cette première esquisse, tout informe qu'elle était. »

Disons que, tout en acceptant le récit du libraire, Voltaire n'était pas sans soupçonner quelque méchant tour de son ex-ami Frédéric. Il écrivait à Richelieu (30 décembre 1753): « On m'assure que le prince Charles rendit au roi de Prusse sa cassette prise à la bataille de Sorr, dans laquelle Sa Majesté prussienne prétend qu'il avait mis mon manuscrit. Je sais qu'on lui rendit jusqu'à son chien. Il me demanda depuis un nouvel exemplaire; je lui en donnai un plus correct et plus ample. Il a gardé celui-là, son libraire Jean Néaulme a imprimé l'autre 1. »

Quoi qu'il en soit, Voltaire protesta avec énergie contre cette publication. Il protesta d'abord contre les incorrections de l'ouvrage. « Comment, s'écriait-il dans une lettre à Néaulme (28 décembre 1753), comment votre éditeur a-t-il pu prendre le vin siècle pour le Ive, le xie pour le xie, le pape Boniface VIII pour le pape Boniface VII? Presque chaque page est pleine de fautes absurdes. Tout ce que je peux vous dire, c'est que tous les, manuscrits qui sont actuellement entre les mains du roi de Prusse, de monseigneur l'Électeur palatin, de Mme la duchesse de Gotha, sont très-différents du votre... Il semble que vous ayez voulu me rendre ridicule et me perdre en imprimant cette informe rapsodie et en y mettant mon nom. »

Il y avait surtout, dans la courte introduction qui était en tête du premier volume (voyez Mélanges, à la date de 1754), une phrase qui inquiétait Voltaire; c'était celle-ci : « Les historiens, semblables en cela aux rois, sacrifient le genre humain à un seul homme. »>

L'auteur mande aussitôt deux notaires devant lesquels confrontation est faite de l'Abrégé de Jean Néaulme avec un manuscrit qu'il a fait venir de Paris : « Manuscrit in-4°, usé de vétusté, relié en un carton qui paraît aussi fort vieux, intitulé Essai sur les Révolutions du monde et sur l'Histoire de l'esprit humain depuis le temps de Charlemagne jusqu'à nos jours, 1740. »

Par procès-verbal daté du 22 février 1754, il fait constater les diffé

1. Voyez aussi la Lettre à la comtesse de Lutzelbourg, 23 janvier 1754.

« PreviousContinue »