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Il a donc rompu sa barrière,
Ce torrent que l'Europe entière
Devrait arrêter dans son cours;
Peuples menacés du naufrage,
Unissez-vous: contre sa rage
La fuite est d'un faible secours.

Ce n'est plus cet heureux génie
Qui des arts dans la Germanie
Devait rallumer le flambeau:

Époux, fils, et frère coupable,
C'est lui que son père équitable
Voulut étouffer au berceau.

Le voilà ce roi pacifique
Qui d'une affreuse politique
Promit d'enchaîner la fureur;
Il n'en dévoila les maximes,
Il n'approfondit l'art des crimes,
Que pour en surpasser l'horreur.

Saxe désolée et sanglante,
Dresde autrefois si florissante,
Séjour du commerce et des arts,
Vous le savez! et vos ruines
Du spectacle de ses rapines
Affligent encor les regards.

Mais quelle douloureuse image!

Veut-il donc ce tyran sauvage Braver tous les droits des humains?

Où fuyez-vous, reine éplorée?

O reine à ses fureurs livrée,

Que je tremble pour vos destins!

A force de crimes célèbres,
Prétend-il franchir les ténèbres
De l'oubli qu'il a mérité,

Et dont le voile heureux et sombre
Eût enseveli dans son ombre
Son régne impie et détesté?

Parmi le tumulte et les armes,
Il croit s'aguerrir aux alarmes
Qu'il traîne en tous lieux sur ses pas;
Mais au bruit de l'airain qui tonne,
L'effroi le saisit, il frissonne,
Et ne voit plus que le trépas.

Fier d'un avantage éphémère,
Veut-il d'un laurier moins vulgaire
Tenter les périlleux hasards?
Prague échappe à son imprudence;
Olmutz, qu'il croyait sans défense,
Le voit fuir loin de ses remparts.

Tombez, voiles de sa faiblesse,
Prestiges vains, dont son adresse
A long-temps fasciné les yeux;
C'est sur la fraude et l'artifice
Qu'il fonda le frêle édifice
De ses projets ambitieux.

Si d'une tactique savante

L'art formidable qu'il nous vante Put le mettre au rang des guerriers, De cette gloire imaginaire L'honneur appartient à son père, Frédéric lui doit ses lauriers.

Jaloux d'une double couronne,
Il ose, infidèle à Bellone,
Courir sur les pas d'Apollon;
Dût-il des sommets du Parnasse,
Pour expier sa folle audace,
Subir le sort de Phaéton.

Abjure un espoir téméraire :
En vain la muse de Voltaire
T'enivra d'un coupable encens;
Jamais, aux fastes de la gloire,
La main des Filles de Mémoire
N'inscrivit le nom des tyrans.

Vois, malgré la garde romaine,
Néron poursuivi sur la scène
Par le mépris des légions;
Vois l'oppresseur de Syracuse,
Denys, prostituant sa muse
Aux insultes des nations.

Par tes vers, par ta politique,
Et par ton orgueil despotique,
Déjà trop semblable à Denys,
Héritier de ses artifices,
De son génie et de ses vices,
Crains la disgrace de son fils.

616 SUPPLÉMENT AUX PIÈCES JUSTIFICATIVES.

Que pourrait alors ta faiblesse?
Sur une indocile jeunesse
Régner encor par la terreur,
Et retrouver dans ce délire
Quelque apparence de l'empire
Que tu perdis par ta fureur.

Jusque-là, censeur moins sauvage,
Souffre l'innocent badinage
De la nature et des amours.
Peux-tu condamner la tendresse,
Toi qui n'en as connu l'ivresse
Que dans les bras de tes tambours.

Vaillante élite de la France,
Accablez de votre vengeance
Ce Salmonée audacieux':
Il ose imiter le tonnerre;
Hâtez-vous d'en purger la terre,
Sa mort doit absoudre les dieux.

FIN DU SUPPLÉMENT AUX PIÈCES JUSTIFICATIVES.

APOTHÉOSE

DE VOLTAIRE.

L'assemblée nationale constituante décréta, le 30 mai 1791, jour anniversaire de la mort de Voltaire, qu'il était digne de recevoir les honneurs réservés aux grands hommes. L'abbaye de Scellières, où ses cendres avaient été déposées, venait d'être vendue; le décret ordonna leur translation dans l'église de Sainte-Genevieve, à Paris, à laquelle on avait donné la dénomination de Panthéon français. Les amis des lettres et de la philosophie brûlaient de voir rentrer glorieusement dans la capitale ces restes précieux qu'un fanatisme barbare avait privés de sépulture, qu'on n'avait pu rober à la rage de leurs ennemis qu'en les travestissant, et qui, sortis furtivement de Paris, reposaient en silence, depuis treize ans, dans une solitude monastique, visités seulement par quelques sages bravant la superstition régnante, et par les étrangers, surpris qu'un désert renfermât celui dont le nom remplissait le monde. Son apothéose, qui devait humilier également le fanatisme et l'ignorance, fut fixée au 12 juillet. La cérémonie de la translation présenta tout ce que la pompe antique et le concours de toutes les classes de la nation peuvent réunir de plus majestueux et de plus touchant. Nous n'en retracerons pas les détails: ils se trouvent dans tous les journaux du temps. Nous citerons seule

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