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en vers sublimes les merveilles révélées à Newton, le principe universel qui meut et attire les corps, grande révolution des mondes dans la carrière de l'espace et de la durée. Il étalait sous des pinceaux avant lui inconnus aux muses l'éclatant tissu de la robe du soleil et les rayons de sa lumière 1; et cette poésie était

de Copernic et l'attraction de Newton, détaillés en très beaux vers, et avec des expressions exactes, en même temps que magnifiques : Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,

Qui n'ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,

Luit cet astre du jour par Dieu même allumé,
Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé.
De lui partent sans fin des torrents de lumière;
Il donne en se montrant la vie à la matière,
Et dispense les jours, les saisons, et les ans,
A des mondes divers autour de lui flottants.
Ces astres asservis à la loi qui les presse,

S'attirent dans leur course, et s'évitent sans cesse,
Et, servant l'un à l'autre et de règle et d'appui,

Se prêtent les clartés qu'ils reçoivent de lui.

Par-delà tous les cieux, le Dieu des cieux réside, etc.

C'est là sans doute mêler le sublime de la poésie aux principes de la plus saine physique; et qui a eu ce mérite avant Voltaire? Ce mérite se trouve à un degré encore plus étonnant dans le discours en vers adressé à madame du Châtelet, à la tête des Éléments de Newton. Il n'y a point de morceau pareil dans aucune langue connue.

Voyez dans la dédicace des Éléments de Newton, citée ci-dessus, ces vers admirables:

Il découvre à mes yeux, par une main savante,
De l'astre des saisons la robe étincelante :
L'émeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
Porte en soi les couleurs dont se peint la nature;
Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le monde, ils remplissent les cieux.

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sans modèle, comme les découvertes de Newton étaient sans exemple.

Avec des beautés si neuves et si frappantes, avec l'intérêt attaché au nom du héros, avec un style toujours élégant et harmonieux, tour-à-tour plein de force ou de charme, faut-il s'étonner que la Henriade, quoique destituée de l'ancienne mythologie, ait triomphé de toutes les attaques, se soit encore affermie par le temps dans l'opinion des connaisseurs, et soit devenue un ouvrage national? L'honneur d'avoir fait le seul poème épique dont notre langue se glorifie n'est peutêtre pas encore la récompense la plus flatteuse que l'auteur ait obtenue. Il eut le plaisir de voir que son ouvrage avait ajouté quelque chose à cet amour si vrai que les Français gardent à la mémoire du meilleur de leurs rois. On s'est accoutumé à joindre ensemble les noms du poète et du héros. Quel honorable assemblage! et n'est-ce pas une immortalité bien douce que celle qu'on partage avec Henri IV?

Mais s'il était difficile d'atteindre le premier parmi nous jusqu'à l'épopée, il l'était peut-être encore plus de trouver une place parmi les deux fondateurs et les deux maîtres de la scène française qui semblaient n'y pouvoir plus admettre que des disciples, et non pas des concurrents. L'opinion, aussi empressée à resserrer les limites des arts que le génie est ardent à les reculer, si prompte à donner des rivaux aux grands hommes vivants, mais, dès qu'ils ne sont plus, si lente i leur reconnaître des successeurs; l'opinion, qui s'asved comme un épouvantail à l'entrée du champ où le alent va s'élancer, oppose à ses premiers pas une bar

rière qui lui coûte souvent plus à renverser que la carrière ne lui coûte ensuite à parcourir. Rien n'était plus à respecter que l'admiration qui consacrait les noms de Corneille et de Racine; mais rien n'était plus à craindre que le préjugé, qui renfermait dans la sphère de leurs travaux l'étendue de l'art dramatique. Quelque difficulté qu'il y ait à revenir sur un sujet presque épuisé, la gloire du grand homme que je célèbre m'oblige de jeter un coup d'œil sur ceux qui l'ont précédé. Comment pourrai-je retracer ce qu'a fait Voltaire, sans rappeler ce qui a été fait avant lui? Comment mesurer ses pas dans la lice, sans y rechercher les traces de ses prédécesseurs?

Écartons d'abord ces préventions générales, si vaguement conçues et si légèrement adoptées; ces idées si exagérées de l'influence des mœurs et du siècle sur les fruits du génie, qui lui-même en eut toujours une bien plus marquée sur ce qui l'environnait, et qui est plus fait pour donner la loi que pour la recevoir. Je conçois sans peine que la lecture d'un écrivain tel que Corneille, la représentation de ses tragédies, ait accoutumé la classe la plus choisie de ses concitoyens à penser et à parler avec noblesse; que Racine leur ait appris à mettre plus de délicatesse et de pureté dans leurs sentiments et dans leurs expressions; mais je ne crois point que les troubles de la fronde aient fait naître la tragédie de Cinna1; que les chansons contre Mazarin

Il serait inutile de dissimuler que ces idées, qui me paraissent dénuées de fondement, ont été renouvelées dans le discours de M Ducis, d'ailleurs rempli de beautés supérieures. En lui rendant toute la justice qu'il mérite, et que je lui ai déjà rendue ailleurs, je

asent éveillé le talent qui a produit les Horaces, ni qu'il y eut rien de commun entre les harangues du coadjujeur et les scènes de Sévère et de Pauline.

