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pas besoin d'idées qui soient naturellement imprimées en lui, mais que la seule faculté qu'il a de penser lui suffit pour exercer ses actions; c'est pourquoi, conclut-il dans celui-ci, toutes les communes notions qui se trouvent empreintes en l'esprit tirent toutes leur origine ou de l'observation des choses ou de la tradition: comme si la faculté de penser qu'a l'esprit ne pouvoit d'elle-même rien produire, et qu'elle n'eût jamais aucunes perceptions ou pensées que celles qu'elle a reçues de l'observation des choses ou de la tradition, c'est-à-dire des sens. Ce qui est tellement faux, que quiconque a bien compris jusqu'où s'étendent nos sens, et ce que ce peut être précisément qui est porté par eux jusqu'à la faculté que nous avons de penser, doit avouer au contraire qu'aucunes idées des choses ne nous sont représentées par eux telles que nous les formons par la pensée; en sorte qu'il n'y a rien dans nos idées qui ne soit naturel à l'esprit, ou à la faculté qu'il a de penser; si seulement on excepte certaines circonstances qui n'appartiennent qu'à l'expérience. Par exemple, c'est la seule expérience qui fait que nous jugeons que telles ou telles idées, que nous avons maintenant présentes à l'esprit, se rapportent à quelques choses qui sont hors de nous; non pas, à la vérité, que ces choses les aient transmises en notre esprit par les organes des sens telles que nous les sentons, mais à cause qu'elles

ont transmis quelque chose qui a donné occasion à notre esprit, par la faculté naturelle qu'il en a, de les former en ce temps-là plutôt qu'en un autre. Car, comme notre auteur même assure dans l'article dix-neuvième, conformément à ce qu'il a appris de mes Principes, rien ne peut venir des objets extérieurs jusqu'à notre âme, par l'entremise des sens, que quelques mouvements corporels ; mais ni ces mouvements mêmes, ni les figures qui en proviennent, ne sont point conçus par nous tels qu'ils sont dans les organes des sens, comme j'ai amplement expliqué dans la Dioptrique; d'où il suit que même les idées du mouvement et des figures sont naturellement en nous. Et, à plus forte raison, les idées de la douleur, des couleurs, des sons, et de toutes les choses semblables, nous doivent-elles être naturelles, afin que notre esprit, à l'occasion de certains mouvements corporels avec lesquels elles n'ont aucune ressemblance, se les puisse représenter. Mais que peut-on feindre de plus absurde que de dire que toutes les notions communes qui sont en notre esprit procèdent de ces mouvements, et qu'elles ne peuvent être sans eux. Je voudrois bien que notre auteur m'apprît quel est le mouvement corporel qui peut former en notre esprit quelque notion commune; par exemple, celle-ci, Que les choses qui conviennent à une troisième conviennent entre elles, ou telle autre

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qu'il lui plaira; car tous ces mouvements sont particuliers, et ces notions sont universelles, qui n'ont aucune affinité ni rapport avec le mouvement.

Néanmoins, dans l'article quatorzième, appuyé sur ce beau fondement, il continue d'assurer que l'idée même de Dieu qui est en nous ne vient pas de la faculté que nous avons de penser, comme une chose qui lui soit naturelle, mais qu'elle vient de la révélation divine, ou de la tradition, ou de l'observation des choses. Et, pour mieux reconnoître l'erreur de cette assertion, il faut considérer qu'on peut dire en deux façons qu'une chose vient d'une autre; à savoir, ou parceque cette autre en est la cause prochaine et principale, sans laquelle elle ne peut être, ou parcequ'elle en est la cause éloignée et accidentelle seulement, qui donne occasion à la principale de produire son effet en un temps plutôt qu'en un autre. C'est ainsi que tous les ouvriers sont les causes principales et prochaines de leurs ouvrages, et que ceux qui leur ordonnent de les faire, ou qui leur promettent quelque récompense s'ils les font, en sont les causes àccidentelles et éloignées, à cause que peut-être ils ne les feroient point si on ne leur commandoit. Or, il n'y a point de doute que la tradition, où l'observation des choses, ne soit souvent la cause éloignée qui fait que nous venons à penser à l'idée que nous pouvons avoir de Dieu, et à la rendre présente à notre es

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prit; mais que c'en soit la cause prochaine, et effectrice de cette idée, cela ne se peut dire que par celui qui croit que nous ne concevons jamais rien autre chose de Dieu, sinon quel est ce nom-là, Dieu, ou quelle est la figure corporelle sous laquelle il nous est ordinairement représenté par les peintres. Car, de vrai, si l'observation s'en fait par la vue, elle ne peut d'elle-même représenter autre chose à l'esprit que des peintures, et même des peintures dont toute la vérité ' ne consiste que dans celle de certains mouvements corporels, comme notre auteur même l'enseigne; si elle se fait par l'ouïe, elle ne peut représenter que des sons et des paroles; que, si c'est par les autres sens qu'elle se fasse, une telle observation ne sauroit rien contenir qui puisse être rapporté à Dieu. Et certes, c'est une chose si véritable que la vue ne représente de soi rien autre chose à l'esprit que des peintures, ni l'ouïe que des sons et des paroles, que personne ne le révoque en doute; si bien que tout ce que nous concevons de plus que ces paroles et ces peintures, comme les choses signifiées par ces signes, doit nécessairement nous être représenté par des idées, qui ne viennent point d'ailleurs que de la faculté que nous avons de penser, et qui par conséquent sont naturellement en elle, c'est-à-dire sont

Les éditions: variété.

Les éditions: celles.

toujours en nous en puissance; car être naturellement dans une faculté ne veut pas dire y être en acte, mais en puissance seulement, vu que le nom même de faculté ne veut dire autre chose que puissance. Or personne, s'il ne veut passer ouvertement pour un athée, et même pour un homme qui a perdu le sens, ne peut assurer que nous ne saurions rien connoître de Dieu que le nom ou là figure corporelle dont les peintres ou les sculpteurs se servent pour nous le représenter.

Après que notre auteur a exposé l'opinion qu'il a touchant la manière dont nous pouvons connoître Dieu, il réfute, dans l'article quinzième, tous les arguments par lesquels j'ai démontré son existence; où je ne puis que je n'admire la grande confiance ou présomption de cet homme de croire qu'il puisse, avec tant de facilité et en si peu de paroles, renverser tout ce que j'ai composé après une longue et sérieuse méditation, et que je n'ai pu expliquer que dans un livre entier. Toutes les raisons que j'ai apportées pour cette preuve se rapportent à deux. La première est que nous avons une connoissance de Dieu ou une idée qui est telle, que, si nous faisons bien réflexion sur ce qu'elle contient, si nous l'examinons avec soin, en la manière que j'ai montré qu'il falloit faire, la seule considération que nous en ferons nous fera connoître qu'il ne se peut pas faire que Dieu

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