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présentation solennelle du corps de son oncle, qu'on avait déposé; nous avons chanté les vêpres des morts; le corps a été gardé toute la nuit dans l'église, environné de flambeaux. Le matin, depuis cinq heures, tous les ecclésiastiques des environs, dont plusieurs sont amis de M. l'abbé Mignot, ayant été autrefois séminaristes à Troyes, ont dit la messe en présence du corps, et j'ai célébré une messe solennelle à onze heures, avant l'inhumation, qui a été faite devant une nombreuse assemblée. La famille de M. de Voltaire est repartie ce matin, contente des honneurs rendus à sa mémoire, et des prières que nous avons faites à Dieu pour le repos de son ame. Voilà les faits, monseigneur, dans la plus exacte vérité. Permettez, quoique nos maisons ne soient pas soumises à la juridiction de l'ordinaire, de justifier ma conduite aux yeux de votre grandeur: quels que soient les priviléges d'un ordre, ses membres doivent toujours se faire gloire de respecter l'épiscopat, et se font honneur de soumettre leurs démarches, ainsi que leurs mœurs, à l'examen de nosseigneurs les évêques; comment pouvais-je supposer qu'on refusait, ou qu'on pouvait refuser à M. de Voltaire, la sépulture qui m'était demandée par son neveu, notre abbé commendataire depuis vingt-trois ans, magistrat depuis trente ans, ecclésiastique qui a beaucoup vécu dans cette abbaye, et qui jouit d'une grande considération dans notre ordre; par un conseiller au parlement de Paris, petit-neveu du défunt; par des officiers d'un grade supérieur, tous parents et tous gens respectables? Sous quel prétexte aurais-je pu croire que M. le curé de Saint-Sulpice eût refusé la sépulture à M. de Voltaire, tandis que ce pasteur a légalisé de sa propre

main une profession de foi faite par le défunt, il n'y a que deux mois; tandis qu'il a écrit et signé de sa propre main un consentement que ce corps fût transporté sans cérémonie? Je ne sais ce qu'on impute à M. de Voltaire; je connais plus ses ouvrages par sa réputation qu'autrement; je ne les ai pas lus tous; j'ai ouï dire à monsieur son neveu, notre abbé, qu'on lui en imputait de très répréhensibles, qu'il a toujours désavoués: mais je sais, d'après les canons, qu'on ne refuse la sépulture qu'aux excommuniés, latâ sententiâ, et je crois être sûr que M. de Voltaire n'est pas dans ce cas. Je crois avoir fait mon devoir en l'inhumant, sur la réquisition d'une famille respectable, et je ne puis m'en repentir. J'espère, monseigneur, que cette action n'aura pas pour moi des suites fâcheuses; la plus fâcheuse, sans doute, serait de perdre votre estime; mais d'après l'explication que j'ai l'honneur de faire à votre grandeur, elle est trop juste pour me la refuser.

Je suis avec un profond respect,

LE PRIEUR DE SCELLIÈRES.

Lorsque le prospectus des OEuvres de Voltaire parut en 1781, plusieurs prélats se déchaînèrent contre lui. Ceux qui se signalèrent le plus furent M. de Machault, évêque d'Amiens, dans son mandement du 9 avril, et M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne, dans le sien du 31 mai. Ce dernier mandement est trop curieux pour ne le pas conserver.

« MES TRÈS CHERS FRÈRES,

« On annonce dans ce royaume une édition complète des OEuvres du sieur de Voltaire : les souscriptions sont ouvertes; et, pour en grossir le nombre, on fait retentir de toutes parts, après la mort de cet écrivain, les mêmes éloges de son génie et de ses écrits qui lui ont été prodigués pendant sa vie.

« S'il ne s'agissait ici que de l'intérêt des lettres, nous ne regarderions pas, mes chers frères, les préparatifs de cette entreprise comme un objet de notre sollicitude pastorale: nous demeurerions tranquilles spectateurs de l'empressement de quelques uns de vous à y prendre part, et de l'indifférence des autres: nous renverrions au tribunal du public (dont les jugements peuvent flatter quelque temps, mais deviennent tôt ou tard des arrêts irrévocables) le soin de fixer le rang de Voltaire dans la classe des écrivains.

