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Le premier magistrat et le premier pasteur évangélique de Lausanne ayant établi une imprimerie dans cette ville, on y fit, sous le nom de Londres, une édition appelée complète. Les éditeurs y ont inséré plus de cent petites pièces en prose et en vers qui ne peuvent être ni de lui, ni d'un homme de goût, ni d'un homme du monde, telles que celle-ci, qui se trouve dans les opuscules de l'abbé de Grécourt:

Belle maman, soyez l'arbitre
Si la fièvre n'est pas un titré
Suffisant pour me disculper.
Je suis au lit comme un belître,
Et c'est à force de lamper;
Mais j'espère d'en réchapper,

Puisqu'en recevant cette épître

L'Amour me dresse mon pupître.

Telle est une apothéose de mademoiselle Lecouvreur, faite par un précepteur nommé Bonneval:

Quel contraste frappe mes yeux!
Melpomene ici désolée

Élève avec l'aveu des dieux

Un magnifique mausolée.

Telle est cette pièce misérable :

Adieu, ma pauvre tabatière,

Adieu, doux fruit de mes écus.

Telle est cette autre intitulée le Loup moraliste. Telle est je ne sais quelle ode, qui semble être d'un cocher de Vertamon, devenu capucin, intitulée Le vrai Dieu.

Ces bêtises étaient soigneusement recueillies dans

l'édition compléte, d'après les livres nouveaux de madame Oudot, les Almanachs des Muses, le Portefeuille retrouvé, et les autres ouvrages de génie qui bordent à Paris le Pont-Neuf et le quai des Théatins. Elles se trouvent en très grand nombre dans le vingt-troisième tome de cette édition de Lausanne. Tout ce fatras est fait pour les halles. Les éditeurs ont eu encore la bonté d'imprimer à la tête de ces platitudes dégoûtantes, le tout revu et corrigé par l'auteur même, qui assurément n'en avait rien vu. Ce n'est pas ainsi que Robert Estienne imprimait. L'antique disette de livres était bien préférable à cette multitude accablante d'écrits qui inondent aujourd'hui Paris et Londres, et aux sonnets qui pleuvent dans l'Italie.

Quand on falsifia quelques unes de ses lettres qu'on imprima en Hollande, sous le titre de Lettres secrètes, il parodia cette ancienne épigramme:

Voici donc mes lettres secrètes,

Si secrètes que pour lecteur
Elles n'ont que leur imprimeur,

Et ces messieurs qui les ont faites.

Nous voulons bien ne pas dire quel est le galant homme qui fit imprimer en 1766, à Amsterdam, sous le titre de Genève, les lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse, avec des notes historiques et critiques. Cet éditeur compte parmi ces amis du Parnasse la reine de Suède, l'électeur Palatin, le roi de Pologne, le roi de Prusse. Voilà de bons amis intimes et un beau Parnasse. L'éditeur, non content de cette extréme impertinence, y ajouta, pour vendre son livre, la friponnerie dont la Beaumelle avait donné le premier exem

ple. Il falsifia quelques lettres qui avaient en effet couru, et entre autres une lettre sur les langues française et italienne, écrite en 1761 à M. Tovazzi Deodati, dans laquelle ce faussaire déchire, avec la plus plate grossièreté, les plus grands seigneurs de France. Heureusement il prêtait son style à l'auteur sous le nom duquel il écrivait pour le perdre. Il fait dire à M. de Voltaire que les dames de Versailles sont d'agréables commères, et que J.-J. Rousseau est leur toutou. C'est ainsi qu'en France nous avons eu de puissants génies à deux sous la feuille, qui ont fait les lettres de Ninon, de Maintenon, du cardinal Alberoni, de la reine Christine, de Mandrin, etc. Le plus naturel de ces beaux esprits 1 était celui qui disait, « Je m'occupe à présent « à faire des pensées de La Rochefoucauld. »

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I

Capron, dentiste très connu dans son temps.

FIN DU COMMENTAIRE HISTORIQUE.

CHOIX

DE PIÈCES JUSTIFICATIVES

POUR

LA VIE DE VOLTAIRE.

DES ÉDITEURS DE L'ÉDITION DE KEHL.

Nous avons joint ici quelques lettres qui peuvent servir à faire mieux connaître M. de Voltaire et ses ennemis.

Un hommage rendu par un prince du sang à un jeune homme que son état éloignait de lui, et que la gloire n'en rapprochait pas encore, nous a paru mériter d'être con

servé.

La note qui a été remise par le célèbre Le Kain doit intéresser les gens de lettres; le grand acteur y peint naivement l'enthousiasme de Voltaire pour l'art dramatique, et pour le talent du théâtre; et on y voit en même temps comment, malgré cet enthousiasme et l'intérêt d'avoir des acteurs dignes de ses ouvrages, il cherchait à détourner ce jeune homme d'un état trop avili par le préjugé, et joignait noblement à ses conseils les moyens d'en embrasser un autre. Ce trait est un de ceux qui prouvent le mieux que la bonté était le sentiment dominant de l'ame de Voltaire.

C'est ainsi qu'avec plus de désintéressement encore, il engagea, en 1765, mademoiselle Clairon à quitter le théâtre, quoique le talent de cette sublime actrice fût alors dans toute sa force, et devînt de jour en jour plus nécessaire au poète, dont le génie dramatique commençait à s'affaiblir par l'âge et les travaux.

Ses conseils à MM. d'Alembert et Diderot, persécutés pour l'Encyclopédie, et plusieurs traits de ce genre, prouveraient encore que l'amour de la justice l'emportait dans son esprit sur toute autre considération.

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