Je ne crois pas davantage que la cour de Louis XIV at mis dans la main de Racine le pinceau qui a tracé la cour de Néron; que les faiblesses d'un grand roi, les intrigues de ses maitresses et de ses favoris, l'esprit de ses courtisans, aient inspiré la muse qui a peint les égarements de Phédre, les fureurs d'Hermione, et la vertu

eros pouvoir observer, pour l'intérêt de la vérité, que les définitions qad trace du talent tragique de Corneille, de Racine, de Crébillon, sont plus subtiles que réfléchies, et plus brillantes que solides. « Cor• meille, dit-il, fit la tragédie de sa nation... Racine fit la tragédie de la cour de Louis XIV; Crébillon fit la tragédie de son caractère et • de son génie. » Ces résultats peuvent paraitre éblouissants; mais Best-ce pas plutôt une recherche d'antithèses qu'un jugement sain et motive? Quel rapport y a-t-il entre la nation française, même du temps de Corneille, et le génie de cet écrivain? et comment l'un aurand déterminé le caractère de l'autre? N'a-t-on pas dit avec beaumap de justesse qu'il semblait que Corneille fût né Romain, et qu'il ent errit a Rome? et dans quel temps les Français ont-ils ressemblé aux Lomains" Quoi! c'est aux inconséquences, aux folies, aux ridicules de la fronde, que nous serions redevables de Cinna et des Horaces! Troverait-on le rapport le plus éloigné entre le caractère de ces erpositions måles et sublimes, et l'esprit léger et follement facteux des Français de ce temps-là? Comment cette fermentation passerre, cette épidémie politique, qui ne dura qu'un moment, et qui fut remplacée aussitôt par l'idolâtrie prodiguée à Louis XIV, auras-elle decidé le genre de tragédie qu'a choisi Corneille, Corneille qu, pendant long-temps ne fit qu'imiter les Espagnols, et qui, depus Cinna jusqu'à Agésilas, eut constamment la même trempe de grar, la même tournure d'idées et de style, à des époques très differentes? Est-il plus vraisemblable que Racine n'ait écrit que pour la er de Louis XIV, Racine, nourri de la lecture des anciens, idolære des Grecs, évidemment formé par eux, épris d'Euripide et de phocle, comme Corneille l'était de Lucain et de Sénéque; entrainé

de Burrhus; et si le faible sujet de Bérénice fut traité pour plaire à une princesse aimable et malheureuse, souvenons-nous que le sévère Corneille eut la même condescendance, bien plus dangereuse pour lui que pour son jeune et fortuné rival.

Revenons donc à la vérité, et ne voyons surtout dans les ouvrages des grands écrivains que la trempe de leur caractère, qui toujours détermina plus ou moins celle de leur génie. Avec une ame élevée et une

par la pureté de son goût vers les peintres de la nature, comme Corneille l'était par son caractère vers tout ce qui était grand, ou ressemblait à la grandeur? Comment d'ailleurs se permet-on de rétrécir à ce point la sphère d'un esprit tel que celui de Racine? Quoi! Andromaque, Phèdre, Iphigénie, Athalie, ces chefs-d'œuvre faits pour toutes les nations éclairées ne seraient que les tragédies de la cour de Louis XIV! Et pourquoi n'accorderait-on pas à Racine ce qu'on donne à Crébillon? Celui-ci, dit-on, fit la tragédie de son caractère et de son génie. Je n'examine point si cette manière de parler est bien exacte; j'entends ce que l'auteur a voulu dire, et cela me suffit. Oui sans doute Crébillon a puisé ses ouvrages dans son génie, et leur a donné la teinte de son caractère; et en cela il a fait comme Racine et Corneille; et Voltaire a fait comme tous les trois. Voilà la vérité, et M. Ducis l'a reconnue lui-même, lorsqu'il rappelle, dans un autre endroit de son discours, ce principe généralement admis par tous ceux qui ont réfléchi sur les arts; que « le caractère particulier que « leur imprime un grand homine dépend toujours de l'empreinte ori« ginale et primitive qu'il a reçue des mains de la nature. »

Au reste, je le répète; forcé de combattre en ce point un de mes confrères dont j'honore le plus les talents, si je le contredis sur des idées essentielles au sujet que je traite, je ne puis m'en consoler qu'en le remerciant encore de l'extrême plaisir que m'a fait son discours, qui m'aurait fait tomber la plume des mains, si cet ouvrage n'avait été, pour ainsi dire, voué d'avance à la mémoire d'un grand homme, à qui même je fais de cette manière un sacrifice de plus, celui de mon amour-propre.

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