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taires, que d'en voir quelques autres qui les combattent avec aigreur et animosité.

Car je n'en ai encore vu pas un qui ne m'ait attribué des opinions tout-à-fait différentes des miennes, et même si absurdes et si impertinentes, que je n'appréhende pas qu'on puisse jamais persuader à des personnes tant soit peu raisonnables que je sois l'auteur de telles opinions. C'est ainsi qu'à ce moment même que j'écris, on me vient d'apporter deux libelles tout nouvellement composés par un écrivain de cette farine, dans le premier desquels il est dit qu'il y a certains novateurs qui tâchent d'ôter toute la créance que l'on peut avoir aux sens, et qui soutiennent qu'un philosophe peut nier qu'il y ait un Dieu, et douter de son existence, après avoir admis d'ailleurs que l'idée, l'espèce et la connoissance actuelle de Dieu est naturellement empreinte en notre esprit. Et dans l'autre il est dit que ces novateurs prononcent hardiment que Dieu ne doit pas être dit seulement négativement, mais même positivement la cause efficiente de soi-même. Voilà tout ce dont il s'agit dans l'un et dans l'autre de ces libelles, qui ne contiennent rien de plus, sinon un ramas d'arguments pour prouver, premièrement, que les enfants dans le ventre de leurs mères n'ont aucune connoissance actuelle de Dieu, et partant, que nous n'avons aucune idée ou espèce actuelle de Dieu naturellement empreinte en notre es

prit; secondement, qu'il ne faut pas nier qu'il y ait un Dieu, et que ceux-là qui le nient doivent être tenus pour des athées, et sont punissables par les lois ; enfin, que Dieu n'est pas la cause efficiente de soimême. Toutes lesquelles choses je pourrois à la vérité dissimuler, comme n'étant point écrites contre moi, à cause que mon nom ne se trouve point dans ces écrits, et qu'il n'y a pas une opinion de celles qui y sont impugnées que je ne tienne pour très fausse et tout-à-fait absurde: mais néanmoins, pourcequ'elles ressemblent fort à quelques unes qui m'ont déjà été plusieurs fois faussement imputées par des gens de cette robe, et qu'on n'en connoît point d'autres à qui on les puisse attribuer; et aussi pourceque tout le monde sait que c'est contre moi que ces libelles ont été faits, je prendrai ici occasion d'avertir leur auteur, premièrement, que lorsque j'ai dit que l'idée de Dieu est naturellement en nous, je n'ai jamais entendu autre chose que ce que lui-même, dans la sixième section de son second livre, dit en termes exprès être véritable, c'est à savoir, que la nature a mis en nous une faculté par laquelle nous pouvons connottre Dieu; mais que je n'ai jamais écrit ni pensé que telles idées fussent actuelles ou qu'elles fussent des espèces distinctes de la faculté même que nous avons de penser. Et même je dirai plus, qu'il n'y a personne qui soit si éloigné que moi de tout ce

fatras d'entités scolastiques; en sorte que je n'ai pu m'empêcher de rire quand j'ai vu ce grand nom, bre de raisons que cet homme, sans doute peu méchant, a ramassées avec grand soin et travail, pour montrer que les enfants n'ont point la connoissance actuelle de Dieu tandis qu'ils sont au ven- ̧ tre de leur mère, comme si par là il avoit trouvé un beau moyen de me combattre. Secondement, que je n'ai aussi jamais enseigné qu'il falloit nier qu'il y eût un Dieu, ou que Dieu pouvoit nous tromper; ou qu'il falloit révoquer toutes choses en doute; ou que l'on ne devoit donner aucune créance aux sens; ou que le sommeil ne se pouvoit distinguer de la veille, et autres choses semblables qui m'ont quelquefois été objectées par des calomniateurs ignorants; mais que j'ai rejeté toutes ces choses en paroles très expresses, et que je les ai même réfutées par des arguments très forts, et j'ose même dire plus forts qu'aucun autre ait fait avant moi : et afin de le pouvoir faire plus commodément et plus efficacement, j'ai proposé toutes ces choses comme douteuses au commencement de mes Méditations; mais je ne suis pas le premier qui les ai inventées; il y a longtemps qu'on a les oreilles battues de semblables doutes proposés par les sceptiques. Mais qu'y a-t-il de plus inique que d'attribuer à un auteur des opinions qu'il ne propose que pour les réfuter?

Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre qu'on les propose, et qu'elles ne sont pas encore réfutées, et partant que celui qui rapporte les arguments dont se servent les athées est lui-même un athée pour un temps? Qu'y a-t-il de plus puéril que de dire que s'il vient à mourir avant que d'avoir écrit ou inventé la démonstration qu'il espère, il meurt comme un athée; et qu'il a enseigné par avance une pernicieuse doctrine, contre la maxime communément reçue, qui dit qu'il n'est pas permis de faire du mal pour en tirer du bien, et choses semblables? Quelqu'un dira peut-être que je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme venant d'autrui, mais comme miennes; mais qu'importe cela? puisque dans le même livre où je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées; et même qu'on peut voir aisément par le titre du livre que j'étois fort éloigné de les croire, puisque j'y promettois des démonstrations touchant l'existence de Dieu. Et peut-on s'imaginer qu'il y en ait de si sots, ou de si simples, que de se persuader que celui qui compose un livre qui porte ce titre ignore, quand il trace les premières pages, ce qu'il a entrepris de démontrer dans les suivantes? De plus, la façon d'écrire que je m'étois proposée, qui étoit en forme de méditations, et que j'avois choisie comme fort propre pour expliquer plus clairement les raisons que j'avois à

déduire, m'obligeoit de ne pas proposer ces objections autrement que comme miennes. Que si cette raison ne satisfait pas ceux qui se mêlent de censurer mes écrits, je voudrois bien savoir ce qu'ils disent des Écritures saintes, avec lesquelles nuls autres écrits qui viennent de la main des hommes ne doivent être comparés, lorsqu'ils y voient certaines choses qui ne se peuvent bien entendre, si l'on ne suppose qu'elles sont rapportées comme étant dites par des impies, ou du moins par d'autres que par le saint Esprit ou les prophètes; telles que sont ces paroles de l'Ecclésiastique, chapitre second: Ne vaut-il pas mieux boire et manger et faire goûter à son âme des fruits de son travail? et cela vient de la main de Dieu. Qui est-ce qui en pourra dévorer autant, ou qui pourra se gorger de plaisirs autant que moi? Et au chapitre suivant: J'ai souhaité en mon cœur, pensant aux enfants des hommes, que Dieu les éprouvât, et fil connoître qu'ils sont semblables aux bêtes. C'est pourquoi, l'homme et les chevaux périssent de même façon, leur condition est pareille; comme l'homme meurt, ceux-ci meurent; ils ont tous une pareille respiration, et l'homme n'a rien de plus que le cheval, etc. Pensent-ils que le saint Esprit nous enseigne en ce lieu-là qu'il faut faire bonne chère, qu'il n'y a qu'à se donner du bon temps, et que nos âmes ne sont pas plus immortelles que celles

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