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d'ingratitude et d'arrogance la bonté et l'honnêteté dont vous avez usé envers lui au sujet des Fêtes de Ramire'. Je n'ai point oublié la lettre dont vous m'honorâtes dans cette occasion; elle a achevé de me convaincre que, malgré de vaines calomnies, vous êtes véritablement le protecteur des talents naissants qui en ont besoin. C'est en faveur de ceux dont je fesais l'essai que vous daignâtes me promettre de l'amitié. Leur sort fut malheureux, et j'aurais dû m'y attendre. Un solitaire qui ne sait point parler, un homme timide, découragé, n'osa se présenter à vous. Quel eût été mon titre? Ce ne fut point le zèle qui me manqua, mais l'orgueil; et n'osant m'offrir à vos yeux, j'attendis du temps quelque occasion favorable pour vous témoigner mon respect et ma reconnaissance.

Depuis ce jour j'ai renoncé aux lettres et à la fantaisie d'acquérir de la réputation; et désespérant d'y arriver comme vous, à force de génie, j'ai dédaigné de tenter, comme les hommes vulgaires, d'y parvenir à force de manège; mais je ne renoncerai jamais à mon admiration pour vos ouvrages. Vous avez peint l'amitié et toutes les vertus en homme qui les connaît et les aime. J'ai entendu murmurer l'envie, j'ai méprisé ses clameurs, et j'ai dit, sans crainte de me tromper, Ces écrits, qui m'élèvent l'ame et m'enflamment le courage, ne sont point les productions d'un homme indifférent pour la vertu.

Vous n'avez pas non plus bien jugé d'un républicain, puisque j'étais connu de vous pour tel. J'adore la liberté; je déteste également la domination et la servitude, et ne en impose arsonne. De tels

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La Princesse de

sentiments sympathisent mal avec l'insolence; elle est plus propre à des esclaves, ou à des hommes plus vils encore, à de petits auteurs jaloux des grands.

Je vous proteste donc, monsieur, que non seulement Rousseau de Genève n'a point tenu les discours que vous lui avez attribués, mais qu'il est incapable d'en tenir de pareils. Je ne me flatte pas de mériter l'honneur d'être connu de vous; mais, si jamais ce bonheur m'arrive, ce ne sera, j'espère, que par des endroits dignes de votre estime.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, monsieur, votre très humble, etc.

J.-J. ROUSSEAU, citoyen de Genève.

LETTRE

DE M. LE MARQUIS D'ADHÉMAR

A M. DE VOLTAIRE.

A Paris, le 25 novembre 1750.

J'avais été instruit dans le temps, monsieur, de l'ingratitude et de l'insolence du petit d'Arnaud envers vous, et j'en avais marqué mon indignation. Je priai même M. d'Argental de remonter à l'origine de la Lettre à Fréron, et d'en prendre copie. Cette lettre était lue de tout le monde, et se débitait d'une manière si désavantageuse, que je voulus voir la préface dont on se plaignait, et qu'on accusait d'être tronquée. Elle me parut aussi simple que je pouvais le desirer, et je

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n'y trouvai à redire que le nom de l'auteur et son style. Enfin, monsieur, je ne doute point que le grand roi que vous servez ne vous rende promptement justice. On est heureux d'avoir à défendre la vérité devant le monarque qui l'éclaire et qui la protège.

Cependant, malgré cette assurance, je vous exhorte encore, monsieur, au plus grand courage. Les grandes réputations et la parfaite tranquillité ne vont guère de compagnie.

