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« la campagne : les seigneurs des grandes terres en

. entendent bien parler quelquefois; mais leurs cœurs

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« endurcis n'envisagent dans ce malheur que la dimi

nution de leurs revenus. Ceux qui arrivent des

pro

‹ vinces, touchés de ce qu'ils ont vu, l'oublient bientôt - par l'abondance des délices de la capitale. Il nous faut des ames fermes et des cœurs tendres pour persévérer « dans une pitié dont l'objet est absent. »

Ce ministre citoyen avait toujours eu dès son enfance une tendre amitié pour M. de Voltaire. J'ai vu une très grande quantité de lettres de l'un et de l'autre; il en résulte que le secrétaire d'état employa l'homme de lettres dans plusieurs affaires considérables, pendant les années 1745, 1746, et 1747. C'est probablement la raison pour laquelle nous n'avons aucune pièce de théâtre de notre auteur pendant le cours de ces années.

Nous voyons, par ses papiers, que l'entreprise d'une descente en Angleterre en 1746 lui fut confiée. Le duc de Richelieu devait commander l'armée. Le prétendant avait déjà gagné deux batailles, et on attendait une révolution. M. de Voltaire fut chargé de faire le manifeste. Le voici tel que nous l'avons trouvé minuté de sa inain.

Manifeste du roi de France en faveur du prince
Charles Édouard.

« Le sérénissime prince Charles Édouard ayant débarqué dans la Grande-Bretagne sans autre secours ayant ac

" que son courage, et toutes ses actions lui

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quis l'admiration de l'Europe et les cœurs de tous « les véritables Anglais, le roi de France a pensé comme « eux. Il a cru de son devoir de secourir à-la-fois un

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prince si digne du trône de ses ancêtres, et une na« tion généreuse dont la plus saine partie rappelle en« fin le prince Charles Stuart dans sa patrie. Il n'en« voie le duc de Richelieu à la tête de ses troupes que « parceque les Anglais les mieux intentionnés ont de« mandé cet appui; et il ne donne précisément que le « nombre de troupes qu'on lui demande, prêt à les re« tirer dès que la nation exigera leur éloignement. Sa majesté, en donnant un secours si juste à son pa<< rent, au fils de tant de rois, à un prince si digne de régner, ne fait cette démarche auprès de la nation « anglaise que dans le dessein et dans l'assurance de pacifier par là l'Angleterre et l'Europe; pleinement « convaincu que le sérénissime prince Édouard met « sa confiance dans leurs bonnes volontés, et qu'il regarde leurs libertés, le maintien de leurs lois, et « leur bonheur comme le but de toutes ses entreprises; << et qu'enfin les plus grands rois d'Angleterre sont «< ceux qui, élevés comme lui dans l'adversité, ont « mérité l'amour de la nation.

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« C'est dans ces sentiments que le roi secourt leur prince, qui est venu se jeter entre leurs bras; le <«< fils de celui qui naquit l'héritier légitime des trois << royaumes; le guerrier qui, malgré sa valeur, n'attend « que d'eux et de leurs lois la confirmation de ses « droits les plus sacrés ; qui ne peut jamais avoir d'in« térêts que les leurs, et dont les vertus enfin ont at« tendri les amés les plus prévenues contre sa cause.

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« Il espère qu'une telle occasion réunira deux na<tions qui doivent réciproquement s'estimer, qui sont « liées naturellement par les besoins mutuels de leur commerce, et qui doivent l'être ici par les intérêts « d'un prince qui mérite les vœux de toutes les na<tions.

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« Le duc de Richelieu, commandant les troupes de sa majesté le roi de France, adresse cette déclara* tion à tous les fidèles citoyens des trois royaumes de la Grande-Bretagne, les assure de la protection con«stante du roi son maître. Il vient se joindre à l'héri<tier de leurs anciens rois, et répandre, comme lui, son sang pour leur service. »

On voit, par les expressions de cette pièce, quelle fut dans tous les temps l'estime et l'inclination de l'auteur pour la nation anglaise; et il a toujours persisté dans ces sentiments.