« Mais un intérêt plus sacré, celui des mœurs et de la religion, nous force à élever la voix : cet intérêt, mes frères, a les mêmes droits sur vos cœurs; il n'est point d'ouvrages littéraires dont vous ne deviez lui sacrifier la recherche et la lecture, fussent-ils supérieurs à tout ce qui a paru admirable en ce genre. Apprenez donc ce que vous avez à craindre du recueil dont on propose la souscription; et, si plusieurs d'entre vous n'en connaissent l'auteur que par la réputation de ses talents, qu'ils considèrent avec nous le funeste abus qu'il en a fait.

« Quel a été le caractère distinctif de Voltaire? Poète, orateur, historien, philosophe, ou, pour parler plus

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juste, écrivant sur des matières philosophiques, il a partagé ces divers attributs avec des auteurs, ses devanciers ou ses contemporains; il n'est ni le seul, ni le premier qui ait entrepris de les réunir. Laissons dire à ses admirateurs qu'il a excellé en tout, et au-dessus de tous. Si cela était vrai, le rôle unique qu'il a joué sur le théâtre de la littérature n'en serait que plus déplorable, car on ne connaît que lui parmi les écrivains qui, dans cette carrière où il est entré de si bonne heure, et dans le cours d'une des plus longues vies, n'ait cessé d'insulter à la religion. Il a été poète, pour chanter sur tous les tons de la poésie les leçons de l'impiété; orateur, pour déclamer contre l'autel et contre ses ministres; historien, pour altérer les faits au préjudice de la révélation, de l'Église, et des saints; philosophe, ou jaloux de le paraître, pour obscurcir les vérités les plus précieuses des nuages du scepticisme. C'est ainsi qu'il est devenu dans notre siècle le coryphée des incrédules, le patriarche de l'irréligion; il a dû à ce titre, plus encore qu'à ses talents littéraires, le bruit qu'il a fait dans le monde, les honneurs ontrés et inouïs que l'enthousiasme de ses partisans lui a dé

cernés.

« Ce n'est pas qu'il n'y ait eu de nos jours, et malheureusement en trop grand nombre, d'autres écrivains qui aient attaqué la religion, quelques uns même avec plus de profondeur et de méthode que lui, et qui dès-lors, auraient dû être plus dangereux, si c'était par le raisonnement et par l'examen que l'incrédulité acquît beaucoup plus de prosélytes; mais Voltaire connaissait assez la cause à laquelle il s'était dévoué, pour sentir qu'il lui fallait d'autres armes que celles

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d'une controverse sérieuse; il connaissait assez les hommes, pour leur présenter des pièges plus attirants; il suivait d'ailleurs son génie, ses connaissances, ses goûts: né avec d'heureuses dispositions pour la poésie, il en a fait l'assaisonnement du poison qu'il voulait répandre; naturellement moqueur et satirique, il s'est servi du ridicule et de la plaisanterie, pour aiguiser ses traits contre la religion; il n'a pas négligé le charlatanisme d'une érudition contrefaite: sa philosophie a en cela de commode pour les esprits superficiels et frivoles que, les promenant sans ordre et sans suite, d'objets en objets, de questions en questions, effleurant tout avec eux, et ne discutant rien, les invitant à parler comme lui un langage dédaigneux et tranchant, elle leur persuadait que, pour devenir euxmêmes philosophes, ils n'avaient qu'à le croire sur sa parole.

« Un seul ouvrage, ou des ouvrages d'une même espece, n'auraient pas satisfait sa haine contre le christianisme, ni le desir dont il brûlait de se signaler en le combattant; il a épuisé dans cette vue tous les genres de littérature et en prose et en vers. Qui pourrait compter les productions de cette plume licencieuse que les glaces de la vieillesse n'ont pu lui faire tomber des mains? il est vrai que ces innombrables écrits, quelque titre qu'il leur donnât, de quelque forme qu'il les revétît, n'avaient jamais été, pour le fond des choses, qu'un tissu de répétitions. Dans le déclin de son âge, il y distillait encore le même venin; mais son génie, usé, affaibli, n'y versait plus les mêmes agréments: n'importe, son nom était leur passe-port; à la faveur de ce nom fameux, et de la matière qu'ils traitaient, chers à

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