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pectable que l'approbateur d'un ouvrage n'en partageant pas la gloire, il ne pouvait avoir aucun autre dédommagement du danger auquel il s'exposait, que plaisir d'avoir servi l'amitié, et préparé un triomphe

à la raison.

le

Zulime n'eût point de succès; et tous les efforts de l'auteur pour la corriger et pour en pallier les défauts, ont été inutiles. Une tragédie est une expérience sur le cœur humain, et cette expérience ne réussit pas toujours, même entre les mains les plus habiles. Mais le role de Zulime est le premier au théâtre où une femme passionnée et entraînée à des actions criminelles ait conservé la générosité et le désintéressement de l'amour. Ce caractère si vrai, si violent, et si tendre, eût peut-être mérité l'indulgence des spectateurs, et les juges du théâtre auraient pu, en faveur de la beauté neuve de ce rôle, pardonner à la faiblesse des autres, sur laquelle l'auteur s'était condamné lui-même avec tant de sévérité et de franchise.

Les Discours sur l'Homme sont un des plus beaux monuments de la poésie française. S'ils n'offrent point un plan régulier comme les épîtres de Pope, ils ont l'avantage de renfermer une philosophie plus vraie, plus douce, plus usuelle. La variété des tons, une sorte d'abandon, une sensibilité touchante, un enthousiasme toujours noble, toujours vrai, leur donne un charme que l'esprit, l'imagination, et le cœur, goûtent tour-àtour: charme dont Voltaire a seul connu le secret; et ce secret est celui de toucher, de plaire, d'instruire sans fatiguer jamais, d'écrire pour tous les esprits comme pour tous les ages. Souvent on Y voit briller

des éclairs d'une philosophie profonde qui, presque toujours exprimée en sentiment ou en image, parait simple et populaire: talent aussi utile, aussi rare que celui de donner un air de profondeur à des idées fausses et triviales est commun et dangereux.

En quittant la lecture de Pope, on admire son talent et l'adresse avec laquelle il défend son système; mais l'ame est tranquille, et l'esprit retrouve bientôt toutes ses objections plutôt éludées que détruites. On ne peut quitter Voltaire sans être encouragé ou consolé, sans emporter avec le sentiment douloureux des maux auxquels la nature a condamné les hommes, celui des ressources qu'elle leur a préparées.

La Vie de Charles XII est le premier morceau d'histoire que Voltaire ait publié. Le style, aussi rapide que les exploits du héros, entraîne dans une suite non interrompue d'expéditions brillantes, d'anecdotes singulières, d'événements romanesques qui ne laissent reposer ni la curiosité ni l'intérêt. Rarement quelques réflexions viennent interrompre le récit : l'auteur s'est oublié lui-même pour faire agir ses personnages. Il semble qu'il ne fasse que raconter ce qu'il vient d'apprendre sur son héros. Il n'est question que de combats, de projets militaires; et cependant on y aperçoit partout l'esprit d'un philosophe, et l'ame d'un défenseur de l'humanité.

Voltaire n'avait écrit que sur des mémoires originaux fournis par les témoins mêmes des événements; et son exactitude a eu pour garant le témoignage respectable de Stanislas, l'ami, le compagnon, la victime de Charles XII.

Cependant on accusa cette histoire de n'être qu'un roman, parcequ'elle en avait tout l'intérêt. Si peut-être jamais aucun homme n'excita autant d'enthousiasme, jamais peut-être personne ne fut traité avec moins d'indulgence que Voltaire. Comme en France la réputation d'esprit est de toutes la plus enviée, et qu'il était impossible que la sienne en ce genre n'effaçât toutes les autres, on s'acharnait à lui contester tout le reste; et la prétention à l'esprit étant au moins aussi inquiéte dans les autres classes que dans celle des gens de lettres, il avait presque autant de jaloux que de lecteurs.

