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terai de vos bontés. Mais j'aime encore mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches; et, quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n'y trouver que le lotos, qui n'est que la pâture des bêtes, ou le moli, qui empêche les hommes de le devenir. Je suis de tout mon cœur, avec respect, etc.

J.-J. ROUSSEAU, citoyen de Genève.

LETTRE

DE M. L'ABBÉ AUBERT

A M. DE VOLTAIRE,

EN LUI ENVOYANT LE RECUEIL DE SES FABLES.

A Paris, le 10 janvier 1758.

O toi dont les sublimes chants

Imitent les sons fiers des clairons, des trompettes,
Daigne écouter mes chansonnettes,

Daigne favoriser mes timides accents!
Des cœurs ambitieux admirable interprète,
Ta muse fait parler les princes, les héros;
La mienne fait jaser le serin, la fauvette;
Par l'organe de l'âne, elle enseigne les sots.

Si quelquefois, dans d'heureuses images,
J'ai peint avec succès le vice ou la vertu,
Voltaire, c'est à toi que l'hommage en est dû :
J'ai relu cent fois tes ouvrages.

J'ai toujours pensé, monsieur, que le premier devoir d'un homme qui voulait se faire un nom, dans

quelque genre de poésie que ce fût, était de se former sur vos ouvrages; et le second, de vous offrir ses essais. Je m'acquitte de ce dernier en comptant beaucoup sur votre indulgence et sur vos avis. Jusqu'à présent les personnes que j'ai consultées m'ont toutes donné des conseils si opposés que je ne sais quel parti prendre. L'un me reproche d'imiter trop La Fontaine, et l'autre de ne pas l'imiter assez; celui-ci se plaint que mes morales sont trop longues, celui-là qu'elles sont trop courtes, un troisième voudrait m'obliger à les supprimer toutes; alléguant pour raison, malgré l'exemple de tous les fabulistes, que le but d'une fable doit se faire sentir assez de soi-même, pour se passer de cette espèce de commentaire que l'on appelle morale. Il y en a qui voudraient que mes fables fussent toutes aussi simples que celle de la Cigale et la Fourmi, comme si un fabuliste était condamné à n'être lu que par des enfants.

Cette variété d'opinions sur mon recueil m'a mis souvent dans le cas de m'appliquer la fable du Meunier, son Fils, et l'Ane.

Parbleu! dit le meunier, est bien fou du cerveau

Qui prétend contenter tout le monde et son père.

Vous voyez, monsieur, combien j'ai besoin d'être fixé par des avis sûrs, et dont on ne puisse appeler. Je me déciderai, monsieur, d'après les vôtres, si je vaux la peine que l'auteur de la Henriade sacrifie quelques moments à la lecture d'une cinquantaine de fables, et qu'il daigne m'écrire ce qu'il en pense. J'attends, monsieur, cette faveur de votre attention à encourager les talents naissants; et je me ferai en tout temps l'hon

neur de prendre des leçons du plus beau génie de la

France. Je suis, etc.

ÉPITRE DU MÊME '.

Ma muse n'est pas assez vaine
Pour espérer, par ses essais,
Égaler les brillants succès
De l'ingénieux La Fontaine.
Elle connaît tout le danger
Du goût décidé qui l'entraîne;
Mais tu daignas l'encourager;
Et si son vol est téméraire,
Dès qu'elle t'a déjà su plaire,
Que risque-t-elle à s'y livrer?
Depuis qu'au pays de la feinte
Un vif penchant me fait errer,
Sans cesse une importune crainte
Devant moi venait se montrer.
Aujourd'hui la douce espérance
Y guide, y ranime mes pas;
Je cède au séduisant appas
D'une trop flatteuse indulgence.
Eh! comment ne s'enivrer pas
D'un encens que ta main dispense?
Je n'ai pas les charmants pinceaux
De l'ami de La Sablière;

Mais sur l'homme et sur ses défauts

Je puis dans de riants tableaux

A l'occasion de la lettre de M. de Voltaire à l'auteur des Fables,

lu 22 mars 1758, tome V de la Corresp. génér., page 379.

Répandre à mon tour la lumière,
Et du sceptre jusqu'au rabot
Prouver à l'homme qu'il est sot.
Tous les animaux, dans mes fables,
Lions, fourmis, aigles, moineaux,
Peuvent, par quelques traits nouveaux,
Trahir l'orgueil de mes semblables.
Ta voix a chanté des héros;

Mais qu'il soit d'Athène ou de Rome,
De Pétersbourg ou de Paris,
Tes philosophiques écrits

Font voir que tout héros est homme,
Écoutons ce rustre hébété

Que fait raisonner La Fontaine :
Il voudrait, plein de vanité,
Que celui qui créa le chêne
Dans ses œuvres l'eût consulté.
L'homme est plus ou moins entêté
De quelque orgueilleuse faiblesse.
L'apologue fut inventé

Pour corriger avec adresse

Des grands l'insolente fierté,

Des flatteurs l'indigne bassesse,
Des petits l'indocilité.

Heureux si, plein d'un zèle extrême,
Sur les ridicules d'autrui,

Un auteur corrigeait lui-même

Les défauts qu'on remarque en lui!
Mais, quoi que l'on en puisse dire,
Fier d'un si glorieux accueil,
On verra croître mon orgueil,
Si mes fables te font sourire.

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OBSERVATIONS

DE M. DE CHAUVELIN, L'AMBASSADEUR,

SUR UNE LETTRE DE M. DE VOLTAIRE AU ROI DE PRUSSE, ÉCRITE PAR ORDRE DU MINISTÈRE, 1759.

La lettre est très bien, le fond et le ton en sont à merveille; je n'y ferai que deux observations,

1o Je ne sais si je lui présenterais aussi décisivement l'idée de restitution; je crois qu'elle lui sera toujours amère, et je ne sais si elle ne blesserait pas sa gloire autant que son intérêt. Peut-être faudrait-il adoucir ce passage.

2° Je crois qu'il conviendrait de lui expliquer davantage le fond d'un système de pacification fondé sur les idées propres à lui, qu'il développe dans sa dernière lettre. En conséquence je lui dirais, ce me semble:

Vous ne voulez pas faire la paix sans les Anglais, vous avez raison, votre honneur y est intéressé; mais pourquoi ne feriez-vous pas faire la paix aux Anglais en même temps qu'à vous? n'avez-vous pas acquis assez de droits sur leur estime, assez d'ascendant sur eux pour qu'ils sacrifient quelques uns de leurs avantages à l'honneur de vous assurer les vôtres? Alors les Français, en compensation d'un tel bienfait, ne seront-ils pas excités et autorisés à déterminer leurs alliés à des

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