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aux passions des hommes, et comme par leur perversité la source la plus pure du bien devient celle du mal!

La cause de M. de Voltaire étant aussi bonne que nous venons de l'exposer, il emporta les suffrages de tous les tribunaux où la raison était plus écoutée que les sophismes mystiques. Quelque persécution qu'il endurât de la haine théologale, il distingua toujours la religion de ceux qui la déshonorent; il rendait justice aux ecclésiastiques dont les vertus ont été le véritable ornement de l'Église; il ne blâmait que ceux dont les mœurs perverses les rendirent l'abomination publique.

M. de Voltaire passa donc ainsi sa vie entre les persécutions de ses envieux et l'admiration de ses enthousiastes, sans que les sarcasmes des uns l'humiliassent, et que les applaudissements des autres accrussent l'opinion qu'il avait de lui-même; il se contentait d'éclairer le monde, et d'inspirer par ses ouvrages l'amour des lettres et de l'humanité. Non content de donner des préceptes de morale, il prêchait la bienfesance par son exemple. Ce fut lui dont l'appui courageux vint au secours de la malheureuse famille des Calas; qui plaida la cause des Sirven, et les arracha des mains barbares de leurs juges; il aurait ressuscité le chevalier de La Barre, s'il avait eu le don des miracles. Il est beau qu'un philosophe, du fond de sa retraite, éléve sa voix, et que l'humanité, dont il est l'organe, force les juges à réformer des arrêts iniques. Si M. de Voltaire n'avait par-devers lui que cet unique trait, il mériterait d'être placé parmi

le petit nombre des véritables bienfaiteurs de l'humanité.

La philosophie et la religion enseignent donc de concert le chemin de la vertu. Voyez lequel est le plus chrétien, ou le magistrat qui force cruellement une famille à s'expatrier, ou le philosophe qui la recueille et la soutient; le juge qui se sert du glaive de la loi pour assassiner un étourdi, ou le sage qui veut sauver la vie du jeune homme pour le corriger; le bourreau de Calas, ou le protecteur de sa famille dé

solée?

Voilà, messieurs, ce qui rendra la mémoire de M. de Voltaire à jamais chère à ceux qui sont nés avec un cœur sensible et des entrailles capables de s'émouvoir. Quelque précieux que soient les dons de l'esprit, de l'imagination, l'élévation du génie, et les vastes connaissances, ces présents, que la nature ne prodigue que rarement, ne l'emportent cependant jamais sur les actes de l'humanité et de la bienfesance; on admire les premiers, et l'on bénit et vénère les se

conds.

Quelque peine que j'aie, messieurs, de me séparer à jamais de M. de Voltaire, je sens cependant que le moment approche où je dois renouveler la douleur que vous cause sa perte. Nous l'avons laissé tranquille à Ferney; des affaires d'intérêt l'engagèrent à

transporter à Paris, où il espérait venir encore assez à temps pour sauver quelques débris de sa fortune d'une banqueroute dans laquelle il se trouvait enveloppé. Il ne voulut pas reparaître dans sa patrie les mains vides; son temps, qu'il partageait entre la phi

losophie et les belles-lettres, fournissait un nombre d'ouvrages dont il avait toujours quelques uns en réserve ayant composé une nouvelle tragédie dont Iréne est le sujet, il voulut la produire sur le théâtre de Paris.

Son usage était d'assujettir ses pièces à la critique la plus sévère, avant de les exposer en public. Conformément à ses principes, il consulta à Paris tout ce qu'il y avait de gens de goût de sa connaissance, sacrifiant un vain amour-propre au desir de rendre ses travaux dignes de la postérité. Docile aux avis éclairés qu'on lui donna, il se porta avec un zèle et une ardeur singulière à la correction de cette tragédie; il passa des nuits entières à refondre son ouvrage; et, soit pour dissiper le sommeil, soit pour ranimer ses sens, il fit un usage immodéré du café: cinquante tasses par jour lui suffirent à peine. Cette liqueur, qui mit son sang dans la plus violente agitation, lui causa un échauffement si prodigieux que, pour calmer cette espèce de fièvre chaude, il eut recours aux opiates, dont il prit de si fortes doses que, loin de soulager son mal, elles accélérèrent sa fin. Peu après ce reméde pris avec si peu de ménagement se manifesta une espèce de paralysie qui fut suivie du coup d'apoplexie qui termina ses jours.