Ce fut l'infortuné comte de Lally qui avait fait le projet et le plan de cette descente, laquelle ne fut point effectuée. Il était né Irlandais, et il haïssait les Anglais autant que notre auteur les aimait et les estimait. Cette haine était même chez Lally une passion violente, à ce que nous a dit plusieurs fois M. de Voltaire: nous ne pouvons nous empêcher de témoigner notre profond étonnement que le général Lally ait été accusé d'avoir depuis livré Pondichéri aux Anglais. L'arrêt qui l'a condamné à la mort est un des jugements les plus extraordinaires qui aient été rendus dans notre siécle; c'est une suite des malheurs de la France. Cet exemple, et celui du maréchal de Marillac, font assez voir que quiconque est à la tête des armées ou des af

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faires est rarement sûr de mourir dans son lit, ou au lit d'honneur.

Ce fut en 1746 que M. de Voltaire entra dans l'académie française. Il fut le premier qui dérogea à l'usage fastidieux de ne remplir un discours de réception que des louanges rebattues du cardinal de Richelieu. 'Il releva sa harangue par des remarques nouvelles sur la langue française et sur le goût. Ceux qui ont été reçus après lui ont, pour la plupart, suivi et perfectionné cette méthode utile.

Il était en 1748 avec madame du Châtelet à Luneville, auprès du roi Stanislas, lorsqu'il envoya à la Comédie Nanine, qui fut représentée le 17 juillet de cette année. Elle réussit peu d'abord; mais elle eut ensuite un succès aussi grand que durable. Je ne puis attribuer cette bizarrerie qu'à la secrète inclination qu'on a d'humilier un homme qui a trop de renommée. Mais avec le temps on se laisse entraîner à son plaisir.

Il arriva la même chose à la première représentation de Sémiramis, le 29 août de la même année 1748; mais à la fin elle fit encore plus d'effet au théâtre que Mérope et Mahomet.

Une chose, à mon avis, singulière, c'est qu'il ne donna point sous son nom le Panégyrique de Louis XV, imprimé en 1749, et traduit en latin, en italien, en espagnol, et en anglais.

La maladie qui avait tant fait craindre pour la vie du roi Louis XV, et la bataille de Fontenoi, qui avait fait craindre encore plus pour lui et pour la France. rendaient l'ouvrage intéressant. L'auteur ne loue que par les faits, et on y trouve un ton de philosophie qui

caractérise tout ce qui est sorti de sa main. Ce Panégyrique était celui des officiers autant que de Louis XV: cependant il ne le présenta à personne, pas même au roi. Il savait bien qu'il ne vivait pas dans le siècle de Pellisson. Aussi écrivait-il à M. de Formont, l'un de ses amis,

Cet éloge a très peu d'effet;

Nul mortel ne m'en remercie :
Celui qui le moins s'en soucie
Est celui pour qui je l'ai fait.

Cette même année 1749 il était encore dans le palais de Lunéville avec la marquise du Châtelet. Cette dame illustre y mourut.

Le roi de Prusse alors appela M. de Voltaire auprès de lui. Je vois qu'il ne se résolut à quitter la France et à s'attacher à sa majesté prussienne pour le reste de sa vie que vers la fin du mois d'août ou auguste 1750. Il était parti après avoir combattu pendant plus de six mois contre toute sa famille et contre tous ses amis, qui le dissuadaient fortement de cette transplantation; mais, sans avoir pris l'engagement de se fixer auprès du roi de Prusse, il ne put résister à cette lettre que ce prince lui écrivit de son appartement à la chambre de son nouvel hôte dans le palais de Berlin, le 23 août; lettre qui a tant couru depuis, et qui a été souvent imprimée :

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« J'ai vu la lettre que votre nièce vous écrit de Paris.

« L'amitié qu'elle a pour vous lui attire mon estime.

Si j'étais madame Denis, je penserais de même; mass

« étant ce que je suis, je pense autrement. Je serais

<< au désespoir d'être cause du malheur de mon en

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