C'était en vain que Voltaire avait cru que la retraite de Cirey le déroberait à la haine : il n'avait caché que sa personne, et sa gloire importunait encore ses ennemis. Un libelle où l'on calomniait sa vie entière vint troubler son repos. On le traitait comme un prince ou comme un ministre, parcequ'il excitait autant d'envie. L'auteur de ce libelle était cet abbé Desfontaines qui devait à Voltaire la liberté, et peut-être la vie. Accusé d'un vice honteux que la superstition a mis au rang des crimes, il avait été emprisonné dans un temps où, par une atroce et ridicule politique, on croyait très à propos de brûler quelques hommes, afin d'en dégoùter un autre de ce vice pour lequel on le soupçonnait faussement de montrer quelque penchant.

Voltaire, instruit du malheur de l'abbé Desfontaines, dont il ne connaissait pas la personne, et qui n'avait auprès de lui d'autre recommandation que de cultiver les lettres, courut à Fontainebleau trouver madame de Prie, alors toute puissante, et obtint d'elle la liberté du prisonnier, à condition qu'il ne se montrerait point

à Paris. Ce fut encore Voltaire qui lui procura une retraite dans la terre d'une de ses amies. Desfontaines y fit un libelle contre son bienfaiteur. On l'obligea de le jeter au feu ; mais jamais il ne lui pardonna de lui avoir sauvé la vie. Il saisissait avidement dans les journaux toutes les occasions de le blesser; c'était lui qui avait fait dénoncer par un prêtre du séminaire le Mondain, badinage ingénieux où Voltaire a voulu montrer comment le luxe, en adoucissant les mœurs, en animant l'industrie, prévient une partie des maux qui naissent de l'inégalité des fortunes et de la dureté des riches.

Cette dénonciation l'exposa au danger d'une nouvelle expatriation, parcequ'au reproche de prêcher la volupté, si grave aux yeux des gens qui ont besoin de couvrir des vices plus réels du manteau de l'austérité, on joignit le reproche plus dangereux de s'être moqué des plaisirs de nos premiers pères.

Enfin le journaliste publia la Voltairomanie. Ce fut alors que Voltaire, qui depuis long-temps souffrait en silence les calomnies de Desfontaines et de Rousseau, s'abandonna aux mouvements d'une colère dont ces vils ennemis n'étaient pas dignes.

Non content de se venger en livrant ses adversaires au mépris public, en les marquant de ces traits que le temps n'efface point, il poursuivit Desfontaines, qui en fut quitte pour désavouer le libelle, et se mit à en faire d'autres pour se consoler. C'est donc à quarantequatre ans, après vingt années de patience, que Voltaire sortit pour la première fois de cette modération dont il serait à desirer que les gens de lettres ne s'écartassent jamais. S'ils ont reçu de la nature le talent si

redoutable de dévouer leurs ennemis au ridicule et à la honte, qu'ils dédaignent d'employer cette arme dangereuse à venger leurs propres querelles, et qu'ils la réservent contre les persécuteurs de la vérité et les ennemis des droits des hommes!

La liaison qui se forma, vers le même temps, entre Voltaire et le prince royal de Prusse, était une des premières causes des emportements où ses ennemis se livrèrent alors contre lui. Le jeune Frédéric n'avait reçu de son père que l'éducation d'un soldat; mais la nature le destinait à être un homme d'un esprit aimable, étendu, et élevé, aussi bien qu'un grand général. Il était relégué à Remusberg par son père, qui, ayant formé le projet de lui faire couper la tête, en qualité de déserteur, parcequ'il avait voulu voyager sans sa permission, avait cédé aux représentations du ministre de l'empereur, et s'était contenté de le faire assister au supplice d'un de ses compagnons de voyage.

Dans cette retraite, Frédéric, passionné pour la langue française, pour les vers, pour la philosophie, choisit Voltaire pour son confident et pour son guide. Ils s'envoyaient réciproquement leurs ouvrages; le prince consultait le philosophe sur ses travaux, lui demandait des conseils et des leçons. Ils discutaient ensemble les questions de la métaphysique les plus curieuses comme les plus insolubles. Le prince étudiait alors Wolf, dont il abjura bientôt les systèmes et l'inintelligible langage, pour une philosophie plus simple et plus vraie. Il travaillait en même temps à refuter Machiavel, c'est-à-dire à prouver que la politique la plus sûre pour un prince est de conformer sa conduite aux

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