Quoique M. de Voltaire fût d'une constitution faible; quoique le chagrin, le souci, et une grande application, aient affaibli son tempérament, il poussa pourtant sa carrière jusqu'à la quatre-vingt-quatrième année. Son existence était telle qu'en lui l'esprit l'emportait en tout sur la matière. C'était une ame forte

qui communiquait sa vigueur à un corps presque diaphane: sa mémoire était étonnante, et il conserva toutes les facultés de la pensée et de l'imagination jusqu'à son dernier soupir. Avec quelle joie vous rappellerai-je, messieurs, les témoignages d'admiration et de reconnaissance que les Parisiens rendirent à ce grand homme durant son dernier séjour dans sa patrie! Il est rare, mais il est beau que le public soit équitable, et qu'il rende justice de leur vivant à ces ètres extraordinaires que la nature ne se complaît de produire que de loin en loin, afin qu'ils recueillent de leurs contemporains mêmes les suffrages qu'ils sont surs d'obtenir de la postérité!

L'on devait s'attendre qu'un homme qui avait employé toute la sagacité de son génie à célébrer la gloire de sa nation en verrait rejaillir quelques rayons sur lui-même : les Français l'ont senti, et, par leur enthousiasme, ils se sont rendus dignes de partager le lustre que leur compatriote a répandu sur eux et sur le siècle. Mais croirait-on que ce Voltaire, auquel la profane Grèce aurait élevé des autels, qui eût eu dans Rome des statues, auquel une grande impératrice, protectrice des sciences, voulait ériger un monument à Pétersbourg; qui croira, dis-je, qu'un tel être pensa manquer dans sa patrie d'un peu de terre pour couvrir ses cendres? Eh quoi! dans le dix-huitème siècle, où les lumières sont plus répandues que jamais, où l'esprit philosophique a tant fait de progrès, il se trouve des hiérophantes plus barbares que les Hérules, plus dignes de vivre avec les peuples de la Taprobane qu'au milieu de la nation française!

(quel qu'il soit, hélas!), il peut dire, « La louange que « je t'ai offerte a toujours été pure; jamais elle ne fut « ni souillée par l'intérêt, ni exagérée par la complai<< sance; et comme l'adulation n'y ajouta rien tant que « tu as vécu, l'équité n'en retranchera rien quand tu « n'es plus !

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Je vais parcourir cette longue suite de travaux qui ont rempli la vie de Voltaire. L'éclat de ses talents paraîtra s'augmenter de celui de ses succès, et l'intérêt qu'ils inspirent s'accroîtra par les contradictions qu'ils ont éprouvées. Cet homme extraordinaire s'agrandira encore plus à nos yeux par cette influence si marquée qu'il a eue sur son siècle, et qui s'étendra dans la postérité. En considérant sa destinée, nous aurons lieu quelquefois de plaindre celui qu'il faudra si souvent admirer; nous reconnaîtrons le sort de l'humanité dans l'homme qui s'est le plus élevé au-dessus d'elle. Ce tableau du génie, fait pour rassembler tant de leçons et tant d'exemples, montrera tout ce qu'il peut obtenir de gloire et rencontrer d'obstacles; et, en voyant tout ce qu'il peut avoir à souffrir, peut-être on sentira davantage tout ce qu'il faut lui pardonner.

PREMIÈRE PARTIE.

Il était passé, ce siècle que l'on peut appeler celui de la France, puisqu'il fut l'époque de nos grandeurs, et qu'il a gardé le nom d'un de nos monarques. Déjà commençait à pâlir cette lumière des arts qui s'était levée au milieu de nous et répandue dans l'Europe; ses clartés les plus brillantes s'étaient toutes éteintes

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