Mais pour revenir à notre petit homme, on me dit dans le moment qu'il vient d'écrire une nouvelle lettre à Fréron, où il assure que tout est raccommodé. Au nom de Dieu, monsieur, en soutenant les vrais talents, gardez-vous de ces lourds frelons; ils ne se souviennent de ce qu'ils vous doivent que pour en punir leur bienfaiteur. Je me rappelle, à ce propos, qu'une personne' me disait un jour qu'étant placé à l'amphithéâtre auprès de l'abbé Desfontaines et de d'Arnaud, il entendit le premier reprocher à l'autre quelque attachement pour vous. Mais, monsieur, répondit d'Arnaud, vous ne faites pas attention qu'il m'oblige, et que je lui dois de la reconnaissance. Eh bien! reprit l'abbé, on peut prendre de lui lorsqu'on a des besoins, mais il faut en dire du mal.

Vous voyez que l'homme s'est souvenu de la morale, et qu'il n'a pas tardé de la mettre en pratique.

Adieu, monsieur; méprisez cette vile engeance, et tâchez de vous armer de philosophie sur les évènements. La vérité triomphe toujours à la longue, et l'envie se trouve abattue sous le poids des grandes répu

tations.

M. Dutertre.

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LETTRE

DU SIEUR GUYOT DE MERVILLE!

A M. DE VOLTAIRE.

A Lyon, le 15 avril 1755.

Vous ne pouvez pas ignorer, monsieur, que je suis établi à Genève depuis deux ans. Dans l'espèce de nécessité où les mauvais procédés des comédiens francais de Paris m'ont mis de fuir leur présence, il n'y a avait point de retraite qui convînt mieux au penchant naturel que j'ai pour le repos et pour la liberté. Je suis d'autant plus content de mon choix, que d'autres raisons vous ont déterminé pour le même asile. Mais ce n'est pas assez que nos goûts s'accordent, il faut encore que nos sentiments se concilient. Quel désagrément pour l'un et pour l'autre si, habitant les mêmes lieux et fréquentant les mêmes maisons, nous ne pouvions ni nous voir ni nous parler qu'avec contrainte, et peut-être avec aigreur! Je sais que je vous ai offensé; mais je ne l'ai fait par aucune de ces passions qui déshonorent autant l'humanité que la littérature.

Mon attachement à Rousseau, ma complaisance pour l'abbé Desfontaines, sont les seules causes du mal que j'ai voulu vous faire, et que je ne vous ai point fait. Leur mort vous a vengé de leurs inspirations, et le

Voyez la réponse de M. de Voltaire dans le tome quatrièmne de la Correspondance générale, page 468.

peu de fruit des sacrifices que je leur ai faits m'a consolé de leur mort.

Mille gens pourraient vous dire, monsieur, que je vous estime plus que vos partisans les plus zélés, parceque je vous estime moins légèrement et moins aveuglément qu'eux. La preuve en est incontestable. Dauberval, comédien à Lyon, dont vous avez goûté les talents, et dont vous adoreriez le caractère si vous le connaissiez comme moi, peut vous certifier que je le chargeai, trois jours avant votre départ subit et imprévu, des vers que je vous envoie. Je profitais du passage que vous fesiez en cette ville, où je n'étais aussi qu'en passant. Ces vers sont encore plus de saison que jamais, puisque je serai à Genève le 22 de ce mois, et que nous y voilà fixés tous les deux. Je n'ai rien à y ajouter que les offres suivantes.

J'ai fait, en quatre volumes manuscrits, la critique de vos ouvrages. Je vous la remettrai. Il y a à la tête de ma première comédie une lettre dont Rousset m'écrivit autrefois que vous aviez été choqué; je la supprimerai dans l'édition que je prépare de mes œuvres. L'abbé Desfontaines a fait imprimer deux pièces de vers qu'il m'avait suggérées contre vous; je les supprimerai aussi. C'est à ce prix que je veux mériter votre amitié.

Je ferai plus. Mes œuvres diverses en deux volumes sont dédiées à un gentilhomme du pays de Vaud, qui brûle de vous voir, et que vous serez bien aise de connaître. Pour convaincre le public de la sincérité de mes intentions et de ma conduite à votre égard, je suis prêt, si vous le permettez, à vous dédier mon théâtre en quatre volumes. Je ne crois pas que vous puissiez rien exiger de plus.

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