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des lecteurs incrédules, ou disposés à le devenir, ils excitaient la curiosité; on les accueillait avidement; ils ont maintenu Voltaire dans la triste possession de régner, jusqu'à la fin de ses jours, dans la secte des mé

créants.

« Cet empire n'avait rien perdu; au contraire, il ne s'était que plus affermi par les obscénités dont il avait souillé ses écrits; elles s'accordaient (ou pour le dire sans jugement téméraire, et c'est ici que s'explique l'oracle de Jésus-Christ, la bouche parle de l'abondance du cœur), elles s'accordaient avec la dépravation du sien; elles entraient dans le plan de l'impiété, qui, rompant toutes les digues, respecte moins que les autres celles de la pudeur; elles favorisaient la vogue rapide de ces écrits dont il inondait le public: aussi a-t-il retracé tout ce qu'il y avait eu de plus obscènes écrivains, avec cette différence que la hardiesse cynique des pensées et des expressions n'avait été dans ceux-ci que le fruit du libertinage des mœurs, ou d'une imagination déréglée; dans Voltaire, c'était une effronterie systématique. Eh! que devait-on attendre d'un homme qui avait pris pour base de sa philosophie le fatalisme, dont les inévitables et invincibles décrets enchaînent la volonté de l'homme, subjuguent la nature entière, captivent jusqu'à la Divinité, et anéantissent sa providence? Que deviennent alors les lois divines et humaines, les barrières qui séparent le vice de la vertu, les peines et les récompenses d'une autre vie, les mœurs, la probité, l'ordre public? On ne lui reproche pas d'avoir expressément tiré toutes ces conséquences; convenons qu'il les désavoue quelquefois, et ne prenons pas droit contre Jui des variations où il est souvent tombé! Un fait con

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stant au milieu de ces variations, c'est qu'il n'a rétracté ou adouci dans aucun de ses écrits, qu'il a même inculqué dans ses derniers, son dogme favori du fatalisme, le germe de tous les crimes, la consolation et la ressource des scélérats désespérés.

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Ajouterons-nous à tant d'excès et de travers l'amour effréné de la liberté populaire, l'aversion pour l'autorité souveraine, l'esprit d'indépendance, sentiments dont la publication, d'une périlleuse conséquence dans tout état policé, est singulièrement condamnable dans un état monarchique tel que la France, l'aigreur et la malignité de son style contre ceux dont il se déclarait l'ennemi; son audace en plus d'une occasion contre la magistrature, ce corps respectable, auquel il n'a jamais pardonné la juste flétrissure imprimée sur quelques uns de ses écrits? Nous avouons que ces dernières observations, sans être étrangères au ministère épiscopal, sont encore plus du ressort des puissances du siècle : nous ne cherchons pas à les irriter contre sa mémoire: elles connaissent leurs droits, leurs intérêts, et ce n'est pas à nous qu'il appartient d'exciter sur cela leur vigilance; mais il était de notre devoir et du dessein de cette instruction d'y rassembler tous les traits qui montrent dans cet écrivain l'un des séducteurs prédits et dépeints par les apôtres, hommes superbes, amoureux d'eux-mêmes, instigateurs des voluptés criminelles, mordants et emportés dans leurs discours censeurs, méprisants de la domination, blasphèmateurs de la divine majesté.

« Voilà donc ce que c'est que cette édition promise avec tant d'emphase, un amas de sarcasmes, de maximes anarchiques, d'ordures, et d'impiétés.

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« Qu'on ne dise pas qu'on en peut retrancher tout ce qui peut déplaire à des lecteurs vertueux; ce retranchement est imaginaire, si l'édition elle-même n'est pas totalement supprimée. Voltaire n'a pas fait un seul ouvrage de considération dans lequel il n'ait outragé la religion ou directement, ou d'une manière oblique ou détournée. C'est ce que nous avons vérifié, lorsque engagés par les malheurs des temps dans la discussion d'une foule de livres impies, nous portâmes notre principale attention sur ceux de Voltaire. Qui ne connaît d'ailleurs un des stratagèmes de la moderne typographie? A la suite d'ouvrages tolérés, ou pour lesquels on a surpris, sous des prétextes spécieux, une approbation, on en imprime du même auteur, et dans le même format, pour lesquels on n'aurait osé demander de privileges, ni de permission, même tacite ; ils se répandent avec tous les autres, soit par un effet de cette curiosité qui s'attache aux livres furtivement distribués, soit pour ne pas diviser une édition qu'on peut se procurer tout entière. C'est ce qui arriverait infailliblement à celle qu'on nous annonce, quand même on promettrait de n'y pas insérer ce que Voltaire a composé de plus scandaleux et de plus choquant contre la religion et contre les mœurs.

« Défiez-vous, mes très chers frères, défendez-vous avec une inflexible fermeté, de l'amorce qu'on vous prépare; s'il vous faut des livres propres à inspirer, à entretenir l'amour des lettres, à former et à cultiver le goût, ils ne vous manqueront pas: vous en trouverez beaucoup d'autres qui rempliront ces vues, aussi bien et mieux que ceux de Voltaire. Voudriez-vous, pour un simple amusement d'esprit, compromettre votre

foi et vos mœurs? Voudriez-vous introduire dans vos familles des principes qui ne seraient bons qu'à bannir le respect du nœud conjugal, la piété des enfants envers leurs pères et leurs mères, la fidélité des domestiques? Voudriez-vous devenir complices des ravages affreux dont les progrès de l'irréligion menacent la société civile? Tout vous presse d'écouter notre voix: le bonheur que vous pouvez goûter dans cette vie n'y est pas moins intéressé que votre salut éternel.

« A ces causes, nous déclarons à tous nos diocésains qu'aucun d'eux ne peut, sans pécher mortellement, souscrire à l'édition des œuvres de Voltaire, les acheter, les lire, les retenir, les communiquer. Nous mettons ces œuvres au nombre des livres spécialement défendus dans notre diocèse, et dont la lecture emporte, par conséquent, les peines encourues en pareil cas. Nous exhortons les curés, les autres directeurs des ames, tous ceux qui ont quelque autorité, d'empêcher, par tous les moyens qui dépendent d'eux, la distribution, l'acquisition ou la lecture desdites œu

vres.

<< Sera notre présent mandement répandu dans tout notre diocèse, lu et publié aux prônes des messes paroissiales, dans les villes et principaux lieux de notre diocèse, etc.

« Donné à Vienne, le 31 mai 1781.

"

Signé † JEAN-GEORGES, archevêque de Vienne,»

Gazette de Leyde, ann. 1781, no 63 et 70, vol. G. 1214. B. 10 de la Bibliothèque du Roi.

ODE

AU ROI DE PRUSSE.

O muse! soutiens mon courage!
Retrace-moi cet heureux âge
Chéri de l'antique Memphis,
Où d'un sénat juste et terrible
Le tribunal incorruptible
Jugeait les rois ensevelis.

Renouvelons ces grands exemples:
Si la crainte érige des temples
Aux tyrans de l'humanité,
Périssent ces honneurs frivoles!
Traînons ces superbes idoles
Aux pieds de la Postérité.

Tyran des rives de la Sprée,
Toi dont la puissance abhorrée
Alarme aujourd'hui tant d'états,
Je te dénonce aux Euménides:
Sous leurs mains de vengeance avides,
Viens expier tes attentats.

⚫ Cette pièce a pour auteur Palissot, qui la composa en 1759, par l'ordre du duc de Choiseul.

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