Page images
PDF
EPUB

qu'on doute de l'existence du corps: d'où il suit que pour lors au moins il ne peut être dit un mode du corps. Or est-il que ce qui est une fois vrai de l'essence ou de la nature d'une chose est toujours vrai; et néanmoins il ne laisse pas d'assurer qu'il ne répugne à la nature des choses que l'esprit soit seulement un mode du corps; mais il est évident que ces deux choses se contrarient.

Je ne comprends point ce qu'il veut dire dans le sixième article par ces paroles: Quoique l'esprit humain ou l'âme raisonnable soit une substance distincte réellement du corps, néanmoins, pendant qu'elle est dans le corps, elle est organique en toutes ses actions. Je me souviens bien d'avoir autrefois ouï dire dans les écoles, que l'âme est l'acte du corps organique; mais qu'elle-même soit organique, je confesse que je ne l'avois point encore ouï dire jusqu'à présent : c'est pourquoi, comme je n'ai ici rien de certain que je puisse écrire, je supplie notre auteur de me permettre d'exposer ici mes conjectures, que je ne donne pas pour quelque chose de vrai, mais seulement pour telles qu'elles

sont.

Il me semble que j'aperçois en ce qu'il dit deux choses qui se contrarient. L'une desquelles est que l'esprit humain est une substance réellement distincte du corps; et j'avoue que notre auteur le dit ouvertement : mais il dissuade autant

qu'il peut par ses raisons de le croire, et soutient que cela ne peut être prouvé que par le témoignage seul de la sainte Écriture. L'autre est que ce même esprit humain en toutes ses actions est organique, ou ne sert que d'instrument, comme n'agissant point de soi-même, mais dont le corps se sert, comme il fait de la conformation de ses membres, et des autres modes corporels; et ainsi, s'il ne le dit de paroles, il assure néanmoins en effet que l'esprit n'est rien autre chose qu'un mode du corps ; comme aussi ne semble-t-il avoir disposé toutes ses raisons que pour la preuve de cela seul. Or ces deux choses sont si manifestement contraires, à savoir, que l'esprit humain soit une substance et un mode, que je ne pense pas que cet auteur veuille que ses lecteurs les croient toutes deux ensemble, mais bien qu'il les a ainsi à dessein entremêlées pour contenter les simples, et satisfaire en quelque façon ses théologiens sur l'autorité de l'Écriture sainte, mais néanmoins pour faire en sorte que les plus clairvoyants puissent reconnoître que ce n'est pas tout de bon qu'il dit que l'esprit ou l'âme est distincte du corps, et qu'en effet son opinion est qu'elle n'est rien autre chose qu'un mode.

Dans les septième et huitième articles, il semble continuer à dire les choses autrement qu'il ne les pense, et se sert encore de cette figure de rhétori

que, qu'on nomme ironie, vers la fin du neuvième article; mais au commencement il ajoute la raison de ce qu'il avance: c'est pourquoi il y a lieu de croire qu'en cet endroit-là il parle tout de bon, et qu'il agit de bonne foi. Voici ce qu'il dit : 11 est naturellement incertain si nous apercevons véritablement aucun corps; et la raison qu'il en apporte est que les choses qui ne sont qu'imaginaires peuvent aussi bien faire impression sur l'esprit que celles qui sont vraies. Mais cette raison ne peut être bonne, si l'on suppose que nous ne pouvons en aucune façon nous servir de cette faculté que les philosophes appellent d'un nom propre l'entendement, mais seulement de celle qu'ils nomment le sens commun, dans laquelle les images des choses soit vraies soit imaginaires sont reçues pour toucher l'esprit, et qu'ils disent nous être commune avec les bêtes. Mais certes ceux qui ont de l'entendement, et qui ne ressemblent pas tout-à-fait aux chevaux et aux mulets, encore qu'ils ne soient pas seulement touchés par les images que la présence des choses vraies imprime dans le cerveau, mais aussi par celles que d'autres causes y excitent, comme il arrive dans les songes; ceux-là, dis-je, discernent néanmoins très clairement par la lumière de la raison les unes d'avec les autres. Et j'ai expliqué si nettement et si exactement dans mes écrits par quel moyen cela se peut infaillible

ment reconnoître, que je m'assure qu'il n'y a personne, qui ait un peu d'entendement, qui après les avoir lus puisse être encore en cela sceptique.

Dans les dixième et onzième articles, il y a encore lieu de soupçonner qu'il ne parle pas tout de bon: car si l'on croit que l'âme soit une substance, il est ridicule et impertinent de dire' que le lien qui tient l'âme unie et conjointe au corps n'est autre que la loi de l'immutabilité de la nature, qui est telle, que chaque chose demeure en l'état qu'elle est : car les choses qui sont séparées, aussi bien que celles qui sont conjointes, demeurent dans leur même état, pendant que rien ne le change; mais ce n'est pas de quoi il s'agit en ce lieu-là, mais bien de savoir comment et par quel moyen l'esprit est joint avec le corps, et n'en est pas séparé. Mais si l'on suppose que l'âme soit un mode du corps, c'est bien répondre que de dire qu'il ne faut point chercher d'autre lien par quoi elle lui soit conjointe, sinon qu'elle demeure dans le même état où elle est; d'autant que les modes n'ont point d'autre état ou d'autre manière d'être que celui d'être attachés ou inhérents aux choses dont ils sont les modes.

Dans le douzième article, je trouve qu'il n'est différent de ce que je dis qu'en la manière de s'exprimer car quand il dit que l'esprit n'a pas

besoin d'idées, ou de notions, ou d'axiomes qui soient nés, ou naturellement imprimés en lui, et que cependant il lui attribue la faculté de penser, c'està-dire une faculté naturelle et née avec lui, il dit en effet la même chose que moi, quoiqu'il me semble ne le pas dire. Car je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées naturelles qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de penser mais bien est-il vrai que, reconnoissant qu'il y avoit certaines pensées qui ne procédoient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j'ai de penser, pour établir quelques différence entre les idées ou les notions qui sont les formes de ces pensées, et les distinguer des autres qu'on peut appeler étrangères, ou faites à plaisir, je les ai nommées naturelles ; mais je l'ai dit au même sens que nous disons que la générosité, par exemple, est naturelle à certaines familles, ou que certaines maladies, comme la goutte ou la gravelle, sont naturelles à d'autres, non pas que les enfants qui prennent naissance dans ces familles soient travaillés de ces maladies aux ventres de leurs mères, mais parcequ'ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter.

Mais remarquez, je vous prie, la belle conséquence que, dans l'article treizième, il tire du précédent. Il avoit dit en cet article que l'esprit n'a

« PreviousContinue »